Société
Témoin – Chine : le réveil social

 

Le tourisme comme nouveau remède à la pauvreté ?

La “maison forteresse” à Zhonglu d’Apple et Shuqin comme fer de lance pour redynamiser et développer le village.
La “maison forteresse” à Zhonglu d’Apple et Shuqin comme fer de lance pour redynamiser et développer le village. (Crédit : DR).
En Chine, parmi les propositions du 13ème Plan quinquennal, publiées en novembre dernier, figure un objectif pour le moins ambitieux : l’éradication de la pauvreté d’ici 2020.

En d’autre terme, le Comité central du Parti Communiste Chinois (PCC) s’est donc donné cinq ans pour sortir plus de 70 millions de ruraux de la pauvreté et leur permettre de se nourrir, de s’habiller, de s’éduquer, de se soigner et de se loger correctement. C’est un objectif ambitieux ! Et on peut légitimement s’interroger sur le timing d’une telle ambition : Xi Jinping s’est-il senti pousser des ailes après les bons résultats de son pays aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ?

En effet, la Chine aurait permis à la communauté internationale d’atteindre l’un des premiers objectifs (sur un total de huit) du programme des Nations Unies élaboré en 2000 pour combattre la pauvreté dans le monde en réduisant de 433 millions le nombre de personnes en situation de pauvreté, entre 1990 et 2011. Ce serait donc bien dommage de s’arrêter en si bon chemin d’autant que l’Empire du Milieu semble prêt à tout pour trouver son juste milieu économique et offrir durablement à chacun de ses sujets des conditions de vie décentes.

Le tourisme ou la Voie royale du Milieu

La lutte contre la pauvreté fera donc office de fil rouge dans le développement de la Chine des cinq années à venir.
Parmi les moyens utilisés pour y parvenir, le développement du tourisme semble le plus prometteur. Pour preuve, en trois ans, entre 2011 et 2014, l’activité liée au tourisme aurait permis à plus de 10 millions de personnes de sortir de la pauvreté, soit 10 % des populations dans le besoin.

Un impact non négligeable donc qui justifie l’engouement du gouvernement chinois pour ce secteur dont l’ambition est à la « démesure » de celle du plan quinquennal. Ainsi selon l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), le tourisme, à lui seul, a pour objectif de hisser 17 % du total des personnes démunies recensées fin 2014 au-dessus du seuil de la pauvreté.

Le choix, par la Chine, du tourisme comme outil de développement économique et social fait également cause commune avec la ligne de conduite fixée par le nouveau programme de développement durable des Nations Unies (2015-2030), les Objectifs du Développement Durable (ODD) qui font suite aux OMD.

Le tourisme y tient en effet un rôle non négligeable car il y est présenté comme activité majeure pour atteindre les trois objectifs (sur un total de dix-sept) suivants : promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous (ODD 8) ; établir des modes de consommation et de production durables (ODD 12) ; et également, conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable (ODD 14).

Les Nations Unies, qui ont proclamé l’année 2017 « Année internationale du tourisme durable pour le développement » soutiennent donc la Chine et son choix judicieux de mettre le tourisme au centre de son dispositif de lutte contre la pauvreté. Cette dernière sera d’ailleurs sous les feux de la rampe en 2016 avec l’organisation par l’Office National du Tourisme en Chine (CNTA) à Beijing en mai 2016 de la première conférence mondiale sur le tourisme pour le développement intitulée « Le tourisme pour la paix et le développement » et, en 2017, avec la tenue à Chengdu (province du Sichuan) de la 22e assemblée générale de l’Organisation Mondiale du Tourisme.

Un château de cartes?

Pour quelqu’un qui vit en Chine et peut, donc, directement observer les pratiques de développement utilisées pour la promotion touristique, ces nouvelles semblent pourtant plutôt inquiétantes.

En effet, bien que l’idée du tourisme comme moteur d’un développement éthique, écologique et durable puisse paraître séduisante à bien des égards, sa mise en pratique peut aussi s’avérer désastreuse.

