Bali, création de l’imaginaire occidental
Bali est l’île indonésienne la plus connue dans le monde. On ne sait d’ailleurs pas toujours qu’elle est en Indonésie*. La majorité des touristes étrangers qui se rendent en Indonésie arrivent par l’aéroport de Denpasar, la capitale de l’île. (Quelque 40% en 2014, alors que seulement 24% sont entrés par Jakarta cette même année (site du Badan Pusat Statistik, l’agence gouvernementale indonésienne de statistiques)).
Bali est couramment surnommée « l’île des Dieux ». Nehru l’avait appelée « le matin du monde »*. D’après Timothy Lindsey , un indonésianiste australien,« l’obsession populaire d’une image romantique de Bali comme paradis » prend sa source dans les photographies prises par Gregor Krause, un médecin allemand au service du gouvernement des Indes néerlandaises, lors de son séjour dans l’île de 1912 à 1914*. Mais avant les photographies de Krause, il y avait eu les dessins et esquisses de l’artiste néerlandais W. O. J. Nieuwenkamp exécutés à la suite de l’intervention militaire néerlandaise de 1906.
Selon l’historien Adrian Vickers, « sur trois siècles* (The Romance of K’tut Tantri and Indonesia (1997), p. 75), l’Occident a construit une image complexe et magnifique de l’île qui en est arrivée à remplacer même la pensée balinaise ». Bali fait donc rêver. Des centaines d’étrangers cherchent à y acquérir une maison.
Mais comme l’écrit le Sydney Morning Herald du 9 août 2014, « derrière le soleil et les sourires rayonnants de Bali, il y a un sinistre secret : la montée de bandes violentes qui vise de plus en plus des occidentaux ». Un autre problème est la pollution qui s’étend. En 2010 déjà, le Jakarta Globe annonçait que des chercheurs avaient démontré que six des plages les plus populaires étaient polluées.
La naissance de Bali comme destination touristique date des années 1920. Selon l’historien australien Adrian Vickers, la position géographique de Bali permettait d’associer deux imaginaires « occidentaux » : « la beauté du Pacifique Sud […] et les mystères de l’Inde ». En 1930, le journaliste américain Hickman Powell publie The Last Paradise: an American’s Discovery of Bali in the 1920s. Le cliché est en place.
Un autre cliché pour qualifier Bali est en effet celui « d’une île hindouiste dans une mer d’islam »*.
La religion traditionnelle des Balinais est en effet qualifiée « d’hindouisme », appellation qui selon l’ethnologue français Michel Picard pose problème. L’anthropologue américain Clifford Geertz préfère parler d’une « religion balinaise […] peu […] touchée par la sophistication philosophique ou la préoccupation généralisée du brahmanisme classique ou de son dérivé bouddhiste ».(Clifford Geertz, The interpretation of cultures (1973).) L’anthropologue allemand Martin Ramstedt rappelle de son côté que ce sont « les Hollandais [qui, lorsqu’ils] ont colonisé Bali à partir du dix-neuvième siècle, […] ont présenté à la fois la « religion » et « l’hindouisme aux habitants de l’île ».
Une explication courante donnée dans les guides touristiques comme le Lonely Planet du fait que Bali soit restée « hindouiste » alors que 87% de la population de l’Indonésie se déclare musulmane est « qu’alors que le royaume de Majapahit s’effondrait, de nombreux membre de son intelligentsia fuirent à Bali […]. Des artistes, des danseurs, des musiciens et des comédiens fuirent également à Bali à l’époque, et l’île connut une explosion d’activités culturelles. »
« L’île devint un refuge au XVIe siècle pour les hindouistes javanais fuyant la propagation de l’islam en Indonésie » , raconte de son côté le site de Christianity Today.
En réalité, au XVIe siècle, l’est de Java était encore essentiellement hindou-bouddhique. Ce n’est que vers 1770 que le souverain de Blambangan, la dernière principauté hindou-bouddhique de la région, se convertit à l’islam sous la pression des Hollandais. Pour ces derniers, soustraire la région à l’influence de Bali, dont Blambangan était vassale, était essentiel. L’image d’une Bali résistant à l’islam est une construction idéologique, non un récit historique. Pour reprendre l’expression de l’écrivain français Jean Couteau, cette image semble être un reflet « [d]es obsessions historiques [des Occidentaux à propos de l’islam] ».
Bali comme Barcelone subit les conséquences du tourisme de masse » . On peut regretter comme le Huffington Post que le Last Paradise est devenu un « Paradise Lost ». C’est oublier que ce » paradis » est une création de l’imaginaire « occidental ».
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