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Corée du Sud : la liste noire de l'agitation sociale dans le cinéma

Le réalisateur sud-coréen Park Chan-wook (au micro) lors le 20 août 2013 lors d'une conférence de presse pour la promotion du projet "Seoul: Our Movie" à Seoul. (Crédits : AFP PHOTO / JUNG YEON-JE / AFP PHOTO / JUNG YEON-JE)
Le réalisateur sud-coréen Park Chan-wook (au micro) lors le 20 août 2013 lors d'une conférence de presse pour la promotion du projet "Seoul: Our Movie" à Seoul. (Crédits : AFP PHOTO / JUNG YEON-JE / AFP PHOTO / JUNG YEON-JE)
Une liste noire de cinéastes et d’acteurs a été révélée au début du mois d’octobre dernier en Corée du Sud à la veille des manifestations géantes visant à faire tomber la présidence. Alors que le processus de destitution de Park Geun-hye a été lancé par l’Assemblée nationale depuis le 9 décembre, la presse sud-coréenne reparle de cette liste ce lundi 19 décembre (lire aussi notre article suite à la lettre aux journalistes étrangers de la ministre sud-coréenne de la Culture).
Comédiens et cinéastes dont certains célèbres comme l’acteur Song Kang-ho (Snowpiercer) ou les réalisateurs Park Chan-wook (The Handmaiden) et Lee Chang-dong (Poetry) auraient été repérés par les services gouvernementaux pour leur implication dans des activités liées à l’opposition politique. Tous les projets portant leurs noms auraient été annulés ou mis en attente pour des raisons liées à l’agitation sociale actuelle et leur étiquetage comme opposants au régime. Cela révèle l’attention que portent les gouvernants au milieu du cinéma, et donc le danger potentiel de ce milieu s’il venait à se mêler aux rassemblements massifs qui ont lieu tous les samedis depuis deux mois contre Park Geun-hye. Cette actualité n’est pourtant que la continuation d’une histoire du cinéma sud-coréen imbriquée depuis longtemps à l’histoire des mouvements sociaux dans le pays. C’est vrai depuis la colonisation japonaise sous laquelle le cinéma coréen a vu le jour, en passant par la division du pays et par les dictatures qui ont suivi, jusqu’à nos jours.
L’affaire ne relève pas seulement de la conjoncture politique. Rappelons un contexte culturel plus anciennement ancré en Corée : celui de l’idéologie néo-confucianiste. Le néo-confucianisme, devenu culture nationale aux alentours du XVème siècle, n’attribue pas de place à l’artiste en général. Comme pour Platon dans sa république idéale, l’artiste est mal venu, voire parasitaire à l’égard du bon fonctionnement du système social. Dans le néo-confucianisme, il n’est toléré que dans la mesure où il est utile à la société d’une manière ou d’une autre par le biais de ses créations. On est loin de la vision romantique de l’artiste occidental. Ce trait fondamental qui responsabilise l’artiste vis-à-vis de la communauté n’empêche pas les conjonctures socio-politiques d’avoir des effets sur la nature de ses créations.

Une relation ancienne entre les luttes de pouvoir et le cinéma

Les observateurs avertis de la Corée du Sud savent que la corrélation entre les films locaux et les luttes de pouvoir ne date pas d’hier. Inspirés par les cinémas de « libération » marxistes et tiers-mondistes d’Amérique du Sud (Cinema Novo, Fernando Solanos, Glauber Rochas, Octavio Getino), eux aussi en butte à la dictature, une génération – presque – entière a commencé à faire du cinéma dans les années 1980 sous la bannière de la contestation sociale. Les dictateurs de l’époque décidaient des distributeurs et des sociétés de production autant que des contenus des scénarios sous le prétexte de la défense du cinéma national (système des quotas de films étrangers). Les jeunes cinéastes (Park Kwang-su, Jang Sun-woo, Lee Eun, Hong Ki-son ou Chung Ji-young) avaient alors profité du système de quotas obligeant les sociétés de production à produire à la chaîne et à bas coûts pour exprimer le mécontentement profond de la société. Chilsu et Mansu, un long-métrage Park Kwang-su sorti en 1988, reste un film-phare pour cette mouvance : deux jeunes ouvriers sont en rupture avec la société ; l’un est brimé parce que son père est accusé d’être communiste ; l’autre est dépendant de l’argent de sa sœur prostituée pour les soldats américains basés massivement dans le pays.

