Société
Témoin - Chine hors-piste

 

Mariage chinois en silence dans le Jiangsu

La fête bat son plein pendant le mariage de Haiming. (Crédit : Gerald Kane).
Entre Jinan, Nankin et Zhengzhou, au milieu de nulle part, c’est en effet le moyen le plus simple de situer vaguement le village natal de mon ami sourd-muet Haiming.
Trois heures de TGV depuis Shanghai, puis une localisation GPS pour retrouver son ami venu me chercher à la gare avec lequel je communique via « Wechat » (l’équivalent local de Whatsapp en Europe) par écrit, le trajet s’annonce déjà épique !
Le village sensé être à proximité se révèle finalement être à deux heures de route. Arrivés dans une campagne en pleins travaux, et à force de rouler dans des routes défoncées, les deux amis assis à l’avant de la voiture tournent vers moi un regard suppliant pour que j’ouvre ma fenêtre et demande dans mon chinois à fort accent français où est le mariage du « LongYa Ren » c’est-à-dire du sourd-muet.
Le paysan du coin, qui ne comprend rien, se tourne naturellement vers mes deux compères qui font de grand « non » en me montrant du doigt. Notre interlocuteur finit par réaliser qu’il n’a d’autre choix que d’essayer de me comprendre tant bien que mal,
et ce n’est pas faute d’essayer ! Finalement, il me répond qu’il n’y a pas de « LongYa Ren » dans les parages, nous repartons à zéro…
Par chance, le GPS se remet à fonctionner lorsque nous atteignons par miracle une zone couverte et nous nous dirigeons tant bien que mal vers le lieu de la noce. Une cour carrée en brique grise dans un hameau d’une vingtaine d’âmes, des poules qui courent partout, et une hutte malodorante pour les toilettes communes. Le décors est planté.
Rien n’a l’air prêt pour le grand événement de demain, seule la chambre nuptiale que l’on me montre fièrement est surmontée d’un grand caractère « Xi » (囍) rouge en signe de bénédiction. Les mariés m’écrivent sur leur téléphone, moyen par lequel nous communiquons, qu’ils se réveilleront à 5 h pour préparer la réception des 300 invités et du groupe qui jouera. Je m’étonne, 300 invités dans une petite cour, « Comment allez-vous mettre tout ce monde là ? » « Tu verras demain » me répondent-ils avec un clin d’œil.
Je ne sais pas dire grand chose en langage des signes chinois excepté un « bonjour » traduit littéralement par « toi » en pointant du doigt l’interlocuteur et un « bien » en pointant le pouce vers le haut. Je me rend compte bien vite que les parents n’en savent pas beaucoup plus et quand je leur demande comment ils communiquent, ils me répondent par un laconique « Pas de solution » (mei you banfa) qui me fait comprendre qu’ils ne doivent pas beaucoup échanger avec leur fils et leur belle-fille. Quand j’approfondis, la réponse devient « à quoi ça sert ? » (mei you yong) car à quoi bon apprendre le langage des signes pour le travail des champs. Il semble que communiquer avec leur fils ne leur a pas traversé l’esprit, je n’insiste pas de peur de les mettre mal à l’aise…
Le lendemain, je retrouve le couple et les hôtes à 8 heures du matin déjà maquillés et élégants pour les photos de mariage dans la boutique puis à l’hôtel où la mariée doit se faire officiellement inviter par le marié.
A la sortie de l’hôtel, un orchestre sorti tout droit d’un film d’Emir Kusturica nous accueille. Les mariés s’amusent de leur gestuelle. Le groupe nous suit dans la rue dans un tintamarre invraisemblable. Arrivés à la maison, les mariés s’isolent dans une pièce du fond avec leurs deux amis sourds-muets de Pékin pendant que le banquet débute, enchaînant les plats et les convives, la cour ne pouvant accueillir que 30 personnes maximum. Les invités se succéderont ainsi jusqu’à 16h pendant pas moins de cinq heures d’affilées. Les mariés, contrairement aux autres mariages auxquels j’ai assisté, ne sortiront pas trinquer avec les invités qui sont en fait les villageois qu’ils croisent aux mariages des uns et des autres sans trop savoir qui est qui.
Feu d’artifices, pétards, orchestre à tue-tête, le couple reste à l’écart de la fête villageoise où les parents accueillent puis congédient le ballet des invités. Je reconnais d’ailleurs au passage le paysan qui ne savait pas où était le mariage des « LongYa Ren ». Malentendu linguistique ou méconnaissance des mariés, je ne le saurai jamais. Tout cela sans oublier bien sur les traditionnelles enveloppes rouges, ticket d’entrée indispensables où l’on note soigneusement les montants et les noms avant l’accès au banquet.
J’apprendrai plus tard que les mariés sont partis de ces célébrations rurales et rustiques dès le lendemain en voyage de noce dans la province du Shandong, à 100 km de là. Dans la voiture de leurs amis sourds-muets ils ont gagné pour une semaine le mont sacré Tai (Taishan) pour se revitaliser dans une silencieuse plénitude d’altitude avant de retrouver leur quotidien derrière un écran d’ordinateur à Pékin.

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A propos de l'auteur
Gerald Kane travaille en Chine depuis 10 ans. Son métier l'amène à côtoyer toutes les tranches de la société des plus populaires aux élites. Il sillonne le pays des grandes villes aux régions les plus reculées. Sinophone, il s'est créé un vaste réseau d'amis lui permettant de rencontrer des parcours de vie hors des sentiers battus, qu'il souhaite partager dans son blog.
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