Société
Expert – un architecte "normal" en Chine

Petite discussion entre amis (1/3) : de l’architecture "banale" en Chine

Qi Xin, architecte DPLG, architecte diplômé de l'université de Qinghua. Président et Architecte en Chef de l'agence "Qi Xin architects and Engineers". Vice-professeur. Chevalier des Arts et Lettres. (Crédit : D.R.).
Qi Xin (齐欣), architecte DPLG, architecte diplômé de l'université de Qinghua. Président et Architecte en Chef de l'agence "Qi Xin architects and Engineers". Vice-professeur. Chevalier des Arts et Lettres. (Crédit : D.R.).
Qi Xin (齐欣) fût l’un des tous premiers architectes chinois à m’accueillir en Chine. Le fait qu’il ait vécu, étudié et travaillé longuement en France a facilité une relation de plus de 10 années où son sens de la dialectique et de la contradiction nous amenait souvent dans des discussions à bâtons rompus.
Avec une constance qui faisait un peu sa marque de fabrique : L’acceptation.
L’acception de soi, de son statut d’architecte, l’acceptation d’un contexte, l’acceptation des différences, l’acceptation des autres. Cet état d’esprit lui donne une espèce de distance et de sérénité et lui permet d’avoir un regard « non-passionnel » sur une situation.
Son sens de la dialectique vient à mon avis de ses nombreuses années passées en France où l’échange et la confrontation des idées est propice à la bonne genèse d’un projet d’architecture.
Ces dernières sont les passerelles indispensables aux différents acteurs de la ville soucieux d’échanger et comme le dit Qi Xin d’« amener la société vers le haut ».

Ce long entretien – publié en trois parties – abordera un grand nombre de thèmes tels : une certaine lecture de la ville contemporaine chinoise, la pratique d’architecte, son enseignement et in fine une vision optimiste de la ville de demain.

Eric Le Khanh : J’ai bien aimé le thème de ton atelier d’architecture pour étudiants en Master d’architecture intitulé « Architecture banale ». C’est intéressant de montrer au lecteur qu’en Chine, des architectes chinois portent un intérêt à ce qui n’est pas dans le « mainstream », c’est à dire une architecture qui ne se remarque pas ; mais qui relève de l’évidence quant à son existence.
Une architecture “banale”, « normale », a contrario de ce que l’on voit aujourd’hui où tout nouveau projet est une surenchère dans la prouesse technologique, du gigantisme et de l’originalité. En Chine, les bâtiments doivent se faire remarquer !
Alors, pourquoi le choix de ce thème ?

Qi Xin : L’architecture « banale » a une résonance différente en France et en Chine. D’une manière générale, en France, les architectes sont considérés comme des intellectuels. A ce titre, on leur donne une certaine responsabilité : celle d’apporter leur réflexion sur la ville et de « tirer » la société vers le haut, avec une vision prospective et donc en apportant une réponse intellectuelle.
En Chine, surtout depuis son ouverture il y a 30 ans, les architectes travaillent d’une manière très passive. Ils n’ont aucun rôle d’intellectuel en terme d’apporteur d’idées ; et ils sont pressés par les contingences du marché en terme de délai et de pouvoir des décideurs.
Si aujourd’hui en Chine nous voyons des projets de qualité au niveau architectural et urbain, c’est souvent grâce à la maîtrise d’ouvrage (public ou privé) qui s’est donné les moyens de voyager et d’aller s’inspirer à l’étranger de « projets références ».
Or la majorité des architectes sont trop souvent occupés à « charretter » et ils n’ont guère l’occasion de renouveler leurs connaissances, ce qui ne favorise pas leur imagination créative.

Un autre problème en Chine est une pauvreté relative de la culture chez les gens qui ont connu la Révolution Culturelle [vaste mouvement politique de 1966 à 1976 en Chine qui verra la fermeture des écoles et des universités et l’envoi massif de « jeunes instruits » à la campagne pour se faire « rééduquer » par les paysans. NDLR].
En France, n’importe quel évènement, qu’il soit culturel, politique ou religieux à son audience. A ce propos, j’ai une petite anecdote à te raconter : à mon arrivée en France, j’étais assis dans un parc, à Lyon. Là, se trouvait une dame d’un certain âge assise à côté de moi, et au cours de notre conversation, elle a cité Le Corbusier. Elle n’évoluait pas dans le milieu de l’architecture mais avait des références basiques dans ce domaine. Cela reflète à mon sens la différence de niveau culturel entre la France et la Chine.

