Chine : grandes manœuvres sur les contreforts tibétains
Seuls, les nouveaux bâtiments et magasins han restent debout.
Une économie de plus en plus vorace
Voilà presque dix ans que Jean-Yves s’est installé dans le Yunnan. Fondateur d’Amiwa Trek, une agence de randonnée, il dresse un constat sur la situation d’un territoire hier encore inaccessible.
Depuis le lancement de la construction de nouvelles infrastructures, les portes du Tibet interdit sont aujourd’hui reliées au centre de la Chine. « Voilà cinq ans que la construction des nouvelles routes, tunnels, ou barrages hydroélectriques s’est accélérée. Mais ces grands travaux concernent aussi les écoles, les universités et les hôpitaux. »
L’asphalte qui recouvre la route reliant Shangri-La (Zhongdian) à Deqin est presque neuf. Seuls quelques éboulements de pierres viennent interrompre la régularité du trafic. Il y a quelques mois, il fallait entre six et huit heures pour relier ces deux villes, aujourd’hui, moins de quatre suffisent.
« L’extraction des terres rares et de transport des matières premières, notamment le bois, a considérablement augmenté depuis la construction de ces nouvelles routes, explique Estelle, responsable d’un écolodge à Benzilan. Quand je suis arrivée à Shangri-La il y a huit ans, la vallée du Mékong était encore un cul de sac. Aujourd’hui, ils sont en train de terminer une nouvelle route flambant neuve à 4 000 mètres d’altitude ! Des dizaines de camions y passeront chaque jour ! »
Le pays n’a pas la réputation de faire dans le progressif : il est redoutablement pragmatique. Le Yunnan est une zone stratégique, même si les Tibétains d’ici sont moins rebelles que leurs voisins du Tibet administratif.
Il faut donc construire vite. L’impact environnemental importe peu.
Une catastrophe écologique
La faune et la flore des montagnes avoisinantes, les espèces endémiques de singes, les chênes verts dans les forêts primaires, rien ne saurait empêcher la maximisation du profit.
« Les billes de bois, voilà un grave problème. Il en faut six à huit pour construire un étage d’une maison tibétaine qui en compte généralement au moins deux. Une bille de quatre-vingt centimètres de large et deux mètres de long vaut entre 1 000 et 2 000 euros. 20 000 euros par maison en moyenne, vous imaginez le trafic qui peut en découler, sachant qu’un arbre produit entre dix et quinze billes ! » Les autorités assurent que les contrôles sont fréquents sur les chantiers, mais en réalité, il n’en est rien.
Les habitudes culturelles sont trop ancrées, les populations locales détruisant depuis des années l’écosystème. Faute d’éducation, elles sont encore loin d’être économes, en dépit de la raréfaction des biens naturels.
Ajoutez à cela le braconnage régulier, l’élevage intensif de yacks – dont la viande est consommée par de plus en plus de Chinois –, donc de la déforestation au profit des pâturages, le bilan n’est pas réjouissant.
Des routes, quelle direction ?
Depuis trente ans, il est courant de compter soixante-dix à quatre-vingts enfants par classe. Et puisque tous les cours sont en chinois, de nombreuses familles issues des minorités abandonnent leur propre langue au profit du mandarin, pour que leurs enfants aient de meilleures chances d’intégration et de réussite.
Estelle, Jean-Yves et Fang Yin, pourtant rencontrés à différents endroits du Nord-Ouest de la région, parlent à l’unisson. « Sortir de la pauvreté est très positif mais nous assistons à une destruction atterrante de la nature et des cultures locales. Le Yunnan présente une concentration ethnique d’une richesse exceptionnelle qui est en train de disparaître. Ce qui est terrible, c’est la vitesse de destruction ! »
D’autant que si Pékin veut impulser une politique de surveillance, la corruption aux échelons locaux est telle que les résultats semblent inexistants. « La tête du parti local est composée d’une génération paysanne qui n’a pas été sensibilisée aux questions environnementales, qui a connu la Révolution culturelle et qui n’a pas de vision à long terme. Face à ce désastre écologique, les jeunes Chinois sont effrayés. Ils ont compris l’urgence environnementale. Dans vingt ans, les membres du parti seront certainement formés à cette vision plus large, mais ce sera sans doute trop tard… «
Le rouleau compresseur chinois est trop brutal, trop rapide pour être stoppé et un certain sentiment de supériorité de la part de l’ethnie majoritaire Han alimente cette tendance.
« Le rapport à la nature des Chinois suppose parfois une transformation radicale de celle-ci, et elle peut apparaître comme une matière première dont l’homme peut se servir et dans laquelle il peut puiser sans limite, explique encore Jean-Yves. Ce sont souvent les paysans en Chine qui ont renversé les dynasties. Si la croissance annuelle de 8 à 12 % fléchit et l’équilibre entre le développement des grandes villes et celui des campagnes est rompu, les inégalités deviennent plus visibles encore et une frange de la population rurale pourrait hausser le ton… »
Au Yunnan, la croissance est donc un impératif. Le pouvoir central ne s’en cache absolument pas : « L’avenir du Parti passe par le développement des régions les plus reculées », peut-on lire dans les communiqués officiels les plus récents.
Que vaut le patrimoine culturel, le mode de vie des minorités, l’avenir de quelques pandas roux, si la croissance est à la clef ?
Bétonner, asphalter, arracher, transporter, enseigner, développer : l’avenir est à ce prix.
Pour le meilleur. Ou pour le pire.
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