Economie
Expert - La Chine et le tourisme

Chine : l’aventure européenne

Photo de touristes chinois
Des touristes chinois regardent les tours Eiffel miniatures dans un stand des Galeries Lafayette à Paris, le 4 octobre 2012. (Crédit : AFP PHOTO / FRED DUFOUR)
Le 20e siècle a été marqué en Chine par une série de bouleversements qui ont plus que sensiblement transformé les comportements et les habitudes de la population. La chute de l’Empire, la guerre civile, la guerre sino-japonaise, les grandes famines, la Révolution Culturelle… tous ces évènements ont entrainé un bouleversement majeur au sein de l’Empire du Milieu. Et ce n’est ainsi que dans les années 1980-1990 avec la politique d’ouverture que les chinois découvrent un nouvel « art de vivre » : les loisirs.

« Enrichissez-vous ! »

Avec cette célèbre phrase, prononcée en 1992, le petit timonier Deng Xiaoping fait souffler un vent nouveau sur l’Empire du Milieu, celui des voyages (non contraints). L’accès aux voyages à l’intérieur du pays puis à l’étranger devient possible. Dans un premier temps, les gouvernements des différentes provinces encouragent, organisent des voyages sur leur territoire, et petit à petit à l’étranger.
Sur le plan intérieur, une transformation d’une rapidité foudroyante se met en place : les sites touristiques sont aménagés, les hôtels se multiplient, les agences de voyages fleurissent. Vite, très vite, trop vite peut-être. Vers l’étranger, trois catégories principales de touristes se distinguent, alors, durant cette dizaine d’années : les voyages de « masse », les voyages privés des chinois aisés et les voyages officiels des fonctionnaires.
Tout d’abord donc, les voyages que nous appellerons de « masse ». Il s’agit là de voyage où les touristes traversent plusieurs pays en une semaine. Ce sont des voyages en groupe à très bas coûts où les globe-trotters dorment et mangent dans des hôtels chinois, parfois dans le bus. Toute l’organisation est entièrement chinoise. Qui n’a pas le souvenir des dizaines de bus de chinois devant la Tour Eiffel, l’arc de Triomphe et autres ? Admiratifs, éblouis devant ces monuments légendaires sous l’oeil méfiant de certains occidentaux qui voyant ces bus de touristes aux habitudes si différentes, se demandaient, inquiets, si le « péril jaune » est arrivé…
Puis, une seconde catégorie, celles des touristes que nous appellerons : « les chinois aisés » qui eux, s’intéressent particulièrement aux boutiques de luxe et aux Palaces. Les occidentaux, y ont vu là, une aubaine. Les grandes marques de luxe se sont littéralement jetées sur ce marché des « riches chinois », un terme que j’entends régulièrement… pensant, certainement, que cette situation durerait éternellement mais c’était sans compter sur l’évolution du pays et ses mentalités, en constant mouvement.
Et enfin, les voyages des fonctionnaires chinois. Vous les avez, certainement, croisés : ce sont des petits groupes, souvent en voyages d’affaire. Ces voyages sont parfois organisés en récompense pour des fonctionnaires du Parti communiste issus de l’une des différentes provinces. Les points phares, tous des classiques, sont visités dans chaque pays. Aujourd’hui, depuis les lois anti-corruption du nouveau président Xi Jinping, ces déplacements des fonctionnaires se font plus rares…

Qu’en est-il aujourd’hui des touristes chinois ?

