Société
Expert – un architecte « normal » en Chine

 

Petite discussion entre amis (2/3) : de la place des architectes en Chine

Un exemple de bâtiment rénové en style néo-classique revisité. (vue perspective). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Nous avions abordé la semaine dernière la question de l’architecture dite “banale” et de ce que cette notion pouvait bien représenter pour Qi Xin. Nous reprenons aujourd’hui la suite de notre entretien.
Qi Xin, architecte DPLG, architecte diplômé de l'université de Qinghua. Président et Architecte en Chef de l'agence "Qi Xin architects and Engineers". Vice-professeur. Chevalier des Arts et Lettres. (Crédit : D.R.).
Eric Le Khanh : Cet après-midi chez MAD, nous avons assisté à un exposé sur l’utilisation de l’art et de ses courants dans la production architecturale à travers l’histoire. Ton discours ne serait-il pas proche de la pensée fonctionnaliste ?
Qi Xin : Attention, j’insiste sur un point : c’est la notion d’élégance. Faire un mur et une fenêtre, il y a trente-six mille manières de le faire ; mais selon leur proportion, les matériaux utilisés, les détails, on verra le niveau d’intelligence et de culture du concepteur. Par exemple, l’architecte anglais David Chipperfield, répond bien à mon critère d’architecture « banale » ; et cela même si, au début, ses projets n’attiraient pas mon attention car il était considéré comme architecte de « seconde classe ».
Au Japon, même si tu te ballades à la campagne, les maisons sont simples, bien maîtrisées avec des détails soignés. Derrière le projet, tu sens l’intelligence de l’expérience, de la culture, perceptible à différentes échelles. Nous en Chine, on n’arrive pas à faire cela.
Eric Le Khanh : Donc d’après toi, cela vient de l’éducation ?
Qi Xin : Cela vient de beaucoup de choses. L’éducation en est une des raisons.
Eric Le Khanh : Pour parler éducation, beaucoup d’architectes chinois entre 35 et 55 ans, soit 3 générations, sont partis à l’étranger – soit dans les pays anglo-saxons, soit en Europe – y étudier et y travailler. Pour beaucoup, ils y sont restés une dizaine d’années voire plus et j’ai remarqué une constante chez eux à leur retour en Chine : ils oublient très vite leurs acquis !
Ainsi, leurs discours et leurs production ne diffèrent pas vraiment de ceux qui n’ont pas eu la chance de l’expatriation. On ne sait pas si cela est volontaire ou bien s’ils l’ont réellement « oublié ». J’imagine que le marché en est une des causes, une autre aussi étant à mon sens le besoin de « recoller » à l’identité chinoise par soucis d’appartenance.
Qi Xin : Le marché bien sûr en est l’une des causes. L’architecte aussi. Je pense que l’architecte ayant une expérience acquise en Europe, et plus précisément, en France, aura une vision et une approche du projet architectural différent de celui qui l’a acquise aux États-Unis. En même temps, je ne sais si je suis vraiment qualifié pour parler de cela en terme de comparaison car je n’ai jamais mis les pieds sur le continent américain ! Mais j’ai beaucoup d’amis architectes et promoteurs qui y ont étudié et vécu et nous avons tous beaucoup échangé sur ce sujet.
Je pense qu’aux États-Unis, l’enseignement est de très bonne qualité. La différence est dans l’environnement. D’une part son environnement physique : il y a pas de villes anciennes, la culture urbaine est relativement pauvre. D’autre part dans son environnement économique : 95 % des architectes américains ont pour commande des maisons individuelles. Les autres 5 % travaillant sur des gros projets sont intégrés dans de grosses agences-builders de type AECOM, GENSLER, SOM, etc. Cette segmentation du marché américain induit une grande disparité entre leur éducation et leur pratique professionnelle. Et, lorsqu’ils reviennent travailler en Chine, certains d’entre eux n’ont aucun bagage pour répondre à la grande échelle des projets ! puisque d’une parcelle de 200 mètres carré, ils doivent intervenir sur des parcelles de 200 000 mètres carré. Cela demande de leur part une gymnastique mentale qu’ils n’ont pas le temps de faire, pour la plupart d’entre eux.
Pour ceux ayant travaillé en Europe, l’échelle du projet, son rapport à l’urbain, à l’histoire, à son usage et à son devenir sont des processus mentaux intégrés dans le cursus universitaire et dans la pratique professionnelle.
Moi-même après 10 années d’expérience en France et puis à l’agence Norman Foster, j’ai pu travailler sur des gros projets. Or, beaucoup d’architectes arrivant des États-Unis avec la même durée d’expérience n’ont jamais dessiné d’ascenseur !!!
Pour en revenir au processus de projet, la démarche de l’architecte en France est plus axée sur une démarche intellectuelle mettant en avant l’intelligence des solutions apportées, les innovations, tant techniques que sociétales. L’accès à la commande en France à travers les appels d’offres public et privé en est une des composantes essentielles. Au Etats-Unis, la loi du marché où le « moins-disant » prime, n’incite pas à l’innovation et à la prise de risque. De plus, la loi n’autorise que très peu de libertés techniques ou/et spatiales. Dans mon projet réalisé que je citais précédemment, j’ai pu intégrer une vingtaine d’innovations à la fois sur le plan de la technologie et des matériaux. Chose impossible à faire là-bas sans s’exposer à des poursuites juridiques.
