Economie
Expert- Le Poids de l'Asie

"Make in India", deux ans après

Le Premier ministre indien Narendra Modi lors de la cérémonie d'ouverture de la "semaine du Make in India" à Mumbai le 13 février 2016. (Crédits : AFP PHOTO / PUNIT PARANJPE / AFP PHOTO / PUNIT PARANJPE)
Le Premier ministre indien Narendra Modi lors de la cérémonie d'ouverture de la "semaine du Make in India" à Mumbai le 13 février 2016. (Crédits : AFP PHOTO / PUNIT PARANJPE / AFP PHOTO / PUNIT PARANJPE)
En septembre 2014, le gouvernement Modi publiait le plan « Make in India » (MII) avec l’ambition de transformer la structure de l’économie indienne. Comment ? En faisant de l’Inde un pôle industriel et en portant à 25 % la part du secteur manufacturier dans le PIB d’ici dix ans. Un pari ambitieux. Deux ans après, quel est le bilan ?
En 2016, le PIB indien (en dollars courants) dépassera celui de son ex-métropole britannique et l’Inde se classera au sixième rang mondial, entre la Corée du Sud et le Royaume-Uni pour sa production manufacturière mesurée par sa valeur ajoutée en dollars courants. L’Inde n’en manifeste pas moins les symptômes de « désindustrialisation précoce », car la baisse du secteur manufacturier dans le PIB n’est plus une évolution circonscrite aux pays avancés. On la constate en Afrique, mais aussi en Amérique latine et, depuis 1997, dans plusieurs pays asiatiques. Paradoxalement, en Inde où l’industrie était la priorité des plans quinquennaux depuis l’indépendance, après avoir augmenté, la part du secteur manufacturier dans le PIB s’est stabilisée autour de 17 % depuis plusieurs années. Un pourcentage bien plus faible que celui constaté dans d’autres pays émergents ayant un niveau de revenu comparable.

La faiblesse relative du secteur manufacturier est préoccupante pour l’Inde car l’urbanisation et l’élargissement de la classe moyenne augmenteront la demande des produits manufacturés – depuis l’électroménager jusqu’à l’automobile en passant par l’électronique -, ce qui creusera le déficit commercial. Visant à interrompre cette évolution, le programme MII a été accompagné par des mesures de libéralisation des investissements directs étrangers (IDE). Longtemps perçus comme un mal tolérable, les IDE sont considérés comme la solution à la désindustrialisation par le gouvernement Modi. Il espère qu’une plus grande ouverture provoquera un l’afflux d’IDE et que les entreprises étrangères utiliseront l’Inde comme un tremplin vers le reste du monde. Le pays deviendrait alors le bureau et l’atelier du monde au moment où les hausses de salaires érodent la compétitivité chinoise.

Depuis l’élection de Modi, la croissance indienne s’est accélérée : en 2016, avec 7,3 %, l’Inde a rattrapé la Chine. Bien sûr, il faut manier ces statistiques avec prudence dans les deux pays ! Lorsqu’elle était dirigée par Rajan Raguram, la Reserve Bank of India (RBI) a émis des doutes sur la mesure de la croissance par l’office indien des statistiques. Contrairement à ce qu’espéraient les électeurs de Modi, cette performance ne s’est pas accompagnée d’une amélioration sur le front de l’emploi.

Graphique représentant la croissance du PIB et du secteur manufacturier en Inde, entre 2012 et 2016
Graphique représentant la croissance du PIB et du secteur manufacturier en Inde, entre 2012 et 2016
L’accélération indienne doit beaucoup à la réduction de la facture pétrolière : 8 points de PIB avant l’élection de Modi et deux fois moins en 2016. Cet allégement a boosté la consommation. Par ailleurs, un afflux de capitaux a donné un coup de pouce à l’investissement (la formation brute de capital fixe) qui a très vite fait long feu et s’est contracté au premier semestre 2016. Décidé sans l’aval de la RBI, la démonétisation surprise de la fin de 2016 pèsera sur l’investissement du secteur informel qui vit en cash.

La situation des infrastructures est un des obstacles à l’industrialisation. La nouvelle administration a accéléré la mise en chantiers des projets avec des progrès indéniables dans l’extension du réseau routier, dans les chemins de fer – le chantier du train à grande vitesse Mumbai-Ahmedabad pourrait débuter en 2017 –, dans les installations portuaires ainsi que dans les aéroports. Cependant, les difficultés d’accès au foncier ralentissent la réalisation des grands projets comme le futur aéroport de Mumbai.

La croissance a-t-elle dopé l’industrialisation ?

Non. Entre 2014 et 2016, la croissance du secteur manufacturier a été un peu inférieure à celle du PIB ; aussi sa part dans le PIB a-t-elle légèrement diminué. Qu’en est-il des exportations ?

Après avoir augmenté rapidement, les exportations indiennes de service – difficiles à mesurer, elles sont évaluées à 150 milliards de dollars en 2015 par l’OMC – progressent lentement. Quant aux exportations de biens, elles chutent depuis 2014. Exception faite de la taille du diamant qui s’insère dans une chaîne allant de l’Afrique du Sud à Anvers, ces exportations sont peu intégrées aux chaînes globales de valeur, aussi souffrent-elles peu du ralentissement de la Chine qui est pour l’Inde un débouché très modeste : 8,3 % en 2016, Hong Kong inclus. Par contre, l’Inde bénéficiera de l’érosion chinoise dans les secteurs à haute intensité de main-d’œuvre, ce qui a déjà lieu dans le textile, l’habillement et la chaussure. Depuis 2011, sa part du marché mondial de l’habillement a ainsi progressé de 0,5 point, de 3,4 à 3,9 %, une augmentation de 2 milliards de dollar de ses exportations. Ce n’est pas négligeable mais bien inférieur à ce que font le Bangladesh ou le Vietnam. Les donneurs d’ordre hésitent encore à s’engager ou sous-traiter en Inde.

Graphique représentant les exportations de biens et de services indiens entre 2000 et 2016
Graphique représentant les exportations de biens et de services indiens entre 2000 et 2016
Selon la RBI, l’Inde a attiré 55,5 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (réinvestissement inclus) pendant l’année budgétaire 2015-2016 au lieu de 36 milliards deux ans auparavant. Comme pour la Chine, ces chiffres masquent parfois des « aller-retours » de capitaux indiens qui, partis à Maurice (ou à Singapour), reviennent en Inde. L’investissement étranger a augmenté et sa composition ne s’est pas modifiée. Depuis 2014, les trois quarts vont aux services – dont le commerce – et le secteur manufacturier en a attiré moins d’un quart avec en tête la construction automobile, suivi par la chimie et la pharmacie. L’équipement électronique (de l’électronique grand public jusqu’aux ordinateurs) en a attiré moins d’1 % et le matériel de défense encore moins alors que l’Inde est l’un des plus grands importateurs d’armes au monde.

On ne change pas une équipe qui gagne : les entreprises étrangères privilégient les secteurs qui sont la force traditionnelle de l’Inde. D’une manière générale, les IDE suivent les tendances et tant que les entreprises indiennes n’investiront pas massivement dans le secteur manufacturier, les étrangers hésiteront à le faire.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).