Toute une série de films vont mettre en scène des personnages de la classe ouvrière en butte aux malversations des dictatures (Night Before the Strike de Lee Eun, Kuro Arirang de Park Jong-won, Black Republic encore de Park Kwang-su, Sorrow, Like a Withdrawn Dagger… de Hong Ki-son, A Petal de Jang Sun-woo, etc). Le point final du mouvement sera le film Peppermint Candy de Lee Chang-dong en 2000, et l’histoire à rebours d’un homme lambda traître et opportuniste pour n’avoir jamais pu se libérer de son aliénation sociale. Cette articulation étroite entre des pouvoirs en place très regardant sur ce qui pouvait être diffusé dans le pays (c’est l’âge d’or des mélodrames moralistes et conservateurs mais aussi des films hollywoodiens à grand spectacle éloignés des réalités sud-coréennes) et une jeunesse à la recherche de moyens d’expression de masse, a fait du cinéma sud-coréen un enjeu politique (la plupart des histoires du cinéma sud-coréen font une large part à l’histoire politique du pays), et cela jusqu’à nos jours, même si l’on peut distinguer des évolutions de cette relation.

Le tournant du milieu des années 2000

L’interaction la plus récente entre les mouvements sociaux et le cinéma a débuté aux alentours de l’élection de Lee Myung-bak à la présidence en 2008 ; élection qui marquait la défaite du camp démocrate et de ses deux présidents (Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun). Ce regain d’activisme politique arrivait après une dizaine d’années durant lesquelles les films sud-coréens s’étaient éloignés des considérations socio-politiques dans un contexte plutôt apaisé. Cette période correspond à l’émergence des films d’auteurs, à la diversification des genres (science-fiction, action-comédies, road-movies, etc.) et à l’augmentation du nombre de sociétés de production comme du coût des films. Après l’élection du président démocrate et catholique Kim Dae-jung en 1998, nombre de cinéastes de l’opposition politique se sont « institutionnalisés » en devenant cinéastes presque officiels avec en charge de donner une nouvelle version de l’histoire politique du pays en rupture de celle traditionnelle à la gloire des dictateurs. Verront alors le jour les films The Uprising de Park Kwang-su ou Peppermint Candy de Lee Chang-dong ; ce dernier deviendra un éphémère ministre de la Culture.

La campagne électorale est très virulente en 2007-2008. L’échec sème la discorde dans les rangs démocrates. Du côté du cinéma, la présidence Lee Myung-bak correspond à un renforcement des monopoles de distribution et de production. Les groupes CJ Entertainment, Showbox ou encore Lotte se retrouvent grands maîtres du cinéma sud-coréen. Au niveau des salles aussi, les monopoles de CGV, Lotte encore et Megabox deviennent quasiment exclusifs (notons que la loi anti-trust sud-coréenne a été assouplie en 2008 dès l’élection du nouveau président). Les auteurs reconnus internationalement se tournent vite vers les productions étrangères et le soutien des festivals internationaux. C’est alors qu’apparaissent, peu à peu, des films de critique sociale, à petits budgets, s’adressant au public qui ne digère pas la défaite des démocrates et le retour des monopoles économiques. Ce public, en allant dans les salles, va soutenir ces « petits » films mettant en question le gouvernement et les monopoles. Le mouvement va prendre de l’ampleur à la fin du mandat de Lee Myung-bak, lorsque la candidature à la présidence de la fille de l’ancien dictateur est annoncée.

