Economie
Expert - Le Poids de l’Asie

 

Feu orange pour le Partenariat transpacifique

Le Président américain Barack Obama lors d’un meeting sur le Partenariat Transpacifique à l’ambassade américaine à Pékin le 10 novembre 2014, à l’occasion du sommet de l’APEC (7-11 novembre). (Crédit : MANDEL NGAN / AFP)
En refusant d’accorder au Président Obama un mandat complet de négociation commerciale ce vendredi 12 juin, la Chambre des Représentants a sapé les chances de signature du Trans-Pacific Partnership (TPP), équivalent asiatique du traité de libre-échange en négociation avec l’UE. Le TPP, le plus grand accord commercial négocié par les Etats-Unis, est à ce jour la seule illustration de la stratégie américaine du pivot vers l’Asie. Car sur le plan militaire, cette stratégie s’est limitée au redéploiement de 2500 soldats à la base australienne de Darwin. Compte tenu du calendrier électoral américain, le TPP doit être signé avant la fin de l’année 2015.

Généalogie d’un accord, de l’APEC au TPP

Après avoir longtemps pratiqué le multilatéralisme dont ils étaient les architectes, les Américains, une fois confrontés aux retards de l’Uruguay Round, ont exploré la voie bilatérale. En 1983, le Congrès a modifié une loi pour permettre à l’exécutif de finaliser un Accord de Libre Echange (ALE) avec Israël et le Canada, l’autorisant à négocier pendant une période déterminée au terme de laquelle ces accords seraient ou non ratifiés – et non amendés – par le Congrès. Cette loi, le Fast Track Negotiation Authority, renforce considérablement le pouvoir de négociation du Président.
Au sommet de l’APEC d’Hanoi en 2006, les Américains ont à nouveau proposé la construction d’une zone de libre-échange Asie Pacifique (Free Trade Area of the Asia Pacific, FTAAP) qui, comme la précédente, avait une très faible chance de succès. D’une part, les capacités institutionnelles de l’APEC ne s’étaient pas renforcées et d’autre part, le Congrès était vent debout contre un accord commercial incluant la Chine.
En parallèle, réagissant aux retards dans la mise en œuvre de la déclaration de Bogor, Singapour, la Nouvelle-Zélande et le Chili ont établi une zone d’échange préférentiel. Rejoints par Brunei, ils ont présenté le Trans-Pacific Strategic Economic Partnership Agreement à l’APEC en juin 2005. Cet accord serait resté une initiative marginale si, confrontée à l’enlisement du Doha Round, l’administration américaine ne s’y était pas associée. Confirmée par le président Obama à Tokyo (Novembre 2009), la participation américaine a convaincu l’Australie et le Pérou de s’y joindre (Mars 2010), suivis du Mexique, du Canada, du Vietnam, de la Malaisie et plus tard du Japon. Au total, douze pays dont cinq Etats asiatiques participent au TPP.

Un accord profond et « clivant »

Présenté comme un accord du XXIème siècle, le TPP est beaucoup plus qu’un accord commercial car il incorpore des dispositions « derrière les frontières ». Parmi elles, des exigences plus fortes du droit de propriété intellectuelle qui concernent les médias et les médicaments – limitant le droit d’utilisation des génériques ; des règles assurant la « neutralité concurrentielle » des entreprises d’Etat bénéficiant d’aides directes ou indirectes ; l’arbitrage entre investisseurs et Etats qui peuvent amener à remettre en cause la législation d’un pays hôte. Le TPP exige également des partenaires le respect des législations internationales sur le travail dont le droit d’association. Cet accord soulève des débats d’autant plus vifs que le secret qui entoure ces négociations est sans précédent et que les positions ne sont connues qu’à l’occasion de fuites, comme ce fut le cas sur l’investissement.
La proposition américaine a produit un clivage entre les pays asiatiques. Le Japon, la Malaisie et le Vietnam ont adhéré, les autres ont hésité parmi lesquels des alliés traditionnels des Etats-Unis : les Philippines, qui étaient réticentes devant les mesures à prendre, et aussi la Corée du Sud. Cette dernière, pourtant, avait déjà signé un Accord de libre-échange avec Washington, qui pouvait ainsi espérer de Séoul une adhésion sans grande difficulté au TPP.
Pourquoi alors cette réticence coréenne ? Deux raisons. D’une part, en adhérant au TPP, les Coréens seraient de facto en situation de libre-échange avec le Japon, alors qu’ils préfèrent négocier les termes de cet accord ; d’autre part, ils se refusent à froisser les Chinois en s’engageant dans un accord présenté par les Américains – et tout particulièrement par le Président Obama – comme une arme géoéconomique contre la Chine. Aussi ont-ils mis « deux fers au feu » en participant également au Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP), un projet asiatique d’intégration beaucoup moins profond que le TPP.
Inversement, le Vietnam, qui aura du mal à respecter les engagements pris au TPP, considère cet accord comme une défense contre son voisin chinois : Hillary Clinton avait déclaré que le TPP avait vocation à devenir un OTAN asiatique.
Les réserves des divers pays non participants pourraient toutefois tomber si le Président américain obtenait le feu vert pour négocier le TPP, mais ils devraient sans doute attendre quelques années avant d’y adhérer.

Conséquences

Depuis 2007, l’exécutif américain n’a pas reçu l’autorisation du Congrès – le Trade Promotion Authority (TPA) – et une première demande du Président Obama, faite en 2014, n’a pas été discutée. Le 12 juin 2015, le TPA a été accordé par une courte majorité de la Chambre des Représentants, mais ensuite une forte majorité (302 contre 126) a refusé le Trade Adjustment Act (TAA) qui prévoit d’indemniser les salariés de plus de 50 ans victimes du TPP – ils risquent d’être nombreux dans le secteur manufacturier – à partir de fonds prélevés sur Medicare, l’assurance santé américaine pour les personnes âgées. Or sans l’adoption du TAA, Obama n’a pas les mains libres pour négocier l’accord de partenariat asiatique. Ce vote qui partage les partis, relève aussi de la politique politicienne à Washington. La candidate Hillary Clinton a soutenu le refus des Démocrates et leur leader à la Chambre des Représentants Nancy Pelosi, qui a voté contre le TPA et le TAA, a indiqué qu’elle le soutiendrait si les Républicains appuient sa proposition de loi pour le financement de routes.
Au-delà de ces considérations, le TPP est victime de son opacité. Car même si l’on ne peut pas négocier en toute transparence – que deviendrait le poker si on ouvrait son jeu ! -, présenter l’opacité comme une justification est un argument désormais rejeté par la société civile. En effet, il peut sous-entendre qu’elle refuserait l’accord si elle en connaissait les termes. Le TPP est aussi victime des annonces exagérément optimistes faites aux Etats Unis – sur le NAFTA (l’accord de libre-échange nord-américain) – comme en Europe – sur le TAFTA ou « Grand Marché transatlantique » -, à propos des conséquences des accords commerciaux. Faites « toutes choses égales par ailleurs », ces évaluations sont bouleversées par les aléas de la conjoncture.
Venant après le fiasco de l’AIIB (la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures lancée par Pékin), le camouflet donné à Obama érode un peu plus l’image des Etats-Unis en Asie, comme vient de le rappeler le ministre singapourien des Affaires étrangères. A moins d’arrangements politiques d’ici la fin du mois de juin, le feu orange risque de passer au rouge. Ce qui signalerait l’abandon pour quelques années du projet américain, laissant la voie libre pour le projet d’intégration asiatique, RCEP, dont les modalités sont beaucoup moins ambitieuses.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).
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