Cette semaine en Asie - 7 mai 2016

Corée du Nord : la consécration de Kim Jong-un

Pressentie pour être promue dans l'exécutif du Parti des travailleurs de Corée dont le congrès s'est ouvert ce vendredi 6 mai à Pyongyang, Kim Yo-jong, la sœur de Kim Jong-un, dépose un bulletin dans l'urne lors d'une élection locale en juillet 2015, dans cette capture d'écran de la télévision centrale de Corée du Nord. (Source : Yonhap)
Pressentie pour être promue dans l'exécutif du Parti des travailleurs de Corée dont le congrès s'est ouvert ce vendredi 6 mai à Pyongyang, Kim Yo-jong, la sœur de Kim Jong-un, dépose un bulletin dans l'urne lors d'une élection locale en juillet 2015, dans cette capture d'écran de la télévision centrale de Corée du Nord. (Source : Yonhap)
A l’approche d’un Congrès du Parti des travailleurs historique, le premier en trente-six ans, jamais la Corée du Nord n’a été aussi présente dans les médias. Entre provocations, essais de tirs balistiques, menace d’un cinquième essai nucléaire et rares propositions de main tendue, pas une journée sans que Pyongyang ne souffle le chaud et le froid. Décryptage de la stratégie de celui qui s’est auto-proclamé le « Grand Soleil du XXIème siècle », Kim Jong-un.
Ils se sont sentis échaudés les 130 journalistes du monde entier invités à Pyongyang afin d’assister à ce septième congrès du Parti des travailleurs : impossible d’accéder au Palais du 25 Avril où, depuis le 6 mai, s’enchaînent discours et symposiums. Pis encore, ils ont été envoyés visiter des fabriques de câbles pendant cette séance d’ouverture tant attendue. Mais comment imaginer qu’ils auraient pu assister au discours de celui qui depuis quatre ans dirige le pays le plus fermé du monde ? Les inviter s’inscrivait tout simplement dans la propagande du régime qui peut ainsi annoncer fièrement à son peuple que le monde entier avait les yeux tournés vers son pays et son dirigeant, le « Grand soleil du XXIème siècle ».

Une véritable consécration officielle pour Kim Jong-un qui n’a en réalité qu’un véritable but : s’inscrire dans l’histoire et notamment se placer dans les pas de Kim Il-sung, son grand-père, le père fondateur de la nation, dont le simple nom évoque un âge d’or à tous les Nord-Coréens, une époque durant laquelle le pays était prospère, plus encore que la Corée du Sud.

Pour cela quelques moyens subliminaux bien étudiés par les services de communication nord-coréens ont été mis en œuvre: être proche du peuple comme l’était Kim Il-sung (on entendait le son de la voix de Kim Jong-un lors de la retransmission du discours par la chaîne d’Etat, alors que les discours de son prédécesseur et père, Kim Jong-il, n’étaient eux jamais diffusés à l’oral), porter les mêmes vêtements aussi que Kim Il-sung (même complet veston occidental, même cravate grise, mêmes lunettes, même papier tenu à la main)… Il est vrai en outre que la ressemblance physique entre le jeune Grand soleil du XXIème siècle et son grand-père, le « Soleil éternel » est frappante. Toutefois, à travers de choix d’un costume occidental « moderne », Kim Jong-un souhaite s’affirmer aussi en tant que dirigeant contemporain, avec la volonté de se distinguer de ce même grand-père qui lors du sixième Congrès en 1980 portait, lui, une veste à col officier.

Des détails très symboliques de ce qui pourrait être le nouveau slogan politique du régime: « Le changement dans la continuité ». C’est ce qui ressort du discours d’ouverture de Kim Jong-un, diffusé en différé vers 22.00 heures (heure locale) sur la chaîne de télévision nord-coréenne. Un discours classique finalement avec trois axes forts : la réaffirmation du pays comme puissance nucléaire avec une mention particulière pour « un magnifique premier essai de bombe à hydrogène » à considérer comme « le glorieux prélude de l’année à venir » ; la nécessité de combattre aussi « dans des temps exceptionnellement difficiles qui ont vu la chute du monde socialiste » et en dépit « des manœuvres vicieuses des forces hostiles impérialistes, à travers sanctions (économiques NDLR) et étranglement » et enfin : l’importance du « développement économique et de l’amélioration du niveau de vie du peuple ».

