Economie
Expert - Le Poids de l'Asie

Thaïlande : l'économie en deuil

Des Thaïlandais achètent des vêtements noirs pour le deuil dans un magasin de Bangkok, aux murs couverts de portraits du défunt roi Bhumibol Adulyadej, le 15 Octobre 2016.
Des Thaïlandais achètent des vêtements noirs pour le deuil dans un magasin de Bangkok, aux murs couverts de portraits du défunt roi Bhumibol Adulyadej, le 15 Octobre 2016. (Crédits : AFP PHOTO / MUNIR UZ ZAMAN)
Au cours du long règne de Bhumibol, les soubresauts politiques en Thaïlande n’ont pas affecté son économie, l’une des plus dynamiques au monde jusqu’à la crise asiatique (1997). Plus lente entre 2000 et 2008, elle est ensuite anémique : les rapports entre conjoncture politique et économique se sont modifiés.

Une consommation en berne

S’ajoutant aux incertitudes qui entourent la succession et la tenue des élections, l’annonce d’une année de deuil freinera la consommation qui fonctionne au ralenti depuis trois ans. Plombée par la dette des ménages, elle reste atone lorsqu’elle ne chute pas comme dans le cas des ventes automobiles. Après avoir augmenté régulièrement depuis 2000, les achats de voitures particulières, ont doublé entre 2011 et 2014, de 200 à 700 000 pour les voitures. Une poussée qu’expliquent l’attitude des banques et des mesures incitatives. Depuis, les ventes de voitures, de même que celles de motocyclettes, sont revenues au niveau de 2010.
Evolution des ventes de véhicules en Thaïlande de fin 2000 au 2ème trimestre 2016.
Evolution des ventes de véhicules en Thaïlande de fin 2000 au 2ème trimestre 2016.
Venant après la sécheresse du début de l’année, la récolte de riz sera l’une des plus faibles depuis 2000. L’agriculture assurant moins de 10 % du PIB, cette mauvaise récolte pourrait être sans conséquence. Ce n’est pas le cas. En effet, si la croissance a modifié la structure de la production, elle a moins transformé la structure de l’emploi : l’une des spécificités du royaume est l’écart entre la place de l’agriculture dans le PIB et sa place dans l’emploi. C’est même l’écart le plus élevé d’Asie du Sud-Est, car en Indonésie, plus pauvre que la Thaïlande, 34 % des emplois sont dans l’agriculture qui est à l’origine de 13,5 % du PIB.
Comme le montre ce graphique, la Thaïlande fait partie des pays asiatiques où l'agriculture pourvoit encore une grand part des emplois, même si elle ne représente pas plus de 10% du PIB. C'est l'écart le plus grand en Asie du Sud-Est.
Comme le montre ce graphique, la Thaïlande fait partie des pays asiatiques où l'agriculture pourvoit encore une grand part des emplois, même si elle ne représente pas plus de 10% du PIB. C'est l'écart le plus grand en Asie du Sud-Est.
Cet écart s’explique par la faiblesse de la productivité du travail de l’agriculture où la valeur ajoutée par emploi est 6,5 fois moins élevée que dans les activités non agricoles. Ce différentiel est une des explications des disparités au sein du Royaume entre le revenu per capita dans la Région Centre (Bangkok inclus), qui concentre la production manufacturière, et celui des provinces du Nord-Est et du Nord qui reposent davantage sur l’agriculture. Ce déséquilibre fonde l’antagonisme entre les « chemises jaunes » et les « chemises rouges » qui soutiennent l’ex-Premier ministre Thaskin. Comme tous les hommes politiques thaïlandais, celui-ci avait multiplié les promesses pendant sa campagne électorale, mais se différenciant des Premiers ministres qui l’avaient précédé, une fois élu, il ne les a pas oubliés et, pour renforcer son assise, il a considérablement augmenté les transferts publics au bénéfice de l’agriculture. Poursuivie par sa sœur, cette politique a été abandonnée par la junte.

Prise en tenaille

Les touristes qui visitent le « pays des mille sourires » ignorent souvent que son économie est la plus industrialisée d’Asie du Sud-Est. Le secteur manufacturier est à l’origine de 26 % du PIB et mesurée par sa valeur ajoutée, sa production égale celle de la production turque, soit la moitié de celle de la France. Outre l’agroalimentaire, la construction automobile fait partie de des points forts de l’économie thaïe. Avec 500 000 emplois directs, le pays fabrique autant de véhicules que le Royaume-Uni, et grâce à Toyota, il construit la Hillux pour le marché mondial. La Thaïlande est ainsi le 15ème exportateur de voiture derrière la Hongrie et l’Italie. Autre force de son économie : la fabrication de disques durs pour ordinateurs, des plus petits à ceux qui équipent les « mainframe » (unités centrales). Une spécialisation que le monde a découverte à l’automne 2011 : la moitié des disques durs vendus dans le monde est fabriquée dans les environs de Bangkok où les inondations avaient arrêté la production.

Malheureusement, depuis quinze ans, ces points forts n’ont pas changé. On recense peu de nouveaux venus parmi les vingt premiers postes des exportations – sur les 1 500 de la nomenclature à quatre chiffres – qui représentent 45 % du total. Une stabilité préoccupante dans une région où lorsque l’on ne court pas, on régresse. La Thaïlande est confrontée à l’apparition de nouveaux exportateurs (Vietnam, Cambodge, Birmanie) qui ont des coûts plus bas, et elle subit les conséquences de la montée en gamme de l’industrie chinoise qui érode ses positions dans la chaîne globale de valeur. Ainsi entre 2000 et 2015, ses exportations de disques durs vers la Chine ont été divisées par trois car cette dernière intègre ces fabrications.

Paradoxalement, alors que l’agriculture emploie 40 % de la population au travail, la Thaïlande est confrontée à des pénuries de main-d’œuvre non qualifiée. L’industrie légère et également l’agriculture attirent des travailleurs immigrés venus du Cambodge, de Birmanie ou du Laos. Par ailleurs, faute d’une bonne adéquation entre l’offre du système scolaire et la demande de main-d’œuvre des entreprises, un tiers des diplômés de l’université fait un « petit boulot » dans le secteur informel. Du fait des tensions sur le marché du travail, le salaire d’un ouvrier qualifié, est plus élevé à Bangkok qu’à Shanghai, selon les statistiques de l’Union des Banques Suisses.

La réponse à ce défi passe par plus d’investissement, une réforme de l’enseignement et des efforts de R&D dans un pays qui n’en fait aucun. Le préalable à ces « y a qu’à » est la levée des incertitudes politiques. Entre-temps, la Thaïlande continuera de capitaliser sur ses points forts dans les services dont le tourisme. Ce dernier profite non seulement du gisement chinois, mais aussi d’un secteur de santé performant qui attire des patients étrangers — 3 millions en 2015 – et qui rassure les seniors, notamment les Japonais, qui choisissent de s’installer en Thaïlande pour leur retraite. Sur ce dernier point, le savoir-faire thaïlandais va se renforcer ; en effet, avec le Vietnam et la Corée, la Thaïlande est l’un des pays qui vieillit le plus vite, car aujourd’hui sept millions de Thaïlandais ont plus de 65 ans (un sur dix). Dans vingt ans, ils seront 16 million (un sur quatre). Soit le même rapport que dans la France de 2035 !

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).