Hisser la population rurale au-dessus du seuil de la pauvreté par la création d’emplois dans le secteur touristique, oui, mais à quel prix ? Selon quel modèle ? Car celui qui est traditionnellement appliqué en Chine semble bien loin de la notion idéale de tourisme durable à laquelle les Nations Unies font référence, celle d’un tourisme permettant de « favoriser la compréhension entre tous les peuples, de faire mieux connaître le riche héritage des différentes civilisations et de faire davantage apprécier les valeurs inhérentes aux différentes cultures ».

Ce modèle auquel je fais référence consiste généralement à transformer tout site à fort potentiel culturel en un parc de loisirs payant où, comme le souligne l’architecte Françoise Ged dans son article sur l’Ouverture au tourisme et la mise en valeur du patrimoine culturel en Chine rural “l’architecture est perçue par le bureau du Tourisme comme un faire-valoir du produit touristique et les habitants comme les promoteurs de leurs pratiques culturelles devenues objets de consommation”.

Aussi, je m’interroge et je reste sceptique… Pas sur la question de savoir si les objectifs que l’Office National du Tourisme en Chine s’est fixés seront atteints en temps et en heure (ils le sont toujours) mais sur la qualité des résultats obtenus.

Cinq ans, c’est court pour établir les bases touristiques d’un développement durable mais, malheureusement, bien suffisant pour transformer la Chine en un gigantesque parc d’attractions qui puisse satisfaire la demande d’un tourisme de masse.

Une alternative : le tourisme social

J’en étais à ce stade de mes réflexions quand j’ai rencontré Apple et Shuqin, deux jeunes femmes travaillant dans le tourisme. L’une à la tête d’une agence de voyages appelée Dragon Expeditions et l’autre, chargée de projets touristiques.

Elles me parlèrent de Zhonglu (中路), un village situé dans la vallée tibétaine du Gyarong au Sichuan, dont les célèbres tours en pierre – anciennes forteresses et greniers collectifs – constituent un patrimoine inestimable. Or, le futur touristique de ce village méconnu reste incertain car aucun modèle de développement n’a encore été décidé à ce jour.

Zhonglu est-il condamné à subir le même destin que celui de Jiaju (甲居), un village voisin de la région déjà transformé en « vitrine culturelle »?

Le temps le dira mais, pour l’instant, les habitants sont abandonnés à leur sort et dépensent des sommes folles pour détruire leurs maisons (pierres et bois) et reconstruire des maisons plus « modernes » (ciment et carrelage) qui attireront davantage les touristes rebutés, pensent-ils, par leur culture arriérée.

Symbole rétrograde ou instrument commercial, la culture et sa préservation à travers le développement touristique semble, hélas, bien compromise.

Et pourtant, rien n’est inéluctable. C’est du moins ce que croient Shuqin et Apple qui ont d’autres projets pour Zhonglu. Ainsi, après avoir fait l’acquisition d’une « maison forteresse » traditionnelle, elles ont l’intention de la transformer en un centre de formation professionnelle afin de redynamiser le village, économiquement et socialement. Elles comptent également créer des itinéraires qui passeront par le village et donneront l’opportunité aux jeunes, en devenant guides, de redécouvrir (et d’estimer) leur culture en la faisant partager aux autres.

Toutes deux ont décidé de se battre pour qu’un modèle de tourisme durable, respectueux des hommes, de l’environnement et de la culture, puisse voir le jour et être choisi par le gouvernement. Car c’est essentiellement à ce tourisme harmonieux que fait référence le programme des Nations Unies.

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A propos de l'auteur
Carol Pouget vit en Chine depuis plus de 10 ans. Après avoir travaillé de nombreuses années dans des organisations humanitaires sur des projets de développement local, elle a codirigé Global Nomad, une entreprise œuvrant à la promotion de l’entrepreneuriat social dans les régions tibétaines. Elle travaille à présent dans une agence évènementielle chinoise et poursuit également sa quête d’une "autre Chine" sur son blog Chicinchina
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