Société
Témoin - Dali, Bohême embourgeoisée

 

Chine : Bai en balade

Des femmes Bai. (Crédit : Daniel Audeoud).
Tout à coup, quelques notes percent le silence. De la forêt viennent les accords, reconnaissables entre tous, du chant des Bai.
Les Bai sont les habitants de Dali, un royaume conquis en 1253 par Kubilaï Khan et par la même enfin intégré dans le giron de la Chine. La forêt, c’est celle de la Précieuse Montagne Culminante, dans la région de Weishan, à une heure au sud de Dali.
Je me trouve pour quelques jours dans le temple du Dieu de la Fortune, versant sud de la montagne, en compagnie de deux grands-mères qui ont laissé leur famille derrière elles pour prendre soin du temple taoïste. Nous sommes ici en terre Yi, taoïste, frontière naturelle entre les sommets enneigés du Nord-Yunnan et les forêts tropicales qui s’étendent jusqu’au delta du Mékong.
Elles apparaissent enfin, une trentaine de femmes, de trente à soixante-dix ans, avec pour toute escorte un vieil homme et une fillette. Elles ont pour l’occasion revêtu leurs plus beaux atours, ceux qui sont aujourd’hui galvaudés jusqu’à la nausée par les auxiliaires du monde marchand, les guides, serveuses et vendeuses de l’industrie touristique à Dali.
Couronne blanche délicatement ornée de fleurs, veston sans manche de satin rose ou pourpre, pantalon de velours noir, elles sont tout simplement splendides.
Avec elles, rires et cris pénètrent dans le temple (en réalité, quatre temples rassemblés dans une enceinte comprenant un vaste cour et un potager dont les tantes prennent soin). La joie de vivre personnifiée.
Le temple du Dieu de la fortune. (Crédit : Daniel Audéoud).
Elles vont de temple en temple, sac plastique rempli de bâtons d’encens à la main, présenter leurs dévotions aux dieux tutélaires.
Ici, aux côtés du Dieu de la Fortune, se tient aussi la troisième princesse du royaume Nanzhao (prédécesseur du royaume de Dali, royaume guerrier qui s’étendait au XIXe siècle jusqu’en Birmanie et Thaïlande), vénérée par les Bais. Le vieil homme m’explique, en nouant les doigts de ses deux mains : « Nous sommes tous paysans, bouddhistes. Ici la montagne est taoïste, mais cela ne nous empêche pas de venir, parce que tu sais, au fond c’est la même chose. »
En effet, à l’arrière du temple, se trouve un autre temple, celui des trois religions : bouddhisme, taoïsme et confucianisme – le Confucianisme, à la différence du Bouddhisme et du Taoïsme, n’est aujourd’hui pas considéré par les autorités comme une religion officielle. Dans un effort syncrétique systématiquement poursuivi en Chine, les moines ont cru bon de l’ériger, il y a de cela près de trois cents ans.
Ni bohême, ni bourgeoise, Dali m’apparaît aujourd’hui sous les traits qui sont les siens sans doute depuis toujours : simple, heureuse, espiègle, chantante, dévote. J’ai à peine le temps de savourer leur présence, que déjà ces femmes hautes en couleurs ont repris leur chemin.
Merci à elles.

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A propos de l'auteur
Daniel Audéoud est né en 1974 à Roanne (Loire). Les études, puis une amorce de carrière l’ont mené en Angleterre, aux Etats-unis, en Suisse et en Allemagne. En 2006, diplôme d’analyste financier tout juste décroché, il quitte son poste pour un tour du monde. Un mois plus tard, il tombe amoureux d’une fée à Dali, dans la province du Yunnan en Chine. C’est là qu’ils vivent maintenant avec leurs deux enfants. Aujourd’hui, Daniel s’inspire de la démarche anthropologique pour tenter de rendre compte des mutations dont il est témoin au quotidien.
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