Revenons-en à ma définition de l’architecture « banale ». En France, il existe bien entendu de la production de masse où la recherche architecturale est absente. Malgré cela, le résultat ne peut être qualifié de « n’importe quoi », sans doute à cause d’un niveau général assez bon, et des instances réglementaires visant les nouveaux projets.
Au contraire, en Chine, on a vraiment ce « n’importe quoi » qui est devenu, à mon sens, une « normalité », dans le mauvais sens du terme. Ainsi, plusieurs styles architecturaux de plusieurs époques se juxtaposent (néo-classique, moderne, contemporain), des plans-types sont utilisés avec différentes styles de façades (européen, américain, anglais, chinois, etc….). Tout cela est en Chine considéré comme de l’architecture “normale”. Pourtant, ce n’est pas celle à laquelle je fais référence dans mon atelier avec mes étudiants.

Ce que j’appelle « architecture banale » est une architecture simple, sans superflu ni fioriture, où l’on crée une porte, une fenêtre, un poteau, selon un besoin spécifique. Cette architecture est simple et élégante. Tu sais, un jour j’ai demandé à mes étudiants de trouver un bâtiment construit selon ces critères à Pékin. Et, au final, pas un n’a réussi à en trouver n’en serait-ce qu’un seul correspondant à mes critères.
Pourquoi? Sans doute parce qu’il est ardu de trouver des bâtiments simples où le « look » ne prime pas. Avec cette appellation pour mon atelier j’essaye de créer un contre-courant où la qualité architecturale peut rimer avec sobriété et élégance ; le tout répondant au contexte urbain.
Je pense que dans la ville, on n’a pas besoin de ces « bâtiments-clowns » disséminés un peu partout mais plutôt d’une homogénéité esthétique simple, tranquille.

Eric Le Khanh : En fait, tu es contre les accessoires en architecture (ceci dit en plaisantant, sur le ton de la provocation) ! En France, on est les rois des accessoires avec toutes nos marques mondiales renommées. C’est marrant d’entendre cela de toi qui a étudié et travaillé là-bas.

Qi Xin : Non, non. L’une ne contredit pas l’autre. Évidemment qu’il en faut. Mais à des endroits stratégiques, où l’espace urbain mérite d’être souligné. En Chine, on en fait trop et partout. Créer un bâtiment tout simple mais sans erreur technique, structurelle, fonctionnelle ou esthétique nécessite une grande maîtrise que beaucoup d’architectes en Chine n’ont pas, alors qu’ils dessinent des projets de plusieurs centaines de milliers de mètres carré.

Le premier projet que j’ai réalisé à Pékin était dans un campus (campus(Guojia Kuai Xue Yuan, 国家快学院) avec des dortoirs. J’ai plutôt porté mon travail sur l’aspect urbain, et l’intégration du bâti dans le campus et son paysage. Les façades étaient très simples avec des ouvertures régulières et sans fioritures. A la fin, tout le monde a apprécié le projet. Mais si j’ai pu le réaliser, c’est parce qu’il n’y avait pas eu d’éléments « extérieurs » interférant dans la réalisation du projet, fait assez rare en Chine.

Plan-masse du campus Guojia Kuai Xueyuan - 国家快学院 (Crédit : Qi Xin)
Plan-masse du campus Guojia Kuai Xueyuan - 国家快学院 (Crédit : Qi Xin Atelier)
Élévation du campus Guojia Kuai Xueyan - 国家快学院 (Crédit : Qi Xin Atelier).
Élévation du campus Guojia Kuai Xueyan - 国家快学院 (Crédit : Qi Xin Atelier).

De même, en France il y a dix ans, j’ai dessiné et réalisé une maison très simple pour une amie : là où il y avait besoin d’une porte, je mettais une porte, là où il y avait besoin d’une fenêtre, je mettais une fenêtre, etc…et, ça s’est construit.

Alors qu’aujourd’hui en Chine, il est extrêmement difficile de réaliser ce type d’architecture car le client pense que soit tu n’as pas assez travaillé, soit tu es un incapable.

Retrouvez la suite de cet entretien, la semaine prochaine sur Asialyst.

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A propos de l'auteur
Eric Le Khanh est architecte DPLG et Urbaniste ENPC, installé depuis 2003 en Chine, à Shanghai et surtout Pékin. Au milieu des années 1990, le contexte français n'étant pas très optimiste, il a donc décidé d'aller "tenter l'aventure" à l'étranger. La Chine à l'époque est en plein essor et ce choix lui paraît évident.
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