Société
Témoin – vivre en Chine

 

Chine : l'épineuse question de l'éducation

Écoliers au jardin d'enfants de l'Université des Minorités du Sud-Ouest à Chengdu en Chine.
Écoliers au jardin d'enfants de l'Université des Minorités du Sud-Ouest à Chengdu en Chine. (Crédit : DR).
J’ai reçu l’autre jour un message sur Wechat (l’équivalent chinois de WhatsApp) d’un ami de longue date avec lequel je n’avais plus discuté depuis des années.

J’ignore si vous l’avez remarqué mais les préoccupations de chaque tranche d’âge se cachent souvent derrière les premières questions que l’on vous pose. Les études et les sorties pour la vingtaine, l’amour et le boulot pour la trentaine, la retraite et les voyages pour la soixantaine et la santé (rien que la santé) à partir de 70 ans. Ne manque que la cinquantaine qui reste une période charnière, celle du milieu, durant laquelle j’ai remarqué que l’on ne savait trop quelle question poser…

La quarantaine est plutôt centrée autour des enfants (pour ceux qui en ont) et de leur éducation. Aussi, après un premier constat de surprise polie : « Tu es encore en vie, toi ?! » (pour beaucoup, survivre aussi longtemps en Chine relève du miracle…), et après avoir été épargnée par les questions jugées « hors de propos », nous sommes entrés dans le vif du sujet : « Tu ne rentres pas en France pour ton fils ? Tu comptes lui donner une éducation chinoise ?! »

Ah, l’épineuse question de l’éducation !

Partir pour mieux éduquer sa progéniture ou ne pas partir, telle est la question. Mais pour qui ? Pour les expatriés qui n’ont d’option éducative que celle des écoles internationales aux frais scolaires faramineux. Pour les couples mixtes qui sont déchirés entre le choix d’offrir une éducation occidentale à leur enfant (plus « libre ») ou une éducation chinoise (plus « contraignante »).

Je me rappelle avoir un jour croisé une Américaine avec ses deux enfants dont je devinais le papa chinois. Après une minute de conversation, et, sûrement persuadée que nous partagions les mêmes tourments existentiels, elle est tout de suite passée à la question capitale qui empêche le fameux club des « quarantenaires avec enfants » de dormir la nuit (du moins en Chine) : l’école ! Cela a d’abord commencé par une interminable litanie de doléances sur l’enseignement chinois qui acculait les enfants au burn out écolier, pour finir dans une plainte déchirante par cette terrible sentence : « Mais tu te rends compte, ils se suicident tous avant le gaokao [examen d’entrée aux établissements d’enseignement supérieur], tellement la pression est grande ! »

Mais alors, les Chinois titulaires du gaokao seraient-ils tous des zombies ? Une fois la stupeur de l’annonce tombée et l’image de mon fils en futur zombie balayée, je me suis décidée à me pencher enfin sur un sujet que je prenais jusqu’alors un peu trop à la légère : le choix de l’école primaire.

Une époque légère et insouciante touchait à sa fin, celle du jardin d’enfants où la seule inquiétude du parent est de savoir si son enfant a bien dormi, mangé ou joué… Période bénie que l’on voudrait voir durer pour toujours et qui passe, malheureusement, bien trop vite. Le passage à l’école primaire arrive brutalement, sans transition. Il y a peu, votre douce progéniture apprenait, entre deux descentes de toboggan, à écrire son nom et compter jusqu’à dix – pas plus, car le bureau chinois de l’Education recommande de ne pas trop stresser les enfants et de les laisser « profiter en toute liberté ». Désormais, fini la rigolade, c’est l’heure de passer aux choses sérieuses. Votre petit bout se retrouve dans le monde sans pitié de l’école primaire où il est requis, afin de bien préparer la rentrée, de connaître plus de 1 000 sinogrammes (caractères chinois) et de savoir déjà tout des mystères de la mathématique. Hum… J’ai dû rater un épisode car, entre le « non apprentissage » encensé au jardin d’enfants et le « tout apprentissage » de l’école primaire, qui est censé être en charge ?! La réponse est claire : les parents !

