Economie
Expert - nouvelle asie

La fin du TPP : un non-événement aux conséquences majeures

Le premier ministre japonais Shinzo Abe lors d'une session de questions réponses au parlement le 24 janvier 2017, peu après l'annonce de Donald Trump de signer la sortie américaine du TPP.
Le premier ministre japonais Shinzo Abe lors d'une session de questions réponses au parlement le 24 janvier 2017, peu après l'annonce de Donald Trump de signer la sortie américaine du TPP. (Crédit : AFP PHOTO / TORU YAMANAKA)
Donald Trump l’avait promis pendant sa campagne électorale, il a tenu parole dès son entrée à la Maison-Blanche : il a signé le 23 janvier un document qui met fin à la participation des Etats-Unis au Traité de libre-échange Transpacifique (TPP).
Cette décision met de facto fin au traité, qui avait été mis en place à l’initiative de l’administration Obama et rassemblait douze Etats soit, aux côtés des Etats-Unis, le Canada, le Mexique, le Pérou, le Chili, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, Singapour, la Malaisie, le Vietnam et Brunei. Si le choix de Donald Trump de mettre un terme à un accord dont il a dénoncé le contenu n’est pas en soi un évènement majeur, il donne un avant-goût de ce que sera la politique américaine en Asie-Pacifique, et ouvre une nouvelle ère dans le rapport de force avec la Chine, contre laquelle le TPP avait été pensé. En ce sens, ses conséquences seront majeures, et pas uniquement limitées aux échanges économiques et commerciaux.

Le TPP, un traité limité

Lors de sa signature, qui concluait un long cycle de négociations, le TPP fut présenté comme un accord de libre-échange rassemblant plus de 800 millions de personnes, et pesant autour de 40% du PIB mondial. Mais derrière ces chiffres à première vue impressionnants se cache la réalité d’un traité à la portée limitée, en particulier sur son volet asiatique. Seuls cinq pays du continent l’ont signé, et le Japon est parmi eux le seul membre du G20. La Corée du Sud, qui a déjà un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, n’en fait pas partie, l’Indonésie non plus, et la Chine en fut délibérément exclue, l’objectif du TPP étant précisément de constituer un front face à la montée en puissance de la Chine dans ses aspects économiques et commerciaux à échelle de son continent (et accessoirement du monde). En clair, le TPP était beaucoup plus modeste dans ses leviers que dans ses ambitions, et pouvait même sembler dérisoire en comparaison avec l’intensification des échanges entre la Chine et ses voisins qu’il avait vocation, mais pas les moyens, de contrer.
Côté américain, ce traité était présenté comme un moyen de relancer l’économie. Selon la commission américaine du commerce international (USITC), le TPP aurait permis aux Etats-Unis d’accroître le PIB de 0,15% d’ici 2032, et de gonfler ses exportations de 1%. Au-delà du fait que cela reste relativement modeste (si nous parlons bien ici de 40% du PIB mondial), ces estimations restent discutables, et n’apportent pas nécessairement de plus-value par rapport à la multiplication d’accords bilatéraux, à la manière de celui qui existe avec la Corée du Sud.
Dans son contenu ensuite, l’accord contient 30 chapitres qui portent sur la réduction des droits de douanes, mais aussi la propriété intellectuelle, l’environnement, le droit du travail, l’accès aux marchés publics, ou encore un accord de protection des investissements. Sur ces différents points, on relève de multiples zones d’ombres aux effets incertains sur l’économie et l’emploi aux Etats-Unis justifiant la posture de Donald Trump, mais aussi un grand flou sur la capacité de certains pays signataires de « se mettre au niveau », compte-tenu des immenses déséquilibres économiques et sociaux entre les 12 membres, auxquels s’ajoutent des disparités politiques majeures. Bref, le TPP avait été, avant même sa signature, dénoncé par ses détracteurs comme un accord mal conçu, et difficilement applicable.
Rappelons enfin que ce traité, signé à Auckland fin février 2016, n’est pas encore entré en vigueur, et son annulation confirme un statut de mort-né plutôt qu’un retour en arrière. Pour ces différentes raisons, la décision de Donald Trump n’est pas spectaculaire, car annoncée, et elle ne concerne pas non plus un traité dont il est possible de mesurer la portée.