Un message fort pour le peuple de Corée du Nord qu’il faut unir dans un avenir « héroïque et grandiose » afin notamment de faire face à un quotidien rendu difficile par les sanctions économiques, mais aussi pour la communauté internationale (et les Etats-Unis, dont les intentions du successeur d’Obama seront certainement mises à l’épreuve) : Kim Jong-un a le pouvoir en main et il faudra compter avec lui encore pendant de longues années…

Retour sur une semaine en Corée du Nord à travers la presse asiatique et internationale.

Lundi 2 mai

Hanguk Ilbo (en coréen) – C’est un avertissement à tous ses ressortissants à l’étranger que Séoul a lancé ce 2 mai, rapporte le quotidien sud-coréen Hanguk Ilbo : la Corée du Nord pourrait bien avoir l’intention d’enlever des Sud-Coréens comme elle l’a déjà fait dans les années 1970-1980. Seraient ciblés les expatriés, les diplomates et les militaires. Ce qui provoque l’ire de Pyongyang, c’est l’affaire de ces employées d’un restaurant nord-coréen de Ningbo en Chine, qui ont fait défection pour rejoindre la Corée du Sud le mois dernier. Pyongyang qui a diffusé des vidéos de leurs familles, demande leur retour et affirme qu’elles ont été trompées et entraînées au Sud contre leur gré par des agents sud-coréens. On estime à 26.000 le nombre de réfugiés nord-coréens en Corée du Sud.

Face à cette hémorragie humaine, la Corée du Nord a ces derniers temps renforcé la protection de sa frontière avec la Chine, au nord du pays. Les défections sont souvent organisées par les églises évangéliques sud-coréennes et américaines particulièrement prosélytes et actives en Mandchourie chinoise. C’est dans ce cadre que s’inscrit probablement l’assassinat ce samedi d’un pasteur chinois de la minorité ethnique coréenne dans la province chinoise du Jilin. D’après le site chrétien sud-coréen d’actualités Nocutnews le pasteur activiste Han Chung-ryeol, qui supervisait les défections entre Hyesan en Corée du Nord et la zone autonome coréenne de Yanbian en Chine, aurait été tué à l’arme blanche sur le versant chinois du mont Changbai. L’assassinat pourrait être le fait d’agents nord-coréens, infiltrés en Chine.

Mardi 3 mai

The Korea Herald – A l’approche de l’ouverture du septième Congrès du Parti des travailleurs ce vendredi 6 mai, la Corée du Nord renforce la surveillance à travers le pays et sur ses frontières. Notamment sur ses confins septentrionaux avec la Chine. Mais aussi à Pyongyang, où des forces spéciales ont été appelées en soutien pour contrôler les entrées et sorties de la capitale où des milliers de délégués venus des différentes provinces commencent à affluer. Mariages et funérailles ont aussi été interdits pour raisons de sécurité.
Le pays entier est mobilisé depuis le 23 février dernier pour la préparation de Congrès historique, dans une campagne spéciale qui, d’après le calendrier nord-coréen, a pris fin hier. Cette période, destinée à exalter le sentiment national, a été appelée la « lutte des Soixante-dix jours », en mémoire du « combat des Cent jours » qui avait précédé le sixième Congrès en 1980.

Les Nord-Coréens, jeunes ou vieux, hommes, femmes et enfants, ont en effet été appelés par tous les moyens à démontrer leur loyauté au régime : en travaillant deux fois plus et en faisant tout effort supplémentaire pouvant aider à la gloire de la nation. Ils ont aussi été incités à donner de l’argent, de préférence en devises étrangères, en échange de jours de congés ou d’autres avantages. La propagande s’est aussi faite de plus en plus visible à travers le pays où de nombreux panneaux colorés avec des slogans à la gloire de la nation ont été installés par de véritables escadres de volontaires.

Mercredi 4 mai

The Straits Times – Un événement « sacré » qui conservera précieusement les « exploits de Kim Jong-un ». C’est ainsi que le quotidien officiel nord-coréen Rodong Sinmun, cité par le Straits Times, évoque le prochain Congrès du Parti des travailleurs qui aura lieu à Pyongyang à partir de ce vendredi 6 mai. Pendant que le pays finalise ses derniers préparatifs, le journal qualifie le jeune dictateur nord-coréen de « Grand soleil du XXIème siècle ». En prenant ce surnom, Kim Jong-un se place dans les pas de son grand-père Kim Il-sung, le « Soleil Eternel ».

