Economie
Expert - Le poids de l’Asie

Perspectives économiques à moyen terme : risques financiers, incertitude chinoise

Ouvrier travaillant sur un site de construction de Manille en avril 2014. (Crédit AFP PHOTO / Jay DIRECTO)
Avec le Printemps vient le temps des bilans et des prévisions. Présentées à la mi-avril, celles du FMI (Perspectives de l’économie mondiale) et de la Banque Mondiale (East Asian update) ont été précédées par le rapport de la Banque Asiatique de Développement (BAD).

L’Asie restera la région la plus dynamique

L’Asie était en 2014 la région la plus dynamique devant l’Afrique, et selon les Institutions Financières Internationales (IFIs), elle le sera aussi en 2015 et 2016. L’Asie continue d’être le moteur de la croissance mondiale.

Ces prévisions font apparaître des écarts élevés de croissance entre pays : plus rapide pour les plus pauvres (Myanmar, Laos, Cambodge) et plus lente pour les plus riches (Japon, Corée, Singapour, Malaisie). Cela traduit un processus de convergence dans un espace caractérisé par de très fortes disparités.

Toutefois, en dépit de la chute des cours du pétrole – une aubaine pour la plupart des pays, hormis l’Indonésie et la Malaisie – et de l’amélioration américaine, le FMI n’envisage pas une accélération et, bien au contraire, au fil des mois, il a révisé à la baisse ses prévisions en insistant sur les risques.

Tableau représentant les croissances et prévisions des pays asiatiques vues par différentes sources.
Sources : FMI, “World Economic outlook” / Banque Asiatique de Développement, “Asian outlook” / Banque Mondiale, “East Asian update”
Depuis ces rapports, une série de nouvelles suggère que la croissance asiatique est inférieure à ces prévisions : au 1er trimestre 2015, les performances américaines et japonaises ont déçu ; la croissance industrielle chinoise a été médiocre, la croissance du PIB indonésien est la plus faible depuis 2009 ; et dans l’ASEAN, la contraction des ventes de voitures et de motocyclettes – qui intéressent plus de ménages – est une illustration du tassement de la consommation qui est le moteur de la croissance des pays de cette région.

Rétrospectives sur les perspectives

Quel crédit accordé aux prévisions des Institutions Financières Internationales (IFIs) ? Ces institutions, et tout particulièrement la Banque Mondiale, ont une relation complexe avec les pays asiatiques qui se sont davantage inspirés de l’expérience japonaise que de leurs conseils. Jusque dans les années 1990, la Banque Mondiale insistait sur le caractère libéral de la croissance asiatique et il a fallu l’insistance (et le financement) du Japon pour qu’elle admette que l’Etat a joué un rôle important dans « les Miracles asiatiques » – titre de la publication de 1993. Quant au FMI, ses réactions face aux crises européennes ont réveillé de mauvais souvenirs en Asie où ses premières mesures face aux crises asiatiques de 1997 avaient été d’imposer des mesures d’austérité qui ont aggravé le mal.

S’agissant de prévisions, le service après-vente n’est pas encore dans l’ADN des IFIs qui, à l’exception du FMI, revisitent rarement leurs perspectives. Certes les IFIs ne peuvent pas prendre le risque de crier au feu en annonçant une crise, mais elles n’ont vu venir ni celle de 1997 ni celle de 2008. Or, contrairement à ce qui est souvent écrit, cette dernière n’était pas un « cygne noir ». Elle avait été annoncée dans des ouvrages et dans des réunions publiques, y compris en France. En janvier 2008 à la Conférence sur les Risques de la Coface, Nouriel Roubini a déroulé le scénario de la crise à venir en indiquant qu’elle serait déclenchée par la faillite d’une grande banque. S’il a vu juste à propos des Etats-Unis, il s’est trompé sur les pays émergents.

Tableau comparatif des prévisions comparées aux réalisations des pays asiatiques, vues par différentes sources
Source : FMI, “World Economic Outlook” / Banque Mondiale, “East Asian update” / Banque Asiatique de Développement, “Asian outlook”.
Que dire des prévisions des IFIs à propos de l’Asie ? Le tableau compare leurs prévisions cumulées (2011-2014) aux réalisations. En l’absence de secousse, elles se trompent moins ! Elles pêchent toutefois par excès d’optimisme et ce pourrait être le cas en 2015 où, concernant la Chine, la Banque Mondiale et la Banque Asiatique de Développement sont plus optimistes que Li Keqiang, le Premier Ministre qui envisage une croissance d’environ 7 %. Leurs erreurs les plus fortes concernent l’Inde et la Thaïlande, où la crise politique a déjoué les prévisions économiques.

