Société
Témoin – Chine : le réveil social

Elan chinois pour l’entrepreneuriat social

Chen Guangbiao, le célèbre homme d’affaire et philanthrope chinois pose ici devant une stèle érigée en mémoire des victimes du tremblement de terre du Sichuan de 2008. (Crédit : Huang He Ly / Imaginechina/AFP)
Chen Guangbiao, le célèbre homme d’affaire et philanthrope chinois pose ici devant une stèle érigée en mémoire des victimes du tremblement de terre du Sichuan de 2008. (Crédit : Huang He Ly / Imaginechina/AFP)
Une chronique sur l’entrepreneuriat social en Chine ? J’imagine déjà les sourcils s’arquer et les rictus se dessiner. Il est certain que l’Empire du milieu est plus célèbre pour ses frasques en tout genre que pour son élan social et pourtant…

Pourtant, les termes « philanthropie », « association caritative », « société civile », « bien-être public », « soutien populaire », « droit des femmes », « RSE » fusent depuis quelques années et les rencontres, conférences, séminaires, forums et espaces d’apprentissage dédiés à ces différentes problématiques se multiplient. Les choses bougent, imperceptibles mais infaillibles.

Définitions

Parmi ces tendances humanistes, une « toute jeune » a fait son apparition en Chine en 2004, notamment à travers la publication d’articles et de conférences sur le sujet : l’entreprise sociale.
Livré aux différentes interprétations scientifiques, le concept reste encore nébuleux bien qu’il existe depuis déjà plusieurs décennies. Le principe, néanmoins, reste simple : « les entreprises sociales sont des entreprises à finalité sociale, sociétale ou environnementale et à lucrativité limitée. Elles cherchent à associer leurs parties prenantes à leur gouvernance », selon la définition du Mouvement des Entrepreneurs Sociaux (MOUVES).

Bill Drayton, fondateur d’Ashoka, le premier réseau d’entrepreneurs sociaux, et à qui l’on doit la popularisation du terme dans les années 80, pressent le potentiel de « changemaker » dans le profil de l’entrepreneur social, c’est-à-dire quelqu’un dont la vision puisse changer le monde. Ou, une personne dont l’empathie avec son environnement lui permette de discerner les problèmes au sein de sa société et de trouver les moyens d’y remédier. C’est d’ailleurs avec la parution des livres de David Bornstein, How to change the world : Social Entrepreneurs and the Power of New Ideas et de Charles Leadbeater, The Rise of the Social Entrepreneur et leurs traductions chinoises en 2006 que l’on commence à prendre connaissance et à s’intéresser en Chine à cette « nouvelle philanthropie ».

Le réveil des consciences

Le tremblement de 2008 dans la province du Sichuan secoue la terre et ébranle les esprits. Je me souviens encore de la stupeur et de la consternation mais aussi de l’émoi et de l’effervescence. De la beauté de l’impulsion altruiste qu’un tel traumatisme a suscité. Comme la Terre, les yeux se sont ouverts sur la misère et l’injustice. Et sur une vérité bien plus crue : les limites et l’incapacité d’un gouvernement à faire face seul aux défis socio-économiques de la croissance hors norme des dernières décennies.

Le voile s’est levé sur les dégâts d’une telle croissance : les millions de personnes laissées pour compte vivant sous le seuil de pauvreté, la disparité des revenus, les problèmes de santé et d’éducation et la dégradation de l’environnement.
Des dommages collatéraux laissés aux bons soins de la société civile qui peine à y faire face. Et pour cause. Les institutions non-lucratives et les ONG locales qui ont proliféré dans les années 90 s’essoufflent, lassées de se battre contre les moulins à vent d’une administration à deux vitesses qui, par méfiance, transforme les procédures bureaucratiques en parcours du combattant. L’enregistrement, l’accès aux financements, tout est soigneusement contrôlé et soumis à des régulations capables de décourager les plus opiniâtres.

Les entreprises sociales : un nouvelle forme d’ONG ?