La Chine en embuscade

La Chine n’a pas tardé à prendre les devants dans cet après-TPP qui se profile, anticipant même le retrait annoncé des Etats-Unis. Ainsi, à l’occasion d’un sommet de l’APEC les 21 et 22 janvier, et quelques jours après ses propos lors du forum de Davos, le président chinois Xi Jinping a invité son pays et ses voisins à mettre en place un partenariat économique régional intégral. Le projet est ambitieux, puisqu’il doit inclure en plus de la Chine, les pays de l’ASEAN, l’Inde et l’Australie. Et il rejette dans le même temps toute participation des Etats-Unis (que l’on imagine difficilement Donald Trump cautionner de toute façon). Cette position de Pékin n’est pas surprenante, d’abord parce que la Chine a toujours perçu, à raison, le TPP comme directement dirigé contre elle, mais aussi parce que les dirigeants ont multiplié les initiatives de leur côté, afin justement de le contrer.
L’annonce de l’administration Trump est donc une victoire pour Pékin, qui voit le terrain se dégager, et on peut aisément imaginer que de nombreux membres du TPP vont se rapprocher de la Chine, avec laquelle ils entretiennent déjà des relations économiques et commerciales très importantes. Des pays comme Singapour, la Malaisie, l’Australie, et même le Vietnam ont ainsi déjà manifesté leur intérêt pour l’initiative de Pékin, tournant ainsi très rapidement le dos au TPP. Et les autres membres de l’ASEAN suivront. Au final, à l’exception du Japon qui se retrouve orphelin du TPP, en dépit des efforts de Shinzo Abe, premier dirigeant étranger étant venu féliciter à New York Donald Trump après son élection, les pays asiatiques ont déjà remplacé les Etats-Unis par la Chine comme partenaire économique et commercial vers lequel ils vont se tourner.
Il convient d’ajouter à ces intentions chinoises les multiples initiatives entreprises depuis quelques années, dont la création de la Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures (AIIB) est la plus significative. Là aussi, les pays asiatiques y sont quasiment tous membres (à l’exception du Japon), et les Etats-Unis n’en font pas partie (à l’inverse des principales économies européennes). Si le TPP disparait, l’AIIB va de son côté poursuivre ses activités et même se renforcer, ce qui illustre encore le poids grandissant de la Chine dans son environnement régional, que le TPP n’est jamais parvenu à remettre en question. L’accord mis sur pied par le tandem Obama-Clinton faisait sens en ce qu’il cherchait à contrer l’expansion chinoise, sa disparition laisse la porte grande ouverte à Pékin.

La fin du pivot vers l’Asie

Reste la portée politique de la décision de Donald Trump, qui signe ni plus ni moins l’arrêt de mort de la stratégie du pivot, initiée dès l’arrivée au pouvoir de Barack Obama en 2009 et la tournée d’Hillary Clinton (sa première en tant que Secrétaire d’Etat) en Asie (Japon, Corée du Sud, Chine et Indonésie), et officialisée en 2011. Le TPP fut présenté comme l’une des principales concrétisations de cette stratégie de repositionnement en Asie, aux côtés d’accords stratégiques avec différents pays de la région. Alors en campagne, Donald Trump a violemment condamné la présence militaire au Japon et en Corée du Sud, en accord avec les partenariats stratégiques en vigueur avec ces deux pays, ainsi que le parapluie nucléaire américain dont bénéficient Tokyo et Séoul (dans le cas d’une éventuelle agression nord-coréenne). Trump a même suggéré que ces deux pays prennent en main leur destinée sécuritaire, quitte à se doter de l’arme nucléaire pour faire face aux gesticulations de Pyongyang.
En Asie du Sud-est, la stratégie du pivot a démontré ses limites fin 2016, avec le revirement des Philippines, lorsque Rodrigo Duterte a fait savoir, lors de sa visite officielle à Pékin (20 octobre 2016), qu’il tournerait le dos aux États-Unis, l’allié traditionnel, et qu’il se rapprocherait de la Chine. Certes, la Chine est un voisin encombrant, mais Manille ne peut l’ignorer, d’autant que sa capacité d’investissement (ainsi que l’aide au développement), jamais défaillante, est difficile à refuser. Il a été suivi de quelques jours par le Premier ministre malaisien, Najib Razak, qui a annoncé depuis Pékin, où il était lui-aussi en visite officielle, l’établissement de liens militaires plus étroits avec la Chine. Ces revirements traduisent le peu de crédit que les alliés de Washington placent dans la nouvelle administration Trump et sa politique asiatique. Et c’est la Chine qui en est le principal bénéficiaire.
Reste donc à savoir à quoi ressemblera la relation entre les Etats-Unis et la Chine, étant donné que la « politique asiatique » de Washington est avant tout une politique chinoise.
Pour l’heure, la Chine est plus à la recherche d’un compromis que d’une confrontation, mais un compromis qui se ferait assez nettement à son avantage, traduisant ainsi la position de force dans laquelle l’empire du milieu se trouve en Asie-Pacifique. L’Armée Populaire de Libération (APL) verrait même d’un bon œil une sorte de « Yalta du Pacifique » dans lequel le Pacifique Est serait sous tutelle américaine, et le Pacifique Ouest sous tutelle chinoise, ce qui marquerait le leadership chinois sur la rive asiatique, mais dans le même temps impliquerait de plus grandes rivalités entre les deux pays dans le Pacifique. La stratégie du pivot semblait être une réponse par la négative à ce partage du Pacifique, et était dès lors être perçue à Pékin comme une volonté manifeste de renforcer la rivalité. Et pourtant, la question d’un grand bargain est souvent évoquée dans les cercles stratégiques et académiques américains défendant les thèses réalistes. En mettant fin au TPP, Trump ne fait que relancer l’idée selon laquelle ce grand bargain pourrait rapidement devenir le fondement de la politique étrangère américaine en Asie.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Barthélémy Courmont est maître de conférences à l'Université Catholique de Lille, Directeur de recherche à l'IRIS où il est responsable du pôle Asie-Pacifique, il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles sur les enjeux sécuritaires et les questions politiques en Asie orientale. Il vient de publier avec Éric Mottet, "L’Asie du Sud-Est contemporaine", aux Presses universitaires du Québec.