Les risques financiers

Alors que depuis la crise, les pays industrialisés se désendettent, l’Asie et tout particulièrement la Chine, Hong Kong, la Malaisie et l’Indonésie se sont endettés et les niveaux atteints sont parfois inquiétants (ainsi la dette des ménages malaisiens représente 100 % du PIB) aussi le désendettement ralentira la croissance. Mais ces pays redoutent également des sorties massives des capitaux qu’ils avaient attirés en émettant des obligations offrant des rendements élevés, ces pays ont attiré les liquidités créées par les politiques monétaires hétérodoxes (Etats-Unis, UE et Japon). L’appréciation du dollar – à une vitesse sans équivalent depuis 50 ans ! – et le redressement annoncé des taux d’intérêt par la Fed, sont de mauvaises nouvelles pour les pays qui se sont endettés en devises, ou dont les émissions en monnaie locale ont été achetées par des investisseurs étrangers – soit la moitié des émissions d’Etat en ringgit malais et presqu’autant des émissions indonésiennes en rupiah ; en outre, les investisseurs étrangers contrôlent une part importante de la capitalisation boursière de ces deux pays.

En 2013, l’évocation d’un changement à venir de la politique monétaire américaine a provoqué un brusque reflux de capitaux et des tensions sur le marché des changes. Même s’il est anticipé, ce changement pourrait provoquer l’accélération du mouvement de reflux des capitaux qui a commencé dans plusieurs pays, ou bien un retournement brutal dans le cas de l’Inde, où ils se sont précipités après l’élection de Modi. A cela s’ajoute le risque posé par les entreprises qui se sont endettées en dollar sans toutes se couvrir du risque de change.

C’est en Chine que le crédit a progressé le plus vite depuis 2009. L’histoire récente montre que les épisodes d’expansion rapide du crédit s’achèvent souvent sur des crises : il avait augmenté de l’équivalent de 45 % du PIB entre 1985 et l’éclatement de la bulle au Japon en 1989, de 47 % du PIB entre 1995 et la crise de 1998 en Corée, de 41 % entre 2002 et 2007 aux Etats-Unis et enfin de 87 % entre 2008 et 2014 en Chine qui a du mal à se désintoxiquer du crédit dont la moitié est assurée par la finance de l’ombre (shadow banking). Toutefois cet endettement ne représente pas les mêmes risques car il est libellé en Yuan, le compte de capital est fermé et l’Etat contrôle le système financier.

L’incertitude chinoise

Si le succès ou l’enlisement des réformes au Japon est important pour l’avenir à moyen terme de l’Asie, la principale incertitude concerne l’évolution de la conjoncture chinoise. Annoncée depuis plus de dix ans (la « croissance harmonieuse » de Hu Jintao), la transition vers une croissance davantage tirée par la consommation que par l’investissement et reposant plus sur les services devient une nécessité. La correction dans l’immobilier freine la construction et ce ralentissement aura un impact sur plusieurs secteurs industriels. Assistera-t-on à un atterrissage en douceur ou un atterrissage brutal que pourrait aggraver l’attentisme créé par la campagne anti-corruption ?

S’ajoute l’incertitude politique avivée par un article de David Shambaugh. Ce sinologue qui n’avait jamais tenu de propos alarmistes a évoqué la montée de tensions au sommet de l’Etat. Le commerce est la principale courroie de transmission de la conjoncture chinoise vers l’Asie. La Chine est le premier partenaire commercial de la plupart des pays qui voient leurs exportations vers ce marché se contracter au premier trimestre 2015 (- 1 % dans le cas de la Corée, – 12 % au Japon, – 14% en Thaïlande, – 28 % en Malaisie). La Corée et Taïwan qui dégagent des excédents importants dans leurs échanges seraient les plus affectés.

La Chine est également un marché pour de services pour l’Asie : en 2014, 117 millions de touristes Chinois ont dépensé près de 500 milliards de dollars dans le monde, et ils sont les plus nombreux en Corée, Taïwan et en Thaïlande. Enfin, et sans que l’on puisse apprécier, un atterrissage brutal de l’économie chinoise aurait un impact sur les anticipations des entreprises et les valeurs en Bourse de celles les plus engagées sur le marché chinois, en Asie et partout dans le monde.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).