Hergé, l’Asie et nous
Ce fût une expérience que je n’oublierai jamais.
Que d’aventures dans cet album de bande dessinée : Le Secret de la Licorne ! Ce fût mon premier rendez-vous avec Tintin, le capitaine Haddock, Milou. Et les frères Loiseau.
Ce jour fût définitivement un jour très spécial, juste là avant Noël. D’ailleurs je me souviens qu’en rentrant à la maison, j’avais annoncé, triomphal, à ma mère : « j’ai lu un livre, maman, de la première à la dernière page ! ».
Et ce livre fût le premier d’une très longue série. Aujourd’hui, jamais un jour ne passe sans un livre, un roman, un essai, de la poésie, ou une BD ; et chacun de m’accompagner partout où je vais. Là où je dois attendre, que ce soit pour une demande de visa, une consultation médicale, pour un voyage en train ou en avion.
D’ailleurs, il faut bien avouer que l’album d’Hergé qui eut sur moi le plus d’influence fut incontestablement Le Lotus Bleu ; le chef-d’oeuvre de Georges Remi (Hergé de son vrai nom).
A ce sujet, une anecdote me revient. C’est en 1983, me trouvant dans le bureau de l’ambassadeur de Belgique en Chine avec Patrick Nothomb – directeur Asie (et père de l’écrivain Amélie Nothomb) – que j’ai appris la mort d’Hergé. Son traducteur était en effet un employé local de l’ambassade. C’est lui qui nous tendit le télex venu de Bruxelles.
Il pleurait. Or un chinois se cache pour pleurer. Mais, là le coup était trop fort.
« Tintin est mort », nous dit-il.
Et cette triste affirmation m’a rappelé ma dernière conversation avec Hergé. A cette époque, je lui ai dit tout ce que je lui devais, et tout spécialement au Lotus Bleu. Et lui de me demander pourquoi j’avais choisi de vivre en Asie. « Sans doute en partie à cause de vous » lui répondis-je. « Je suis flatté » me dit-il. Et il continua : « Et pour moi aussi le Lotus Bleu est, avec Tintin au Tibet, le livre qui m’est le plus cher. Oui, ce sont deux livres qui célèbrent l’amitié. Celle de Tintin pour Tchang. Et Tchang existe ».
En effet, lorsqu’à la fin des années trente Hergé décida d’écrire un album qui se passerait en partie en Chine, l’abbé Léon Gosset, aumônier des étudiants chinois de l’université de Louvain en Belgique, le mit en contact avec celui qui allait devenir Tchang (Zhang Chongren de son vrai nom).
Les deux jeunes gens devinrent rapidement des amis et Tchang fera découvrir à son compagnon une Chine infiniment plus complexe que celle des idées reçues qui traînaient alors en Occident. C’est Tchang aussi qui dessinera dans la bande dessinée tous les caractères chinois des bannières qui pendent dans les rues de Shanghaï. Pour la plupart ce sont des slogans publicitaires. Puis, vient la guerre ; le retour de Tchang en Chine et la prise du pouvoir par les communistes en 1949.
Hergé n’a jamais oublié son ami et tout ce qu’il lui devait. Pierre Assouline, dans sa belle biographie d’Hergé de résumer ainsi son sentiment : « La dette d’Hergé est inestimable. L’ingratitude lui étant un sentiment étranger, jamais il ne cessera de se dire son obligé. L’influence de Tchang est tout autant spirituelle qu’artistique. Grâce à l’ami chinois il a découvert le « vent et l’os », le vent de l’inspiration poétique et l’os de la fermeté graphique ».
Je dois pourtant bien avouer que Tintin au Tibet n’est pas l’ouvrage le plus accessible d’Hergé. C’est sans doute même le plus complexe, le plus mystique. Du yéti, animal mythique de la région, il fit ainsi un être bon, qui sauva Tchang, perdu dans la montagne après un accident d’avion. Le yéti vu par Hergé est donc tout sauf cet “abominable homme des neiges” inventé par l’anglais Henry Newman en 1921, alors qu’il était le correspondant du New Statesman en Inde.
L’un des derniers grands bonheurs d’Hergé sera de revoir son ami Tchang.
Après des années de tracasseries administratives, et soutenu par le Ministère des Affaires Étrangères, Tchang débarquera à Bruxelles en 1981.
Hergé, Les aventures de Tintin : le Secret de la Licorne, Casterman, 1943.
Hergé, Les aventures de Tintin : Tintin au Tibet, Casterman, 1960.
Pierre Assouline, Hergé : biographie, Plon, 1996.
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