Economie
Reportage

Startups en Chine : Les enfants d'Alibaba

Photographie du PDG d'Alibaba, très souriant.
Jack Ma, PDG d’Alibaba, le géant chinois du e-commerce lors d’un événement caritatif à Hangzhou (province chinoise du Zhejiang) le 28 septembre 2014. (Crédit : Gui jun / Imaginechina / AFP)
Avec son patron parti de rien, désormais érigé en gourou, et son entrée fracassante à Wall Street en septembre dernier (25 milliards de dollars levés en une journée, un record historique), Alibaba présente tous les ingrédients d’une success story à la chinoise. Le groupe, basé dans la ville de Hangzhou à 180 km de Shanghai, a créé en quinze ans un « écosystème » chinois du e-commerce ultra-performant. Il a aussi mis le pied à l’étrier à toute une génération d’alumni, anciens employés d’Alibaba, qui lancent aujourd’hui leurs startups… ou comptent déjà leurs premiers millions de dollars.
Sur le bureau de Zhang Lianglun, un dinosaure en plastique et une figurine d’Angry Birds trônent aux côtés d’un prix encadré. Celui-ci, remis par le magazine Entrepreneur China, récompense l’un des « chefs d’entreprises de moins de 30 ans les plus influents de Chine ». Zhang Lianglun en a en réalité 29 et son groupe Husor, pèse aujourd’hui un milliard de dollars. « Cela n’a pas vraiment changé mon mode de vie, je ne suis pas du genre à tout faire flamber », affirme-t-il entre deux parties de billard avec quelques-uns de ses 500 employés dans la salle de jeu de l’entreprise, au nord de Hangzhou.
Ce natif d’un village de la province du Sichuan a créé l’an dernier la plateforme en ligne beibei.com, devenue en quelques mois la référence des produits pour enfants. Chaque mois, des millions de commandes de couches, lait en poudre, jouets ou autres vêtements sont passées auprès des 5000 marques proposées par le site Beibei.
A voir le reportage à Beibei.com de Baptiste Fallevoz à Shanghai :
Les clés du succès lui ont en partie été données par son ancien employeur : Alibaba… Deux années passées chez le géant chinois lui ont appris « comment marche le e-commerce ». Entré en 2009 comme chef de produit, ce diplômé en télécommunication a rapidement gravi les échelons avant de quitter le groupe en 2011. Il n’a que 25 ans à l’époque, mais une envie de « créer de la valeur ». Il emmène alors dans son aventure plusieurs autres Aliren 阿里人 (littéralement « gens d’Ali ») comme se surnomment les employés et ex-employés d’Alibaba, pour créer un premier site d’e-commerce, puis beibei.com. « Le style de management et les valeurs d’Alibaba nous ont façonnés, raconte Zhang Lianglun. Nous ressemblons un peu à Alibaba à ses débuts. Nous remercions d’ailleurs Alibaba qui a construit les structures du e-commerce chinois : les méthodes d’achat, de paiement, la logistique… C’est sur ces infrastructures que Beibei a pu se fonder ».

Contexte

Le 6 juin dernier, le gouvernement chinois a approuvé de nouvelles mesures pour aider les startups locales, en particulier dans les nouvelles technologies : meilleur accès au parc immobilier, subventions publiques, exonérations fiscales, ou encore prix réduits sur l’électricité et Internet. D’autres mesures sont en préparation comme l’assouplissement des conditions de financement participatif, de levée de fonds et d’entrée en bourse. Ce « paquet » de mesures s’inscrit dans une politique plus large appelée « Internet plus » et lancée par le Premier ministre Li Keqiang en 2013 dans le 12ème plan quinquennal. Pékin a donc conscience de l’importance cruciale du numérique pour l’innovation et la croissance chinoises. En outre, le ralentissement économique a aggravé les tensions sur le marché de l’emploi, et développer les startups est un bon moyen d’occuper (et de calmer) les jeunes diplômés au chômage. Au point que certains commentateurs se méfient de ce qui ressemble à une mobilisation de la jeunesse, et s’alarment d’un très maoïste « Grand bond en avant » pour les startups. Car, préviennent-ils, le danger est de voir les startupers chinois interrompre leurs études pour fonder leur business (ils y sont autorisés) pour se retrouver massivement en faillite – comme 90 % des startups estudiantines, selon un article du quotidien de Shanghai Xinmin Evening News paru en décembre dernier.

46 % des Chinois font leur courses sur Internet

En quelques années, Alibaba a formé une génération de jeunes loups, prêts à investir tous les secteurs de l’internet chinois. Le terrain est favorable, dans une Chine à la jeunesse ultra-connectée et qui est arrivée sur internet directement par le smartphone. Selon un sondage du cabinet d’études marketing Nielsen, 46% des Chinois affirment déjà faire des courses sur internet (contre 25% au niveau mondial).
À Hangzhou, des dizaines d’ « Alumni » d’Alibaba créent chaque mois leur startup, dans les innombrables incubateurs de la ville. Parmi les modèles à suivre : Chen Qi, 33 ans, qui a quitté Alibaba en 2011 pour fonder Mogujie, un site dédié à la mode, mi-réseau social mi-plateforme d’achat, sur lequel surfent régulièrement 85 millions d’utilisateurs. Autre idôle : Wei Cheng, 32 ans, lui aussi ancien d’ « Ali » et co-fondateur de « Didi Kuaidi ». Cette application smartphone, ultra-populaire dans les villes, permet de réserver un taxi en quelques secondes par un simple message vocal reçu par tous les chauffeurs des environs. L’entreprise est aujourd’hui valorisée à 8,5 milliards de dollars.