Mais l’exceptionnelle poussée de ces films à travers les lignes de blockbusters diffusés par les monopoles ne suffira pas à éviter l’élection très contestée de la nouvelle présidente sud-coréenne en 2013. Le mouvement va pourtant continuer tant bien que mal sur deux voies : d’abord en rebondissant avec le naufrage du ferry Sewol en 2014 (304 morts à majorité des enfants et la mise en accusation du gouvernement pour mauvaise organisation des secours), jusqu’à la découverte de la liste noire du cinéma qui frappe ceux qui y ont participé ; puis en poussant (au vu d’entrées non négligeables au box-office) les productions « non contestataires » à intégrer une dimension critique dans leurs scénarios. Que ce mouvement soit concerté ou non, on peut cerner les formes types qui font interagir l’effervescence politique du pays et de nombreux films depuis 2008.

La critique sociale dans les films récents

Ces dernières années, la nouvelle vague de films de critique sociale est portée par quelques nouveaux noms mais aussi, en grande partie, par des « rescapés » des films du mouvement démocratique des années 1980-90. Ces derniers agissent dans diverses fonctions : réalisateurs, producteurs ou distributeurs. Il est possible de différencier trois grandes catégories de films récents comportant des éléments liés à la critique du gouvernement, de l’organisation sociale actuelle et au soutien du mouvement de contestation.

Le portrait d’une société en souffrance. Im Sun-rye (ou Yim Soon-rye), rare femme cinéaste du cinéma sud-coréen, a été active dans les années 1990 dans le mouvement démocratique avec des films comme Trois amis et Waikiki Brothers, des bromances face au service militaire pour le premier et face aux difficultés d’une vie de musicien dans la misère pour le second. Après un passage à vide comme beaucoup de cinéastes de cette génération au tournant des années 2000, elle est la première à marquer son retour au lendemain de l’élection de Lee Myung-bak avec deux films (à petits budgets) de critique sociale : Fly Penguins (2009) et surtout Rolling Home With a Bull (2010). Le premier fait le portrait de personnes lambda dont la vie est gangrenée par l’argent : une mère qui s’acharne sur l’éducation de son fils dans le but de faire de l’argent ; un père qui n’a plus que les « hoesik » (dîners des employés) comme amusement quand toute sa famille le considère comme une pompe à fric ; des vieux qui s’entre-tuent pour masquer leur misère, etc.

Dans Rolling…, il s’agit d’une fable très réaliste sur un fils de paysan qui n’a le choix qu’entre se marier à une pauvre migrante vietnamienne (à travers une traite des femmes organisée par les agences profitant des réticences des Sud-Coréennes à convoler avec des fermiers ou des hommes pauvres en général) ou vendre la seule vache de son père pour refaire sa vie en ville. Si le premier film, trop ironique, est passé inaperçu ; le second, grâce au symbole de la vache (utilisé pour guider bouddha, dans la symbolique bouddhiste) et à une relecture d’un docu-fiction moralisateur Old Partner sorti avec succès peu auparavant (des jeunes y apprennent à respecter leurs vieux parents fermiers) a retenu l’attention du public cinéphile.

Dans le même registre, et en faisant progresser les entrées jusqu’à 50 000 (sans compter les nombreux visionnages en VOD), Clown of a Salesman de Jo Ji-chun (2015) fait le portrait d’un petit vendeur arrivé au bout de la chaîne d’exploitation. Pour préserver son travail, il doit se ridiculiser en amusant de vieilles dames pour leur vendre le papier toilette en promotion : le fond de la misère psychologique des employés sud-coréens mis à nu sans fard.

