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Témoin - Siau-Lian-Lang, être jeune à Taïwan

 

Taïwan : un jeune infirmier qui préfère vivre sous un ciel étoilé

A l'hôpital de Taitung où travaille Eddie, le personnel infirmier fait preuve d'une grande solidarité.
A l'hôpital de Taitung où travaille Eddie, le personnel infirmier fait preuve d'une grande solidarité. (Crédit : D.R.).

La première fois où Eddie est venu à Taïpei, il avait déjà 22 ans. Dans la capitale, il a trouvé que le ciel nocturne comptait beaucoup moins d’étoiles que celui de sa région natale de Taitung, dans le sud-est de Taïwan.
C’était en 2014, et Eddie était alors élève infirmier à Kaohsiung, la grande cité portuaire du sud-ouest de l’île. Son diplôme en poche, il a depuis travaillé quelques mois dans un grand hôpital du nord de l’île, avant de retourner à Taitung au sein d’un établissement de taille plus modeste.
Eddie en habit de travail.
Eddie en habit de travail. (Crédit : D.R.).
Eddie est né dans une famille aborigène pangcah (邦查). Aussi appelés Amis (阿美), les Pangcah sont environ 200 000 à Taïwan – soit le plus nombreux des 16 groupes de population autochtones reconnus par l’Etat. Le petit village du district de Taitung où habite la famille d’Eddie est coincé entre la chaîne de montagnes côtière et le Pacifique. On y vit simplement. A la maison, on parle l’amis, une langue austronésienne. Les samedis sont rythmés par les activités paroissiales de la Véritable Eglise de Jésus, église pentecôtiste bien implantée dans la région.

A l’âge de 16 ans, Eddie quitte le village pour Taitung, le chef-lieu du district, où il est interne au lycée. Il s’inscrit ensuite à l’université à Kaohsiung, dans une filière commerciale. « Après deux années d’études de commerce, j’ai décidé de changer d’orientation, raconte-t-il. Mon camarade de chambrée était élève infirmier et cela m’a donné envie d’apprendre ce métier. Mais cela a été très difficile et stressant car j’ai dû assimiler en deux ans ce que les autres élèves apprennent en quatre ans. Et puis, j’ai été très déçu par mes stages infirmiers. Dans les services des hôpitaux, on est très dur avec les stagiaires et la pression est intense. « 

Découragé, Eddie relâche son attention pendant les derniers moins d’études. Quelques semaines de révisions intensives avant l’examen final lui permettent toutefois de décrocher son diplôme. « Je suis chrétien et je prie donc toujours Dieu pour qu’il me donne la force », dit-il. Son diplôme en poche, il s’accorde quelques semaines de vacances en Europe avant de prendre son premier poste à Hsinchu, ville industrielle du nord-ouest de Taïwan, dans l’antenne locale d’un grand hôpital de la capitale. Le salaire est bon et la famille d’Eddie compte sur lui pour rembourser des dettes qu’elle a contractées.

contexte

Selon l’Union nationale des associations infirmières de Taïwan, seuls 61% des infirmiers et infirmières diplômés exercent cette profession, une désaffection qui s’explique avant tout par la modestie des salaires au regard des heures travaillées et par la charge de travail jugée trop importante.
Le salaire de départ d’un infirmier dépasse 40 000 TWD par mois (soit beaucoup plus que le salaire d’embauche moyen d’un jeune diplômé, inférieur à 30 000 TWD) mais de nombreuses heures supplémentaires restent impayées. Cette situation conduit à des pénuries de personnel infirmier dans 75% des hôpitaux taïwanais, selon les chiffres du ministère taïwanais de la Santé et des Affaires sociales.

« Je voulais voir la grande ville et travailler dans un gros hôpital ayant toute la panoplie des services et pratiquant de nombreuses opérations », ajoute-t-il. Mais rapidement, Eddie déchante. « Cela n’avait rien à voir avec ce à quoi je m’attendais. Les collègues étaient durs entre eux et les médecins ne traitaient pas bien les infirmiers. Ma mère a vite senti que je n’étais pas heureux là-bas. »
Eddie sur la plage en face du Pacifique.
Eddie sur la plage en face du Pacifique. (Crédit : D.R.).
« C’est mieux à Taitung, dit-il. La plupart des médecins et des infirmiers sont aborigènes. Ici, je trouve que tout le monde fait preuve de plus de gentillesse et d’empathie. Les gens sont plus purs, plus sincères. Ils ne cherchent pas en permanence à te planter un couteau dans le dos. Je suis heureux maintenant, et je peux voir ma famille toutes les semaines ou tous les quinze jours. »

A Taitung, Eddie continue de fréquenter la paroisse locale et a aussi formé un groupe de musique avec des amis. Il s’est d’ailleurs récemment produit au village musical Tiehua – un lieu de concerts en plein air dont la renommée s’étend jusqu’à Taïpei. Mais par-dessus tout, il aime se promener dans la montagne ou s’asseoir seul près d’un feu sur la plage, face au Pacifique, la tête sous les étoiles.

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A propos de l'auteur
Après avoir travaillé en France et en Chine dans le domaine de la communication et des médias, Pierre-Yves Baubry a rejoint en 2008 l’équipe de rédaction des publications en langue française du ministère taïwanais des Affaires étrangères, à Taipei. En mars 2013, il a créé le site internet Lettres de Taïwan, consacré à la présentation de Taïwan à travers sa littérature.
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