Clairement, nous notons un retour à l’authenticité avec d’une part, l’émergence d’une nouvelle catégorie de voyageurs : la classe moyenne supérieure qui, sans être milliardaire, a de l’argent. Et, d’autre part, un net recul des voyages de masse et des voyages de « riches chinois ».
Que se passe-t-il sur le « vieux continent » face à ces nouvelles donnes. Pas grande chose ! Un vent, voir une tornade… d’interrogations envahit le domaine du tourisme et laisse dubitatives les grandes marques de luxe qui ont vu leur chiffre d’affaire reculer, considérablement, ces dernières années sur le marché chinois.
Et oui, la Chine bouge, bouge très vite, évolue… Et la « poule aux œufs d’or » des occidentaux s’éloigne (s’équilibre ?) petit à petit.
Dans le domaine du tourisme, les tour-opérateurs chinois se sont ainsi multipliés dans leur pays. Afin de faire voyager les clients, elles s’adressent à des relais chinois en Occident se chargeant des réservations des prestations terrestres. Et le tout selon un procédé relativement simple : leurs relais s’occupent soit des voyages de grands groupes avec des itinéraires tous identiques ; soit des réservations d’hôtels, de voitures, de guides qui porteront les clients individuels (aussi valable pour les grands groupes) dans les fameuses « boutiques »… et toucheront, au passage, de belles commissions.
Rien de très compliqué jusque là et extrêmement rentable. Les grandes marques européennes de luxe, les tour-opérateurs chinois et leur relais chinois en Europe y ont vite vu un grand intérêt économique.
Mais les choses changent et le vent tourne… Il y a peut-être, là aussi, une différence culturelle à noter : en Asie, la vie est cyclique et en Occident, la vie est linéaire. Les lois anti-corruption de Xi Jinping, la montée des classes moyennes supérieures ont largement modifiées le paysage touristique.
Les grandes marques ne comprennent pas pourquoi les ventes chutent, la crise, la crise et si ce n’était pas la crise ? Mais seulement une évolution des mentalités, une transformation du comportement du marché chinois ? Encore faudrait-il, pour cela, que les grandes maisons du luxe s’intéressent à l’aspect culturel et humain. A part quelques marques, elles n’ont vu que les dollars immédiats et se retrouvent, aujourd’hui, dans une impasse.
Concernant notre classe moyenne supérieure chinoise, elle voit son offre touristique très limitée, voire inexistante ! Qui sont-ils ? Ils voyagent en famille, entre amis, recherchent de l’authenticité, ont une réelle curiosité pour nos pays européens, un pouvoir d’achat non négligeable, une exigence plus qualitative, un regard plus critique.
Or, les tour-opérateurs chinois et leurs relais en Europe ne sont pas habitués à cette demande et ne peuvent, pour le moment, y répondre de manière satisfaisante. Il y a peu, voir pas, de synergie entre les professionnels du tourisme chinois et occidentaux. Jusqu’à présent, chacun travaillait de son côté, se reposant sur une offre classique, voyant essentiellement les bénéfices financiers. L’évolution du comportement des chinois en matière de tourisme demande une exigence supérieure, une production d’itinéraires plus élaborés, sophistiqués. Là aussi, peut-être est-il temps de s’intéresser à l’aspect culturel, humain pour répondre, ainsi, à une demande de plus en plus forte.
Pour ma part, je vois souvent de jeunes couples dans les rues de Paris, tournant et retournant une carte de la ville pour retrouver tant bien que mal leur chemin…
Quand aux acteurs du tourisme en Europe, les grands vignobles, les différentes régions proposent des tours plus ou moins originaux dans leurs activités. Mais personne ne fait le lien entre les différentes offres de nos pays. Les pauvres touristes, doivent assembler, seuls, les pièces du puzzle pour faire un itinéraire en Europe… Imaginez-vous devoir organiser, vous-même, un itinéraire original en Chine… Compliqué, non.. ?
Alors, ils se débrouillent comme ils peuvent : hôtels réservés sur différents sites internet, cartes des pays et des villes en mains, ils partent à l’aventure « chez nous », souvent déçus car il est difficile de se déplacer, seuls, connaître les bonnes adresses, les sites insolites, l’itinéraire adapté à leur besoin. Bref, un tour-opérateur adapté !
Il serait, peut-être, temps d’essayer de se comprendre, se respecter sans jugement et unir les forces de nos différentes cultures de manière à mieux travailler ensemble, offrir, innover des prestations différentes ! Pour cela, nous aurions besoin, entre autre, d’une pincée d’écoute, un tantinet d’intérêt humain pour l’Autre. Travailler main dans la main. Sommes nous prêts ? Car, et les Occidentaux dans tout ça ? Comment se comportent-ils en Chine ? Comment sont-ils vus par les Chinois ? Comment évolue le comportement des touristes occidentaux en Chine ? Quelles sont leurs attentes et quelle est l’offre proposée ? Tout ceci est à venir dans notre prochain « regard » sur le tourisme.

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A propos de l'auteur
Parachutée en Chine par une société française, spécialisée dans le voyage « sur mesure », Céline a vécu, parcouru ce vaste pays pendant presque 6 ans. Mise face à une vie quotidienne radicalement différente de la sienne, elle s’est rapidement penchée sur les différences culturelles des deux pays de manière à croiser les connaissances, utiliser les forces des différentes cultures pour mieux se comprendre, mieux communiquer, mieux vivre, mieux travailler ensemble. Rentrée en Europe depuis peu, passionnée par ce pays, elle a créé sa propre société « Cercle de Jade » dont le but est, d’une part, transmettre sa passion de la Chine à travers le voyage, en détournant les incontournables et faciliter les échanges commerciaux entre les sociétés occidentales et les sociétés chinoises, d’autre part, à travers la culture, les relations humaines.
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