Les films Haemoo (2014) de Shin Sung-boo et A Girl at my Door (2014) de la nouvelle réalisatrice July Jun firent plus d’entrées (respectivement 1 500 000 et 100 000) en évoquant la misère sociale sud-coréenne à travers le phénomène, relativement nouveau, de l’immigration. Le nombre d’étrangers vivants en Corée du Sud a triplé ces dernières années (environ 3 millions en 2016). Nombre d’entre eux sont de pauvres travailleurs exploités sous diverses formes. Haemoo, produit par Bong Joon-ho (auteur de The Host, Snowpiercer) démonte la chaîne d’exploitation des migrants aux passeurs dont le ressort est au cœur d’une misère que les autorités ne veulent pas voir ou entretiennent. A Girl at my Door produit par Lee Chang-dong (auteur de Peppermint Candy, Secret Sunshine) aborde le même sujet mais plus maladroitement, en y impliquant une jeune policière idéaliste paumée (l’actrice internationale Bae Doo-na (Air Doll, Cloud Atlas), signe de la crise de l’autorité.

The Flu de Kim Seong-su (2013) et Cart (2014) d’une nouvelle réalisatrice Boo Ji-young, mettent en cause directement le gouvernement comme auxiliaire de police et de justice des dirigeants. Dans The Flu, une épidémie de grippe ravage une partie du pays. Secrètement, le gouvernement décide le cloisonnement puis l’extermination des populations vivant dans les régions touchées. Finalement, informés, les « infectés » décident de marcher sur Séoul, la capitale des nantis. Prémonition des manifestations actuelles, une marche de la colère sur les autoroutes géantes qui mènent à Séoul (et stoppée par l’armée) est une des scènes frappantes du film comme celle d’un stade rempli de cadavres de gens exterminés sciemment par le gouvernement (le film fit plus de 2 millions d’entrées). En racontant par le menu l’histoire vraie d’une grève de caissières dans un hypermarché, Cart accuse clairement les autorités judiciaires comme policières d’être du côté des patrons. Et le film se termine sur un assaut désespéré mais joyeux des caissières en grève contre les rangs des policiers anti-émeutes (le film fit près d’un million d’entrées).

A l’attaque des riches héritiers. C’est en précurseur que le film No regret de Leesong Hee-il en 2006 a montré la possibilité d’une critique directe de la nouvelle bourgeoisie sud-coréenne en la personne de riches héritiers de l’industrie et du commerce. No regret joue la carte de l’agitation sociale sur deux tableaux : la mise en scène de héros homosexuels et bisexuels d’un côté, et de l’autre, la représentation d’ouvriers exploités à la fois économiquement et physiquement par leurs patrons. Le film, à très petit budget (100 000 euros) engrangea 45 000 entrées (400 000 euros). Un nouveau personnage de méchant est né, lié à la critique de plus en plus directe et virulente de la deuxième génération des possédants (les héritiers des chaebol, les conglomérats sud-coréens).

Cette diabolisation est devenue autant outrancière que ludique et exorcistique quand des films commerciaux ont récupéré ce nouveau méchant dans leurs fables moralistes. Dans cette catégorie, citons Veteran, un film qui en obtenant un énorme succès en 2015 (13 millions d’entrées) en est l’acmé : un petit flic prend en grippe un héritier arrogant (et stupide) et, de manière irréaliste mais satisfaisante pour un public qui se place d’avance du côté des « petits », finit par déboulonner le dirigeant intouchable. Des productions commerciales « non contestataires » tentent de récupérer le mouvement en intégrant des aspects critiques à leurs scénarios ; ce qui pimentent leurs habituelles recettes faite de star-system et de promotion à outrance, et leur ramène de grosses rentrées d’argent. Notons que la contestation qui touche actuellement la présidente Park ébranle aussi les monopoles accusés d’avoir fait de la chef de l’État leur paravent. Même un film de zombies (à succès) comme Train To Busan, et qui reprend la structure de lutte des classes du film Snowpiercer (que nous évoquerons plus bas) a son méchant riche sous les traits d’un politicien et ses supporters.

