Taïwan : quelle stratégie pour la Chine de Xi Jinping ?
Cette année, après huit ans de présidence Ma Ying-jeou, dirigeant du Kuomintang (KMT) et chantre d’un rapprochement économique avec Pékin, le DPP semble bien parti pour revenir au pouvoir lors de la présidentielle du samedi 16 janvier. Sa candidate Tsai Ing-wen est la grande favorite devant Eric Chu, président du KMT. Vu de Pékin, qui souhaite toujours une réunification sur le long terme, le retour du DPP rime avec inquiétude et tensions.
Entretien
Jean-Pierre Cabestan est directeur de recherche au CNRS et chercheur associé à Asia Centre (Paris) et au Centre d’étude français sur la Chine contemporaine (Hong Kong). Il est depuis 2007 professeur à l’Université baptiste de Hong Kong et directeur de son département de science politique et d’études internationales. Il a été de 2003 à 2007 directeur de recherche au CNRS, rattaché à l’UMR de droit comparé de l’Université de Paris 1. Il a dirigé de 1998 à 2003 le Centre d’études français sur la Chine contemporaine situé à Hong Kong ainsi que ses publications, Perspectives chinoises et China Perspectives.
Ses principaux thèmes de recherche incluent les réformes juridique et politique en Chine populaire, la politique étrangère et de sécurité chinoise, les relations Chine-Taiwan et le système politique taiwanais.
La seule chose de nouveau de la part de Xi Jinping, c’est l’initiative qu’il a prise de rencontrer le président taïwanais sortant Ma Yingjiu le 7 novembre dernier à Singapour. Et donc de prendre sur lui d’organiser une forme de sommet avec le responsable d’une entité politique que Pékin ne reconnaît pas vraiment. Il y a donc une forme de flexibilité nouvelle chez Xi Jinping, qui se combine avec une affirmation de puissance de plus en plus évidente.
Cela dit, Pékin ne peut pas isoler Taïwan et accroître aveuglément la pression militaire, car le gouvernement chinois cherche à gagner à lui le plus de segments de la société taïwanaise : les hommes d’affaires, les partis d’opposition, tous les éléments qui ont intérêt à des relations stables avec la Chine, comme les Taïwanais du sud de l’île qui ont gagner beaucoup d’argent avec le tourisme chinois. La stratégie chinoise consiste plutôt à isoler les forces indépendantistes et Tsai Ing-wen si une fois élue, elle ne joue pas le jeu. Pékin n’isolera pas Taïwan, de façon à maintenir ses relations avec le KMT.
Xi n’est pas plus souple ou plus ouvert que Hu, mais il a plus de cartes en main. Son rôle décisionnaire sur la politique à l’égard de Taïwan est encore plus évident car il a imposé l’idée du sommet avec Ma à l’éxécutif : il a davantage les moyens de prendre l’initiative que son prédecesseur, dans un sens comme dans l’autre, vers plus souplesse ou plus d’aggressivité.
Pour Taïwan, cela va être plus difficile. Ce ne serait pas logique d’attendre que le président chinois fasse preuve d’une grande ouverture alors qu’il affirme la puissance de la Chine aux quatre coins du monde. Xi va sans doute mettre plus de pression, ce qui peut créer de la tension. En même temps, il maintiendra une volonté de diviser pour mieux régner, afin de se rapprocher de toutes les forces taïwanaises qui peuvent aider la cause de Pékin.
Il faut savoir que même Ma Yingjiu a déçu en Chine, car il n’a pas accepté l’ouverture de discussions politiques en vue d’une réunification. Mais Pékin a une vision de long terme : une fois que la stabilité est assurée dans les relations avec Taipei, il sera possible d’aller plus loin dans la négociation vers un accord politique. Par cette rencontre avec Ma en novembre, Xi Jinping a accru la pression sur le DPP. Ce qui explique d’ailleurs les déclarations encore plus conciliantes de Tsai Ing-wen en décembre dernier. Elle a en effet déclaré que le « consensus de 1992 » était une « option », sans fermer la porte. Même si elle ne peut pas l’approuver électoralement car son camp y est opposé, Tsai a montré qu’elle n’y était pas opposée dans la mesure où cela pouvait réduire la tension avec Pékin et rassurer les Américains. Cela dit, la stratégie de Xi Jinping se heurte de toute façon à la méfiance des Taïwanais à l’égard de toutes négociations politiques avec Pékin.
Il faut noter une évolution plus importante : l’Armée Populaire de Libération (APL) possède maintenant des armes plus offensives, des missiles capables de détruire des porte-avions. Cela augmenterait donc le coût d’une intervention américaine pour protéger Taïwan. Par la modernisation de sa capacité offensive, la Chine est en train de changer l’équilibre des forces.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don