Société
Témoin – Chine : le réveil social

Réflexion sur la notion d’aide : le cas tibétain

Une jeune femme tibétaine vend des drapeaux et des moulins à prières au marché ceinturant le Barkhor, à Lhassa. (Crédit : AFP).
Avant d’entamer une large série de portraits sur les actrices et acteurs de l’innovation sociale en Chine, je souhaiterais profiter du privilège de la tribune qui m’est offerte pour faire part de mon expérience personnelle dans le domaine qui m’est cher, vous l’aurez compris, celui de l’entrepreneuriat social.

Une remise en question

C’est en 2008 que l’on m’en a parlé pour la première fois.
Bercée depuis des années par les mots mélodieux de l’humanitaire mais lassée de leur éternelle rengaine, cette association originale de deux concepts que l’on a, en général, l’habitude d’opposer me plût immédiatement.
L’attraction résidait, d’une part, dans le caractère profondément philanthropique de la démarche mais aussi dans la notion d’autonomie, d’initiative et de responsabilité qu’elle impliquait.
C’était aussi à l’époque où je commençais à déchanter et me surprenais à chercher dans le Petit Robert la signification du terme « aide » (ce qui en dit long sur l’état de mes doutes car vous conviendrez que c’est tout de même le summum de l’ironie pour un humanitaire que de ne plus savoir ce que le mot signifie).
Les idées de soutien et de collaboration implicitement imbriquées dans la notion d’ »aide » avaient été noyées dans une pratique imposée par le diktat des fondations et autres grandes organisations humanitaires. De là naissaient, en grande partie, les nombreux malentendus entre acteurs de l’humanitaire (souvent assimilés au rôle réducteur de donateurs) et bénéficiaires. Les uns justifiant leurs actions par le bien fondé de leurs intentions et les autres, impliqués contre leur gré dans une relation de dépendance, se sentant les obligés de ces organisations.
Constat personnel bien amer et mon état d’esprit en 2008. Rien d’étonnant donc que je sois tombée sous le charme du concept de l’entrepreneuriat social. Il offrait enfin une voie, une possibilité de changement, une chance de prendre son destin en main à tous en général et aux Tibétains en particulier.

Le malentendu

Il existe deux catégories d’humanitaire. Il y a ceux qui travaillent dans l’urgence (dans les deux sens du terme), se déplaçant au gré des catastrophes (in)humaines et puis il y a les autres, les humanitaires du développement qui ont, en général, un lieu de prédilection pour prodiguer leur aide. Un peu comme les ethnologues choisissent leur terrain d’étude, les humanitaires vont aussi là où leur cœur les guide.
Dans mon cas, mon terrain d’étude ethnologique a guidé mon choix humanitaire. J’ai donc choisi d’aider ceux que j’avais d’abord étudiés, les Tibétains, et, par là même, contribuer à la préservation d’une culture qui me tenait à cœur. Mais, comme vous venez de le lire, mes illusions se sont envolées assez rapidement et l’aide humanitaire à laquelle je participais ne faisait que plonger encore plus profondément dans l’assistanat des gens dont le besoin premier était la confiance en soi et l’autonomie.
Posés en victimes, les Tibétains souffrent aussi de cette auréole de vertu bouddhique dont on les ceint à tout prix sans se soucier de ce qu’ils sont vraiment. Ils sont soit plaints, soit idolâtrés mais jamais vraiment compris. Et il n’existe rien de plus dangereux que de vouloir aider quelqu’un que l’on pense connaître et dont on croit pouvoir deviner les besoins.

LA solution ?

Une évidence, voilà comment l’entrepreneuriat social m’est donc apparu. Il offrait les moyens de prendre enfin le contrôle de son destin et de pouvoir changer le cours des choses, selon le profil de « changemaker » préalablement défini par Bill Drayton.
Il n’était plus question d’être tributaire du bon vouloir d’autrui, plus question de passivité ou de dépendance quelconque. Et c’est essentiel pour les Tibétains que d’avoir la possibilité de pouvoir agir pour soi et pour les siens sans avoir à se sentir redevable. Si cela peut paraître orgueilleux au premier abord, il faut aussi rappeler que c’est une étape nécessaire dans la construction de son identité : l’apprentissage de la confiance en soi. Et quoi de mieux pour un tel apprentissage que l’opportunité de résoudre un problème et, surtout, l’occasion de contribuer à préserver une culture qui peine à survivre.
C’est dans cette optique que Global Nomad vit le jour. Cette entreprise sociale, née du désir de réconcilier le développement économique avec les objectifs sociaux, se fondait sur la croyance qu’un développement durable et éthique pouvait être atteint via l’entrepreneuriat social et la responsabilité d’entreprise. Sa mission consistait, principalement, à offrir des services aux entrepreneurs tibétains dont les activités permettaient de stimuler le développement économique local tout en participant à l’amélioration des conditions de vie de leurs communautés.

Un contexte difficile

Car, si les Tibétains ne manquent pas d’idées, il manque souvent d’outils pour que ses idées puissent voir le jour. Et c’est là que résident les vrais besoins. Dans l’apprentissage des mécanismes du « business » d’une part mais aussi dans la connaissance du fonctionnement des marchés commerciaux, de l’offre et de la demande.
Les entrepreneurs tibétains sont les détenteurs d’un riche savoir traditionnel, d’une compétence technique approfondie et disposent également d’un vaste réseau local mais, dépourvus de l’accès aux ressources informationnelles et coupés des réseaux d’affaires commerciales, ils ne peuvent prévoir les nouvelles tendances du marché, être compétitifs et maintenir une viabilité dans leur propres domaines de production traditionnelle. De plus, les barrières sociales, culturelles et linguistiques contribuent à leur isolement et constituent des obstacles majeurs à leur intégration sur les marchés nationaux et internationaux.

L’entrepreneuriat social plutôt que l’assistanat

Comme tous les bénéficiaires, les Tibétains n’ont nul besoin que l’on vienne leur dire comment faire les choses (autrement dit, dans l’esprit de : « tu ignores ce qui est bon pour toi, laisse-moi te l’apprendre ») et leur imposer des projets qui ont été, le plus souvent, conçus d’après les tendances humanitaires. Comme la mode, ces dernières changent au gré des saisons et, ce qui était dans le vent l’année passée peut devenir très vite obsolète.
Ce dont ils ont besoin, et je le sais bien pour l’avoir entendu depuis de nombreuses années, c’est de soutien et d’encouragement dans leur démarche entrepreneuriale, afin que cette dernière leur permette de transformer le développement économique en solutions sociales.
Et je finirai cette réflexion personnelle par une phrase que j’aimerais un jour voir ériger en axiome : l’aide ne devrait jamais être imposée mais toujours proposée.

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A propos de l'auteur
Carol Pouget vit en Chine depuis plus de 10 ans. Après avoir travaillé de nombreuses années dans des organisations humanitaires sur des projets de développement local, elle a codirigé Global Nomad, une entreprise œuvrant à la promotion de l’entrepreneuriat social dans les régions tibétaines. Elle travaille à présent dans une agence évènementielle chinoise et poursuit également sa quête d’une "autre Chine" sur son blog Chicinchina
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