Les auteurs à la rescousse

Les auteurs reconnus de la fin des années 1990, comme Kim Ki-duk, Bong Joon-ho, Kim Jee-woon et Park Chan-wook, viennent aussi jeter de l’huile sur le feu de la contestation sociale. Il s’agit également d’une sorte de récupération à la manière des films commerciaux, les auteurs étant eux-mêmes plus ou moins dépendants du système dominant. Park Chan-wook avait déjà abordé la critique sociale avec Sympathy for M. Vengeance et son histoire de terrorisme politique. Mais après un film de vampires (Thirst) et un film hollywoodien (Stalker) qui l’avaient éloigné de l’actualité sud-coréenne, il y revient au bon moment et de manière subtile avec The Handmaiden, film de festival certes, mais aussi une représentation de l’époque de la colonisation japonaise avec ses collaborateurs coréens.

Cette période souvent taboue au cinéma, a beaucoup d’implications auprès du public sud-coréen qui sait que la plupart des riches familles du pays sont issues des milieux collaborationnistes. La reconstitution historique fait donc écho à une critique sociale très actuelle (Park Chan-wook est d’ailleurs sur la liste noire du gouvernement). Kim Jee-woon qui doit sa renommée aux films de genre s’est lui aussi, en 2016, accaparé le nouveau personnage du collaborateur avec une pseudo biographie de l’un d’entre eux dans Ages of the Shadows. Le traître et tortionnaire de résistants coréens trouve sa rédemption à la fin, mais le public n’est pas dupe : le film retourne le couteau dans une plaie encore ouverte (Kim Jee-woon figure aussi dans la liste noire). Bong Joon-ho a frappé deux fois en faveur de la critique sociale actuelle : son Snowpiercer bien qu’il soit un blockbuster international adapté d’une BD française, fait écho à la situation coréenne. De nombreux clins d’œil ramènent sa dystopie au cœur des conflits sociaux locaux (une division sociale visible et assumée, l’autoritarisme, la nourriture industrielle bon marché, la compromission des chefs de l’opposition, etc). En parallèle, en tant que producteur, il avait sorti Haemoo vu plus haut.

Pour sa part, Kim Ki-duk, grand portraitiste des déviants et des marginaux, connaît sans sourciller sont plus grand échec au box-office avec un film à clef et un brûlot anti-establishment One on One. Kim Ki-duk a affirmé à la presse que le film était basé sur un complot fasciste qui a failli prendre le contrôle de la Corée du Sud. Le cinéaste entretient, en parallèle, une critique du régime plus anciennement active mais spécialement pertinente aujourd’hui, celle du rapport à la Corée du Nord. La politique nord-coréenne d’ouverture voire d’entente cordiale (que défendent les films de Kim) a été réduite à néant par les présidences Lee Myung-bak et Park Geun-hye. Kim Ki-duk a produit Poongsan, film de son assistant sur un messager entre familles séparées du Sud et du Nord ; il a dirigé en 2016 The Net où un pauvre pêcheur nord-coréen découvre les misères psychologiques et matérielles du Sud.

Echos à des scandales de corruption mêlant le gouvernement. Dogani de Hwang Dong-hyuk, en 2011, ouvre la série de films basés sur des scandales médiatiques impliquant directement le gouvernement. Cette affaire de viol « institutionnalisé » d’enfants handicapés dans une école de Gwangju, relatée dans un roman de la nouvelliste d’opposition Gong Ji-young, implique directement une corruption généralisée des institutions jusqu’au plus haut niveau. Bien que le film cherche à ne pas trop politiser l’affaire en jouant sur les bons sentiments et le voyeurisme avec star (Gong Yoo) à la clef, il provoque l’ire du public (4 500 000 entrées), la réouverture de l’affaire et la condamnation des personnes impliquées (mais sans remonter au sommet des institutions).

Peu de temps après sort Unbowed (2012) où l’on retrouve un vétéran du cinéma contestataire, Chung Ji-young qui ne rate pas son retour : le film relate une affaire de corruption au niveau des universités et du ministère de l’Éducation. Là aussi, le gouvernement est accusé d’avoir couvert l’affaire pour protéger l’oligarchie.