Pour une pauvre étrangère naïve, la nouvelle est tombée comme un couperet. Alors que j’avais suivi consciencieusement les recommandations du bureau de l’Education, j’expérimentais d’un coup, devant les regards ahuris des autres mamans chinoises, une théorie que je connaissais sans l’avoir vérifiée : en Chine, ne jamais suivre les directives imposées et toujours contourner… Je me trouvais alors face à une armada de mères aguerries depuis belle lurette au parcours éducatif implacable de leurs enfants. Et elles le savaient bien pour l’avoir vécu personnellement.

Se préparer à l’avance. Choisir son école primaire en fonction des options d’entrée qu’elle donne aux écoles secondaires. N’avoir l’air de rien mais, dès la sortie du jardin d’enfants et lors des week-ends, inscrire son enfant à tous les cours possibles : danse, chant, sport, lecture… Cette grand-mère, un soir au sortir de la classe, aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Alors que je ramenais tranquillement mon fils à la maison après une douce journée de labeur écolier, je la vis brusquement courir après sa petite-fille et lui crier qu’il ne fallait pas qu’elle soit en retard à son cours. Intriguée, je lui demande de quel cours il s’agit et la grand-mère de me répondre : « Je ne sais même plus, elle fait de tout ! » Je suis repartie amusée au lieu d’être alertée. Car c’est avec – ou contre ? – ces « super-little-(wo)men » que mon fils allait bientôt étudier.

En tant que Française sur le point d’envoyer mon enfant dans le système éducatif chinois, j’avais pourtant pris les précautions que je jugeais nécessaires. Des précautions « culturellement » essentielles au bon développement d’une pensée que je souhaitais libre, dans un pays qui ne prônait pas forcément les mêmes valeurs que les miennes. Je m’étais donc concentrée sur un tout autre cheval de bataille : celui de la pensée politique. Je savais par avance que le curriculum chinois comprenait des cours dits de « morale » pendant lesquels étaient enseignés des préceptes fondés sur des notions bien différentes (et éloignées) de ma propre morale. Aussi, dans le but d’imperméabiliser mon fils aux concepts qui allaient lui être inculqués, j’avais commencé à l’avertir de certaines notions historiques. Le résultat fut cependant catastrophique. A chaque représentation murale du Grand Timonier, ma descendance se précipitait sur la figure emblématique pour le frapper de ses petits poings en hurlant : « Méchant, méchant ! » Échec total.

Alors que j’étais occupée aux questions éducatives existentielles à mes yeux, d’autres apprenaient par cœur les centaines de sinogrammes qui allaient leur permettre de suivre, sans trop de peine, un curriculum éprouvant auquel je ne voulais pas encore confronter mon enfant.

Mais les glas ont sonné et il est temps de faire face à la réalité. Septembre arrive et avec lui, l’ère des tableaux noirs emplis de caractères tracés à la craie blanche et répétés inlassablement à haute voix. Et je me dis que finalement, ce n’est pas plus mal pour son hémisphère gauche et que, s’il n’a appris que quelques dizaines de caractères avant son entrée fatidique en primaire, mon fils ne s’en portera pas plus mal. Car ce n’est que d’un savoir dont nous parlons et que je lui fais confiance dans sa capacité d’apprentissage. Que, finalement, je serai disponible pour l’aider à apprendre. Et là repose le cœur de l’éducation. Elle ne sera ni chinoise ni occidentale, elle sera avant tout dans ma capacité à accompagner mon enfant tout au long de son parcours écolier, dans la façon dont je l’aiderai à surmonter les difficultés et dans l’amour du savoir que je m’efforcerais de lui prodiguer. Par les livres, par l’expérience. Par la vie.

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A propos de l'auteur
Carol Pouget vit en Chine depuis plus de 10 ans. Après avoir travaillé de nombreuses années dans des organisations humanitaires sur des projets de développement local, elle a codirigé Global Nomad, une entreprise œuvrant à la promotion de l’entrepreneuriat social dans les régions tibétaines. Elle travaille à présent dans une agence évènementielle chinoise et poursuit également sa quête d’une "autre Chine" sur son blog Chicinchina
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