Face aux barrières parfois insurmontables auxquelles les ONG doivent faire face et, pour ne plus avoir à dépendre éternellement de leurs donateurs, le modèle qu’offre l’entreprise sociale est attirant et prometteur avec, comme maîtres mots, l’autonomie et la durabilité. De quoi faire rêver n’importe quelle institution non-gouvernementale qui dépend entièrement de la législation gouvernementale…

Le problème, et il n’est pas des moindres, c’est qu’une entreprise sociale utilise les outils du commerce pour répondre aux besoins sociaux et qu’il ne suffit pas de vouloir faire du commerce pour y arriver. Un truisme qui échappe pourtant à l’entendement de beaucoup. J’écris ici en connaissance de cause et, croyez-moi, la transition est rude. Car ce qui fait le plus défaut à ces organisations, c’est effectivement le manque d’expertise, la méconnaissance des outils commerciaux, la faiblesse du business plan et l’ignorance des stratégies des affaires qui sont pourtant les éléments de connaissance essentiels à la (bonne) gestion d’une entreprise. Certaines réussissent mais la plupart des ONG échouent.

Un concept hybride ?

La notion d’entreprise sociale souffre ainsi de l’association de deux mondes que l’on ne cesse d’opposer : celui du social et celui de l’entreprise. C’est blanc ou noir mais jamais gris. Soit on fait du « business » avec pour seule motivation le profit, soit on fait du « social » avec le seul but d’aider les autres. Mais jamais les deux ensemble.
C’est un paradoxe suprême que les ONG ont malheureusement contribué à transformer en préjugé.

De plus, la législation n’offre aucun cadre juridique légal aux entreprises sociales qui n’ont que deux choix pour s’enregistrer : comme entreprises à but lucratif ou comme associations à but non lucratif. Peu de place donc pour le modèle économique prôné par Muhammad Yunus, économiste bangladais et Prix Nobel de la paix en 2006 pour qui : le « social business est un modèle à promouvoir car il associe la finalité de la philanthropie à la méthodologie du business. Fondée sur le principe du No loss, no dividends (Ni perte, ni profit), son objectif n’est pas de gagner de l’argent, mais de résoudre un problème de société ».

Incomprise, l’entreprise sociale doit aussi faire face à d’autres difficultés telles les ressources financières et humaines. Financières car peu d’investisseurs sont attirés par ce modèle économique dont l’esprit novateur est perçu comme un risque et humaines car, même si les mentalités changent, il reste difficile pour un jeune chinois d’affronter ses parents et de leur annoncer que toutes les années d’étude pour lesquelles ils se sont sacrifiés ne vont servir qu’à poursuivre leurs rêves de changement.

Qui sont les entrepreneurs sociaux ?

Pourtant, malgré cela, malgré la fragilité, le risque, l’incertitude, une génération éclot qui souhaite voir « gris ». Une jeune génération qui envisage la possibilité de cette association des deux mondes. De ne pas avoir à choisir entre bien gagner sa vie et en faire bénéficier les autres.

Des femmes, beaucoup… Ainsi, en 2012, le rapport sur les entreprises sociales en Chine publié par la Foundation for Young Social Entrepreneurship (FYSE) révèle que 42% des entrepreneurs sociaux sont des femmes. Loin de moi l’idée de féminiser le mouvement, mais plutôt d’en révéler la force.

Observer, analyser les problèmes inhérents à sa société, créer des solutions innovantes et originales, telle est la mission de l’entrepreneur social. Permettre aux gens de prendre leur destin en main, tout simplement. Laisser place à la créativité et, comme le dit si bien Muhammad Yunus, « ne pas attendre que le gouvernement ou que des ONG fassent des choses pour vous. Les citoyens peuvent par leurs propres initiatives changer leur vie. La créativité est le cœur de l’entreprenariat social tandis que la charité étouffe la créativité et met l’individu qui réclame de l’aide dans une position de dépendance ».

Vers une « autre Chine » ?

C’est, du moins, ce que je vais m’efforcer de montrer. L’autre visage de la Chine. A travers les actions, les initiatives de personnes qui ont des idées, des rêves et la volonté de changer les choses. Dans le bon sens, toujours.

Des femmes, des hommes, des entrepreneurs sociaux et des entrepreneurs tout court, mais dont la visée reste la même : élargir la portée de leurs actions et créer un modèle de développement qui puisse inspirer les générations futures. Ni une tendance, ni un nouveau phénomène mais juste une façon de vivre en accord avec Soi, en accord avec l’Autre, en accord avec son Environnement.

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A propos de l'auteur
Carol Pouget vit en Chine depuis plus de 10 ans. Après avoir travaillé de nombreuses années dans des organisations humanitaires sur des projets de développement local, elle a codirigé Global Nomad, une entreprise œuvrant à la promotion de l’entrepreneuriat social dans les régions tibétaines. Elle travaille à présent dans une agence évènementielle chinoise et poursuit également sa quête d’une "autre Chine" sur son blog Chicinchina
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