Société
Expert – un architecte "normal" en Chine

 

Petite discussion entre amis (3/3) : les projets architecturaux en Chine.

Densification du centre historique de la ville de Anyang, dans la province du Henan (photo 1). (Crédit : Qi Xin Atelier)
Densification du centre historique de la ville de Anyang, dans la province du Henan (photo 1). (Crédit : Qi Xin Atelier)
Eric Le Khanh : Pour revenir sur ce qui t’intéresse et le côté urbain des projets, je parlais lors d’un précédent regard des villes Tier4 et Tier5. Ces dernières font l’objet de convoitise car elles sont en demande de développement. Quelle est ta stratégie, s’il y en une, pour ces villes de petite dimension où chaque projet, de par sa taille a un impact urbain ?
Autre question, de par ta pratique, as-tu vu un ou des modèles urbains “à la chinoise” émerger?

Qi Xin : Bon déjà, je n’ai pas eu personnelement beaucoup de projets dans des petites villes. Juste une ou deux fois. Ils n’ont évidemment pas en interne les compétences dont tu parles mais je pense qu’ils ont plus ou moins la même vision que celle des grandes villes chinoises : à savoir le regard tourné vers les grandes métropoles des pays étrangers comme modèle de référence.
En fait par rapport à ta deuxième question et l’émergence d’un « modèle chinois », ce qui m’intéresse c’est le cours que j’ai suivi à Paris sur la morphologie urbaine. C’est cet aspect là des villes que j’observe. La question de l’urbanisation en Chine était d’actualité il y a deux ans, et maintenant, on en parle plus. Mais moi ce qui me paraît important, c’est de savoir travailler la ville sur la ville, la régénération urbaine en quelque sorte.

Eric Le Khanh : C’est un discours très français ça !

Qi Xin : Oui effectivement, c’était un des thèmes cher à Antoine Grumbach qui a été mon prof d’atelier. Les villes anciennes, surtout les villes asiatiques ont un plan urbain et une morphologie urbaine très caractéristique. Or, aujourd’hui, l’urbanisation de ces villes se fait avec une anarchie complète en terme de morphologie : en fait il n’y en a pas !

En même temps, il me semble qu’en Chine, nous ne savons pas trop aménager ou réhabiliter dans un contexte préexistant. On fait tabula rasa et on construit sur un terrain vide : on est les champions des villes nouvelles !
Ainsi, la ville de Pékin – du moins sa partie la plus récente – s’est réalisé en quelques années sur des terrains, soit vierges, soit rasés. Les nouveaux bâtiments réalisés n’intègrent pas la notion de permanence et peuvent être amenés à être démolis. Historiquement les villes chinoises, contrairement à des villes occidentales comme Rome par exemple peuvent être construite « en un jour ». En effet, étaient utilisés des matériaux de construction qui se dégradaient assez vite avec le temps comme du bois, de la terre, ou de la brique. Une fois le bâtiment dégradé, on remplaçait soit une poutre, soit un poteau ; et si nécessaire, on démolissait le tout pour reconstruire du neuf à l’identique. Il existe des « normes » de villes chinoises si l’on se réfère à l’histoire des villes-capitales, et plus précisément les villes dites « administratives ». Chaque quartier ayant ainsi une fonction bien déterminée.

Les bâtiments nouveaux faits de béton ne permettent plus un renouvellement aussi rapide. Pour poursuivre le développement et l’urbanisation, nous ne pouvons pas non plus indéfiniment consommer des terres agricoles, donc inévitablement, nous devons revenir sur le territoire construit et le densifier. Et si l’on regarde les villes asiatiques, nous ne pouvons que très peu nous référer à la morphologie urbaine telle qu’elle est qualifiée dans les villes européennes. Nous n’avons qu’une anarchie de formes et de styles juxtaposés : des bâtiments hauts à côté de bâtiments bas, des bâtiments anciens à côté de modernes, style européen à côté de style chinois, des murs en brique à côté de murs rideaux : il y a de tout….. Et c’est ce « tout » qui devient en quelque sorte la caractéristique chinoise ou asiatique.

Cette caractéristique avec les contraintes que tu évoquais tout à l’heure (client, réglementations « non-dites », techniques, etc) impose à l’architecte de jongler avec tout cela. Du coup, ce genre de ville, de morceaux de ville, de « bazar », devient quelque chose de fantastique, un défi ! Peut-on utiliser une sorte de baguette magique et transformer ce qui peut paraître négatif, péjoratif, ou défectueux, en quelque chose de magique et de merveilleux ?

Là on parle d’une transformation perceptible, non pas dans les grandes avenues et artères, mais dans des espaces plus fragmentés au détour de ruelles. Avec une superposition en terme de visions, d’échelle de temps, de culture. Et en fait, c’est ce que j’essaye de mettre en évidence afin d’en tirer une énergie positive avec mes étudiants-chercheurs à l’Académie des Sciences.
Par exemple, un metteur en scène choisit un terrain délabré ou un endroit pourri pour tourner une scène de toute beauté. Ou bien un photographe de même préfère choisir un décor en friches plutôt qu’un endroit flambant neuf ou monumental pour en dégager une esthétique singulière.
En Chine, ces types de morceaux de ville, chaotique et anarchique sont présents partout que ce soit dans les petites ou les grandes villes et ils représentent donc potentiellement des espaces d’interventions très intéressant pour nous autres architectes.