Par « exploits », le quotidien nord-coréen entend des projets d’infrastructures et le développement de missiles balistiques lancés par sous-marin. Des observateurs estiment néanmoins que l’objet principal du Congrès sera de confirmer l’achèvement du programme de dissuasion nucléaire. D’aucuns s’attendent à un cinquième essai nucléaire juste avant ou pendant le Congrès en guise de démonstration de force. Pour le Rodong Sinmun, l’arme nucléaire est une « épée précieuse » , « un trésor de bonheur qui nous protègera de beaucoup de choses dans les années à venir ». Le deuxième thème majeur sera le développement économique du pays. En effet, lors de son investiture, Kim Jong-un avait déclaré que les Nord-Coréens n’auraient plus jamais à « se serrer la ceinture ». Le dernier Congrès du Parti des travailleurs a eu lieu en 1980, sous le règne du « Grand dirigeant » Kim Il-sung.

Jeudi 5 mai

Corée du Nord : diplomatie du sport et menace nucléaire

NK News – A trois jours à peine du septième Congrès du Parti des travailleurs le 6 mai, et alors que experts sud-coréens redoutent un nouvel essai nucléaire nord-coréen, c’est une étonnante main « fraternellement tendue » que Pyongyang propose à Séoul. Le 1er mai, deux des plus importants regroupements de syndicats sud-coréens ont en effet pris contact par fax avec les autorités nord-coréennes pour leur proposer d’organiser un tournoi de football amical. Pyongyang a aussitôt accepté l’offre et même proposé une date consensuelle sur toute la péninsule, le 15 août, jour anniversaire de la capitulation du Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale, marquant donc la fin du joug colonial nippon pour les Coréens. « D’ici là, et à partir du mois de mai, nous sommes prêts à tenir des réunions de travail à toute date et lieu vous agréant, » a même courtoisement précisé Pyongyang. La Corée du Sud a jugé la proposition « inappropriée » dans le climat de tensions actuel.

En effet, derrière cette confraternelle diplomatie du sport, se cache un double message : en se montrant raisonnable et bienveillant, le Nord souhaite en effet attiser les divisions politiques au Sud entre conservateurs, favorables à la présidente, et l’opposition. Mais il compte surtout, d’après certains experts, par cet avant-goût de relations apaisées, culturelles et sportives, rappeler à Séoul qu’une normalisation des rapports ne tient qu’à un fil : celui du nucléaire ! Pour Daniel Pinkston, maître de conférence à l’université Troy, c’est un avertissement que l’on peut traduire en ces termes : « soit vous nous reconnaissez en tant qu’état nucléarisé et nous entretiendrons de riches relations intercoréennes sur tous les plans, soit vous refusez, nous n’abandonnerons de toutes les façons pas l’arme nucléaire mais nous ne vous laisserons jamais de répit. »

Vendredi 6 mai

The Korea Herald – Aujourd’hui s’est ouvert à Pyongyang le tant attendu septième Congrès du Parti des travailleurs, le premier depuis trente-six ans. Lors du dernier Congrès en octobre 1980, Kim Il-sung, le fondateur de la Corée du Nord, avait officiellement adoubé son fils Kim Jong-il comme son successeur. Cette fois-ci, le Congrès consacrera Kim Jong-un, au pouvoir depuis la mort de Kim Jong-il en décembre 2011. Son discours, très attendu, devrait donner les grandes lignes de sa politique dans les prochaines années. Les experts spéculent sur d’éventuelles annonces de nomination dans un vent de rajeunissement global des membres du gouvernement : la jeune sœur du dirigeant, Kim Yo-jong, en charge depuis 2015 du bureau de la Propagande, pourrait ainsi accéder à des fonctions de plus grande responsabilité. Mais l’accent sera certainement mis sur le byongjin, la « double poussée », soit le développement en parallèle de la technologie nucléaire et de l’économie. Pas question en effet de renoncer au nucléaire. Le Korea Times rapporte ainsi que la commission pour la Réunification pacifique de la Corée, en charge des relations intercoréennes, a averti que, tant que les Etats-Unis s’obstineraient dans une politique d’agression, la Corée du Nord poursuivrait le développement de l’arme de dissuasion nucléaire. « La réponse à l’arme nucléaire est l’arme nucléaire », a souligné l’agence de presse officielle nord-coréenne, KCNA.

(Pour approfondir, lire notre Temps fort de ce jour: Kim Jong-un et les priorités économiques, entretien avec Antoine Bondaz)

Par la Rédaction d’Asialyst

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