Commerce en ligne, web sur mobile et finance sur Internet

Le capital de départ n’est pas un problème majeur pour ces « sécessionnistes ». Alibaba a créé des fortunes parmi ses employés les plus qualifiés en se montrant généreux dans sa distribution d’actions et de stock options, surtout avant 2007. Lors de l’introduction à Wall Street en septembre dernier, les salariés ou anciens salariés d’Alibaba possédaient encore 26.7% du capital d’Alibaba.
« Beaucoup d’ingénieurs et de managers ont récemment profité de la flambée du cours d’Alibaba. Ils ont quitté le groupe après avoir revendu tout ou partie de leur actions, note Zhang Zhouping, chercheur au China E-commerce Research Center de Hangzhou. Mais ils veulent vraiment construire quelque chose avec ces sommes d’argent. Ces jeunes visent principalement 3 secteurs : le commerce en ligne, le web sur mobile, et la finance sur internet. »
Pour accélèrer leur croissance, ils peuvent aussi s’appuyer sur de vieilles connaissances. Chen Qi, de Mogujie, a par exemple reçu un investissement (au montant inconnu) du Business Angel Li Zhiguo, lui-même ancien… d’Alibaba.
Le label « Ali » ouvre des portes et des réseaux, comme l’explique Yang Xuesong, qui a quitté Alibaba pour monter en 2004 son entreprise, Aresoft, « avec 40 000 dollars de capital de départ, principalement grâce à la revente de mes actions ». Aresoft, qui compte aujourd’hui une centaine d’employés, propose des solutions informatiques aux entreprises de finance sur internet. Yang est aujourd’hui responsable de la branche shanghaïenne du « ex-Alibaber club », un réseau de 25 000 anciens « Aliren » qui met notamment en relation investisseurs et entrepreneurs.
« Quand on s’adresse à des ex-employés d’Alibaba, on sait qu’on a affaire à des gens talentueux, juge ce quadragénaire. Nous sommes aussi un réseau d’entraide. Par exemple, si j’ai un problème de ressources humaines, de recrutement, je peux en parler à d’autres membres du club qui m’aideront. »

A l’ombre du grand arbre

De son côté, Alibaba garde un oeil sur ses anciens disciples. « Nos départements de ressources humaines maintiennent des relations avec nos anciens collègues, explique sobrement par email une porte-parole du groupe. Le but n’est pas uniquement d’établir des partenariats, mais de continuer à développer notre mission qui est de rendre le business plus facile, et partout ». Alibaba a par exemple investi l’an dernier dans la startup Treebear, fondée en 2012 par Lai Jie, 33 ans, un ancien de la maison Ali. L’entreprise propose un système de Wifi gratuit dans les centres commerciaux et les aéroports chinois. Chaque magasin ou restaurant doté du routeur Treebear offre la connection aux passants qui s’approchent de sa zone. Ces derniers reçoivent ensuite toutes sortes de promotions les incitant à franchir la porte dudit magasin. L’interface et les paiements sont assurés par… Alipay, l’application de paiement en ligne d’Alibaba. Tout le monde y gagne, selon Lai Jie, qui vise dix millions d’utilisateurs par jour d’ici deux ans !
« Un proverbe chinois affirme que les grands arbres sont parfaits pour avoir une bonne ombre. Alibaba, c’est cet arbre, commente Zhang Zhouping, du China e-commerce Research Center. Une immense compagnie a besoin de beaucoup de petites entreprises pour compléter son écosystème : des fournisseurs, des logisticiens, ou des « shopping guides », qui sont des plateformes filtrant les demandes des acheteurs, avant de les orienter vers Alibaba pour la commande finale. »

Non concurrence, représailles ou rachat

Pas question donc de chasser directement sur les terres du mastodonte Alibaba qui contrôle toujours 80% du commerce en ligne. « Je ne me vois pas comme un concurrent de Taobao », sourit Zhang Lianglun du site Beibei, en référence au supermarché en ligne d’Alibaba où l’on trouve de tout, à tous les prix, et pas toujours pour la meilleure qualité. Beibei préfère jouer sur le carte de la fiabilité en sélectionnant rigoureusement ses fournisseurs, dans un pays où les parents restent traumatisés par le récents scandales du lait contaminé, et la toxicité des produits en général. « Je vois plutôt notre relation avec Taobao comme complémentaire. Sur Taobao, les consommateurs profitent d’une grande plateforme pour satisfaire leur soif d’achat au quotidien. Nos consommateurs eux, ont besoin de produits plus ciblés, d’une plateforme plus verticale ».
Pour l’instant, Beibei n’a d’ailleurs pas souffert de représailles d’Alibaba, contrairement à Mogujie qui s’est vu privé de paiement par Alipay durant quelques mois l’an dernier. « À court terme, Alibaba n’est pas menacé. Mais dans le futur, il est possible que ce genre de tensions se fassent plus fréquent. Il est aussi possible de voir Alibaba racheter certains de ces trouble-fête. » Pas de quoi impressionner ces millionaires aux visages de poupons. Chen Qi, le co-fondateur de Mogujie a récemment avoué au Wall Street Journal avoir été approché par Alibaba. Il aurait poliment refusé les propositions de son ancien mentor.

Baptiste Fallevoz à Shanghai

Infographie sur l'e-commerce chinois.
La domination mondiale du e-commerce chinois en quelques chiffres
(Crédit : DR)

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A propos de l'auteur
Producteur, journaliste, actuellement rédacteur en chef et chroniqueur à France 24. Auparavant basé en Chine, il a été directeur général adjoint d’ActuAsia, à Shanghai puis Pékin, de 2009 à 2016. Il collaboré avec de nombreux médias français et internationaux (France 24, Arte, Associated Press, Canal +, BFM TV ou Mediapart).