La Mandchourie au centre de la présence des Chinois en Russie
La Mandchourie, un espace particulier
On parle d’ailleurs parfois de Mandchourie extérieure pour désigner la région qui correspond aujourd’hui au Primorié russe. Appelée parfois « Province maritime » en français – Primorié signifie littéralement : région du bord de mer -, elle a pour ville principale Vladivostok, « maître de l’Orient ».
Parmi les « visages jaunes » – c’est le terme employé –, on compte aussi des Coréens, qui ne sont pas considérés de la même manière que les Chinois par la littérature russe à ce sujet. Autre précision essentielle, ces Chinois-là (donc plutôt des Mandchous, a priori) étaient déjà présents sur le territoire disputé et y sont restés après son annexion par la Russie. Les autres « Chinois » sont par contre des migrants (pour utiliser un terme actuel) venus de l’empire de Chine à proprement parler, parfois avant l’annexion, parfois après. Bref, la terminologie utilisée est assez floue et ne permet pas de comprendre ce qui est exactement sous-entendu par le terme de « Chinois »…
La nouvelle frontière reste un lieu d’échanges, les restrictions au commerce y étant supprimées. Une région est même censée être administrée conjointement par les deux administrations, elle correspond à l’actuelle région russe du Primorié. L’idée d’une co-administration a d’ailleurs resurgi plus d’un siècle après : en 2009, un projet de « location » d’un quartier entier de Vladivostok à la ville de Harbin a bien été envisagé, malgré les dénégations des pouvoirs concernés. Mais les protestations des habitants ont eu raison de lui.
Ces traités montrent donc que les Russes accordaient une grande importance à cette région qui permettait un accès à l’océan Pacifique. En effet, la longue côte de la mer d’Okhotsk, qui appartient déjà à la Russie, est prise par les glaces plusieurs mois par an, ce qui n’est pas le cas de la côte plus au Sud. Ainsi, Vladivostok est un des rares ports russes libres de glace l’hiver : c’est donc un endroit stratégique, aussi bien pour la flotte de pêche que pour la flotte militaire. Sans doute une des raisons pour lesquelles la ville a été interdite aux étrangers pendant une grande partie de la période soviétique.
Les “visages jaunes”, une image contrastée
Mais il y a pire. Des agents Qing feraient de la propagande anti-russe dans toute la région ! Nos auteurs soulignent ainsi la faiblesse des administrations locales russes, qu’ils appellent à mieux gérer la « question chinoise », avec des solutions plus ou moins expéditives. À la même période, certains s’inquiètent néanmoins du retour de bâton d’une politique trop contraignante vis-à-vis des Chinois pour les Russes présents en Mandchourie (les sources manquent ici pour traiter ce sujet de façon plus approfondie). On propose ainsi d’utiliser la force de travail asiatique bon marché pour développer l’industrie russe tout en gardant le contrôle sur les mouvements migratoires.
Quelles conclusions tirer ?
Hier comme aujourd’hui, il est toutefois difficile de démêler la réalité du fantasme. Ce qui est certain, c’est que cette région de Mandchourie était jusqu’au début du XXe siècle une zone de contacts, d’échanges, mêlant des influences diverses. Pour preuve, elle fût la proie des intérêts de plusieurs puissances, en particulier du Japon qui y institua l’Etat fantoche du Mandchoukouo au début des années 1930.
En revanche, la réalité quotidienne, la vie des hommes et des femmes peuplant cette région, leurs véritables relations, tout cela reste encore méconnu. Comment étaient réellement perçues les populations chinoises côté russe ? Comment étaient vus les Russes présents en Mandchourie intérieure ? Que s’est-il passé durant la période soviétique, lorsque Chine et Russie s’opposaient pour le leadership communiste et que les deux États n’entretenaient plus de relations ?
Le manque de sources complètes ne permet que des hypothèses, malheureusement, surtout pour la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Nous y reviendrons dans nos prochaines chroniques, au fil de notre cheminement dans des sources russes édifiantes, mais souvent parcellaires.
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