Densification du centre historique de la ville de Anyang, dans la province du Henan (photo 2). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Densification du centre historique de la ville de Anyang, dans la province du Henan (photo 2). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Densification du centre historique de la ville de Anyang, dans la province du Henan (photo 3). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Densification du centre historique de la ville de Anyang, dans la province du Henan (photo 3). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Eric Le Khanh : Là c’est ton côté optimiste. En fait, on a juste besoin d’une baguette magique…… et tout est résolu !

Qi Xin : En France, à Nantes, une zone portuaire a été transformée en quelque chose de très dynamique, de même à Paris, dans le quartier de la Bastille-Faubourg Saint-Antoine, des artistes ont investi des entrepôts désaffectés en leur donnant une seconde vie et une nouvelle âme. Donc voilà c’est possible.
Ou, pour te donner un autre exemple : il y a 10 ans, le promoteur SOHO a invité deux équipes d’architectes pour travailler sur un concours : ZAHA HADID et MVRDV. La première citée a fait ce qu’elle sait faire et a rendu comme projet un « objet architectural ». L’équipe hollandaise elle a rendu un projet « morcelé », un morceau de ville avec une très grande mixité des bâtiments, tant au niveau des formes qu’au niveau des fonctions, avec un souci d’intégration urbaine. Rien de nouveau dans leur réponse au niveau morphologique où cette mixité et cette fragmentation existaient déjà. Mais le fait de l’avoir mis en exergue et de l’adopter apporte quelque chose de nouveau dans cette démarche de « voir la ville », surtout en Chine. L’architecture-objet s’atténue alors pour s’intégrer dans le tissu existant.

Aménagement du campus de l'Université de l'Architecture de la Ville de Pékin (photo 1). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Aménagement du campus de l'Université de l'Architecture de la Ville de Pékin (photo 1). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Aménagement du campus de l'Université de l'Architecture de la Ville de Pékin (photo 2). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Aménagement du campus de l'Université de l'Architecture de la Ville de Pékin (photo 3). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Aménagement du campus de l'Université de l'Architecture de la Ville de Pékin (photo 3). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Eric Le Khanh : Oui effectivement, les concours architecturaux en Chine montrent des projets en images de synthèse extrêmement aboutis où souvent l’environnement urbain est absent.
Lorsque tu parles de la ville anarchique et chaotique, cela me fait penser à la ville fractale développée par Benoit Mendelbrot dans son ouvrage Les Objets fractals : forme, hasard, et dimension (Flammarion, 1973) où dans le chaos, il y a un ordre très précis d’une entité « urbaine » qui se répète à différentes échelles avec une logique de développement « naturelle » et qui en fait répond à la notion de fractale. Les trames urbaines anciennes de Pékin, Paris, Tokyo en sont des exemples.

Qi Xin : En fait, ce que tu viens de me dire sur ce concept de fractale est assez intéressant et, de fait, parler modèle urbain ne m’intéresse plus vraiment. Un modèle pour moi induit une généralité. Or, ce qui est important, c’est la spécificité de chaque terrain, et que tu essayes de trouver son ADN et de le développer.

Eric Le Khanh : Oui, mais on peut extrapoler le développement fractale urbain en « modèle urbain » ; un modèle sortant d’une approche « classique » et formaliste. Mais cela nécessite un travail d’analyses et une approche prospective que je vois mal se développer en Chine. On a plutôt des gestes formels. Comme cette ville nouvelle près de Chengdu circonscrite dans un cercle de 1km de diamètre, censé faire référence à un phalanstère à émission positive.. Tout ceci est pour moi une caricature de « ville durable » car au contraire la « ville durable » impose une certaine morphologie en terme d’efficacité énergétique ; cela en faisant référence à une étude du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) sur l’impact de la morphologie urbaine en terme d’empreinte écologique.

Qi Xin : A propos du mot « durable », note que je préfère parler de « développement durable » et non de « ville durable » ; et avec mon emploi de l’architecture « banale » je suis très relax.
Pour répondre à ta question, existe-t-il des modèles en Chine ? Il y en a sans doute à travers quelques éléments systématiques que l’on retrouve : des artères principales extra-larges, des bâtiments isolés, alignés les uns après les autres, des soi-disant espaces verts constitués de rangées d’arbres bien plantés. Lorsque tu parcours les villes nouvelles chinoises c’est toujours ce type de modèle.

Tout cela est à mon sens du gâchis avec un manque de vie urbaine. Lorsque tu vas d’un bâtiment à un autre ou que tu traverses une avenue, c’est le désert complet. Et tu es pratiquement toujours obligé de prendre ta voiture pour aller d’un point A à un point B. Et c’est aussi par rapport à cela que je suis très relax car j’attends que les autorités ou les promoteurs se rendent compte de leurs erreurs et nous demandent à nous architectes d’intervenir. Comme les rues sont hyper larges, on peut se permettre de récupérer cet espace pour créer un bloc entier d’habitations, et profiter du retrait du bâti exigé par la réglementation actuelle pour faire circuler des véhicules en sens unique, et l’on crée ainsi du « développement durable » avec une morphologie urbaine réinventée ; cette notion de « faire de la ville sur la ville ».

Retrouvez sur Asialyst, la première et la seconde partie de cet entretien.

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A propos de l'auteur
Eric Le Khanh est architecte DPLG et Urbaniste ENPC, installé depuis 2003 en Chine, à Shanghai et surtout Pékin. Au milieu des années 1990, le contexte français n'étant pas très optimiste, il a donc décidé d'aller "tenter l'aventure" à l'étranger. La Chine à l'époque est en plein essor et ce choix lui paraît évident.
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