Le Japon veut sa place en Afrique

Contexte
Les 27 et 28 août derniers s’est tenue à Nairobi, au Kenya, la sixième édition du Ticad (« Tokyo International Conference on African Development », soit la « Conférence internationale de Tokyo sur le développement africain »). Si les précédentes éditions du sommet, qui s’étaient toutes déroulées au Japon, n’avaient pas attiré l’attention, l’événement cette année a été fortement médiatisé. Et pour cause : la diplomatie japonaise s’est largement focalisée sur l’Afrique depuis le retour de Shinzô Abe au pouvoir en 2012. En 2014, le chef du gouvernement nippon avait effectué une tournée en Côte d’Ivoire, au Mozambique et en Ethiopie. Une démarche rare venant d’un Premier ministre nippon, qui s’est empressé de nier une quelconque « rivalité » avec la Chine.
Il faut rappeler que de nombreux pays africains comptent fortement pour l’économie japonaise. Une grande part des matières premières et des ressources utilisées pour fabriquer les exportations nippones (de l’automobile à l’électroménager) viennent du continent noir. En approfondissant ses investissements et en encourageant les joint-venture, Tokyo espère sécuriser la chaîne d’approvisionnement qui mène à ces matériaux. Le Japon a ainsi investi des millions de dollars à Madascar, par exemple, où un consortium international qui inclut le géant nippon Sumitomo s’active à développer les industries locales du cobalt et du nickel.
Diplomatie du chéquier
Mais conformément aux statuts, le mandat ne dure que deux ans et il est impossible d’enchaîner deux mandats consécutifs. Le Japon est donc un membre « quasi permanent » du Conseil de sécurité, deux ans sur quatre. Il veut maintenant passer à la vitesse supérieure : une place de membre permanent aux côtés notamment de la France (qui y est favorable), et de la Chine (qui l’est beaucoup moins). Et Tokyo compte là aussi s’appuyer sur ses alliés (ou plutôt ses « obligés ») pour appuyer sa position dans des négociations ouvertes depuis 2015 et qui s’annoncent longues, âpres et coûteuses. D’autant que le Japon n’est pas le seul candidat.
L’Allemagne, l’Inde et le Brésil ont aussi déclaré vouloir rejoindre le club très fermé des Etats ayant leur droit de veto sur les résolutions de l’organisme. Et même l’Afrique du Sud a proposé sa candidature pour devenir un membre permanent, et espère fédérer derrière elle une partie du continent. Rien n’indique d’ailleurs que les soutiens du Japon délaisseront l’archipel pour rallier une candidature africaine, mais la multiplication des prétendants risque fort d’entraîner un intérêt accru, et donc un possible soutien financier, des candidats pour les pays africains susceptibles de les soutenir. Le Japon a d’ailleurs trouvé une subtile parade : le pays s’est déjà engagé à soutenir la candidature d’un pays africain comme membre permanent du Conseil de sécurité, une action qui pourra être menée efficacement… si le Japon en est lui-même déjà membre.
Plates-bandes chinoises
« Les pays d’Afrique ne voient aucun inconvénient à accueillir les bonnes volontés de deux Etats rivaux, explique à Asialyst Sadaharu Kataoka, politologue japonais spécialiste de l’Afrique. Ils avaient choisi la Chine jusque-là car les conditions financières étaient plus avantageuses, mais ils peuvent maintenant se reposer sur l’expertise nippone en matière de grands travaux publics. Les Japonais n’envoient par contre pas d’ouvriers sur place. Ils reprennent parfois les Chinois qui ont construit l’infrastructure déféctueuse, mais avec cette fois un niveau d’exigence plus élevé ».
Le Japon ne s’arrête pas là. Tokyo vient de commencer un nouveau programme ambitieux depuis 2015 : former, tous frais payés, des élites africaines dans les universités nippones, d’excellent niveau, et leur faire débuter leur carrière dans les sociétés japonaises. L’objectif ? Mille nouveaux étudiants à fort potentiel chaque année. « C’est deux fois plus que font les Etats-Unis actuellement avec un programme similaire. Le but est de former une élite africaine qui, le moment venu, se rangera derrière les intérêts de Tokyo. » Signe qui ne trompe pas sur le sérieux de la volonté nippone : la Chine, malgré le dévissage de son économie, promet d’augmenter les torrents de capitaux qu’elle déverse sur le continent.
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