Eric Le Khanh : En France nous avons toutes sortes de contraintes, réglementaires, environnementales, de sécurité, de patrimoine, etc, imposées à l’architecte et au maître d’ouvrage qui facilite la bonne insertion du projet dans son espace urbain. Ces règles sont pour la plupart respectées. De plus, il y a aussi un organisme public d’état, la Mission Interministérielle de la Construction et de la Qualité (MICQ) chargée d’encadrer la qualité des ouvrages réalisées pour le compte des collectivités publiques. Elle sert souvent de référence pour les réalisations privées. Tout ceci a peu d’équivalent en Chine n’est-ce pas ?
Qi Xin : En Chine, la réglementation existe mais le « non-dit », le « non-écrit » est le plus souvent appliqué. Je m’explique : à côté d’un bâtiment ancien, on ne peut pas construire du “neuf”, ou alors, il sera « mi-neuf ». Ou bien, à côté d’un bâtiment bas, on ne peut pas construire de bâtiment haut, ou alors, il faut qu’il soit « mi-haut ». Tout ceci n’est pas écrit réglementairement mais existe dans la conscience collective des gens.
L’autre “non-dit” est lui aussi courant : c’est le client qui dicte le style architectural aux architectes. L’un peut aimer le néo-classique italien, l’autre qui construit à côté peut aimer le « French-style » : nous avons alors comme résultat une cacophonie stylistique.
En fait le rapport de force entre le client et l’architecte en Chine est disproportionné : ce dernier n’a pas vraiment le choix et se soumet au goût du commanditaire.
Eric Le Khanh : Et toi, tu en fais ou non du style néo-classique ?
Qi Xin : Eh bien oui ! Et d’ailleurs j’ai un projet qui va être bientôt réalisé. Cela va être très intéressant d’ailleurs. Nous devons constamment jongler avec la commande.
Un exemple de bâtiment rénové en style néo-classique revisité. (vue 1). (Crédit Qi Xin Atelier).
Un exemple de bâtiment rénové en style néo-classique revisité. (vue 2). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Un exemple de bâtiment rénové en style néo-classique revisité. (vue 3). (Crédit : Qi Xin Atelier).
Un exemple de bâtiment rénové en style néo-classique revisité. (vue 4). (Crédit Qi Xin Atelier).
Eric Le Khanh : Pour en revenir à la MICQ, tu ne penses pas que chaque client, qu’il soit privé ou public devrait faire une petite formation « maitre d’ouvrage » de manière à ce qu’il soit plus avisé dans ses choix ?
Qi Xin : Détrompe-toi. J’ai de nombreux amis qui travaillent dans la maitrise d’ouvrage et ils organisent en interne des formations en invitant des architectes de renom. Moi-même j’ai donné des cours à des promoteurs ou à des organismes publics. Les politiques en suivent parfois. Mais est-ce qu’à travers quelques cours, on peut avoir une vision juste de ce qui est un bon ou un mauvais projet ?
Parfois le résultat est pire.
Eric Le Khanh : Oui, j’imagine que le client s’estimant « savoir », il a encore moins tendance à écouter certaines critiques des professionnels.
Qi Xin : En Chine, si tu regardes la masse des architectes, très peu sont bons. La plupart sont médiocres, voire très médiocres, alors qu’ils ont tous suivi un cursus d’études d’architecte ! Donc ce n’est pas quelques cours prodigués au client qui vont lui permettre de devenir « subitement » éclairé et hyper sage.
L’important est que chacun fasse son métier. Or, l’architecture n’est que très peu considérée comme un métier, surtout sur le plan esthétique.
Eric Le Khanh : C’est un peu vrai pour tous les métiers artistiques.
Qi Xin : Oui. La pratique apporte beaucoup de regrets. L’architecte ne pèse pas lourd dans le projet, de plus, il a très peu de responsabilité.
Eric Le Khanh : En France, l’architecte ne pèse pas lourd non plus : entre 5 à 10 % du coût construction. Par contre il a d’énormes responsabilités.
Qi Xin : En France, les lauréats de concours voient leur œuvres protégées. Lors de la construction du projet, toutes les phases sont visées par l’architecte et l’entreprise n’est payée qu’après son accord. En Chine, le suivi des projets échappe souvent à l’architecte, le cantonnant à un rôle de dessinateur de « formes ». Il n’a pas souvent la parole sur le choix du matériau, de la couleur, ou de la technologie.
Suite et fin de notre entretien la semaine prochaine sur Asialyst.

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A propos de l'auteur
Eric Le Khanh est architecte DPLG et Urbaniste ENPC, installé depuis 2003 en Chine, à Shanghai et surtout Pékin. Au milieu des années 1990, le contexte français n'étant pas très optimiste, il a donc décidé d'aller "tenter l'aventure" à l'étranger. La Chine à l'époque est en plein essor et ce choix lui paraît évident.
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