Les affaires se multipliant dans les médias, et les films sur des scandales faisant un nombre d’entrées non négligeables pour l’industrie qui accepte d’y faire jouer des stars, la série continue avec Whistle Blower (2014) qui marque aussi le retour d’une vétérane de la contestation Im Sun-rye. Cette fois, c’est le milieu de la science qui est impliqué avec une sombre affaire de clonage et de fausses découvertes protégées par des politiciens haut placés ainsi que par un intouchable homme d’affaires et professeur de la Séoul National University. Le film fait presque 2 millions d’entrées. La star Park Hae-il qui joue le rôle principal (un journaliste qui se détourne de la routine de l’infotainment pour soudain s’intéresser à la vérité) est sur la liste noire découverte récemment.

Un des gros succès du genre est Tunnel (2016) avec les stars Ha Jung-woo et Bae Doo-na, qui sans parler directement du naufrage du ferry Sewol, l’évoque métaphoriquement à travers des automobilistes pris sous l’éboulement d’un tunnel. La désorganisation des secours, le souci médiatique des politiciens (dont une caricature de la présidente actuelle) a attiré les foules dans les salles : 7 millions d’entrées.

Dans le même registre, le film le plus récent, est Asura de Kim Seong-su (l’auteur de The Flu). Sans nommer personne directement, le film évoque la corruption et les délits d’initiés orchestrés à un haut niveau autour de l’aménagement du territoire urbain. L’écho à la création du riche quartier de Gangnam dans le sud de Séoul par le président Park Chung-hee (père défunt de l’actuelle présidente) en collusion avec les monopoles (chaebol) est clair.

Quelle réplique à la chasse aux sorcières ?

Derrière des conflits d’intérêts personnels sur fond de corruption, l’affaire du festival de Busan a aussi cristallisé les positions des uns et des autres autour d’un aspect politique : la critique de la réaction du gouvernement lors du naufrage du ferry Sewol, et cela à travers un film pamphlet The Truth shall not sink with Sewol signé par des documentaristes activistes d’opposition connus Ahn Hae-ryeong et Lee Sang-ho. Ce dernier réalisant un autre film à charge sur l’assassinat présumé d’un chanteur populaire durant la dictature de Park Chung-hee (lire l’article d’Asialyst sur le sujet).

Le conflit actuel va-t-il affecter le cinéma ? La distribution est déjà affectée. Les monopoles ont décalé leurs sorties de blockbusters. Le public préférant manifester et discuter politique dans les bistros, les entrées en salle chutent. Les monopoles acoquinés avec les diffuseurs de films sur Internet et les chaînes numériques ont tenté de lancer une offre de ce côté pour, peut-être, compenser les pertes.

L’effet sur la production est différé car les films, même en Corée du Sud, demandent un minimum de temps pour être fabriqués. Il faut attendre deux ou trois mois avant de voir des premiers scénarios marqués par la crise. On en annonce déjà qui seront basés sur la rocambolesque histoire de la conseillère personnelle de la présidente, Choi Soon-sil, fille d’un gourou Choi Tae-min, proche du dictateur Park Chung-hee.

La découverte de la liste noire d’octobre a libéré quelque peu la parole des acteurs et des cinéastes (souvent tenus à une extrême discrétion par contrat avec leur compagnie). Elle les a aussi amenés à se retrouver, à se regrouper pour probablement préparer une réplique commune à cette chasse aux sorcières orchestrée au plus haut niveau.

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A propos de l'auteur
Réalisateur, Antoine Coppola enseigne le cinéma comme maître de conférences à l'Université Sungkyunkwan de Séoul. Il a aussi longtemps enseigné les cinémas d'Asie à l'université d'Aix-Marseille tout en étant consultant et délégué pour la Corée à la Semaine Internationale de la Critique du festival de Cannes et au San Sebastian Film Festival (2001-2006). Il a été programmateur au festival de Jeonju (Corée du Sud) et il collabore encore souvent avec des cinéastes, producteurs ou festivals d'Asie.