Taïwan : au coeur des élections, toujours la Chine

La proportion des indécis selon les sondages varie autour de 25% des intentions de vote. La campagne a démarré tardivement, dans un climat politique morose et de défiance populaire vis-à-vis du KMT. L’avance de Tsai Ing-wen n’a semblé remise en cause à aucun moment d’une campagne finalement courte, relativement calme et jusqu’ici sans grand suspens.
Entretien
Nathan Batto est chercheur à l’Institut des sciences politiques de l’Academia Sinica, à Taipei. Spécialiste des systèmes électoraux et des questions taïwanaises, il décrypte pour Asialyst la valeur démocratique et la signification politique de cette élection présidentielle pour Taiwan.
Mais je ne crois pas que les Taïwanais tournent pour autant le dos à la démocratie. Au contraire, Taïwan se normalise sur ce plan. Il y a bien sûr des questions auxquelles il faut répondre mais c’est le cas ailleurs. Tous les Etats sont confrontés à la nécessaire amélioration de la qualité de leur démocratie, de leur justice, de leurs médias et de la participation des citoyens aux élections.
Le KMT a beaucoup insisté sur sa posture idéologique durant cette élection, ce qui peut faire penser que son attraction pour d’autres électeurs s’est réduite, mais je pense que c’est une situation encore en évolution. Le clivage essentiel du spectre politique taïwanais reste la question de la relation à la Chine et des termes de l’identité taiwanaise. Pour preuve, si l’on compare l’ECFA, le TPP [le Partenariat Trans-pacifique, une zone de libre-échange à l’échelle du bassin pacifique développée par les Etats-Unis et partiellement entrée en vigueur en octobre 2015] et le RCEP [le Partenariat économique intégral régional, un accord concurrent organisée autour des Etats de l’ASEAN et dominée par la Chine], on s’aperçoit que ces propositions de libre-échange sont économiquement équivalentes. Mais lorsque les Taïwanais se posent la question en termes politiques, leurs opinions diffèrent alors fortement. Si j’étais Taïwanais, je penserais que le TPP est une bonne chose, mais en tant qu’Américain, je pense que le TPP est une catastrophe. Si l’ECFA avait été signé avec le Japon, il n’y aurait pas eu le mouvement des Tournesols à Taïwan.
Les électeurs modérés proches du KMT ne sont pas opposés au principe d’une seule Chine tant que cela reste de l’ordre du discours, mais le KMT et Ma Ying-jeou ont voulu aller, progressivement, plus loin et c’est certainement une des principales raisons de l’impopularité forte du KMT. A l’avenir, je pense que le KMT va entrer dans une période de crise intense pour déterminer dans quelle direction le parti doit se diriger. Et s’ils sont incapables de reconstruire une unité pour jouer le rôle d’une opposition forte face au DPP, il existe une possibilité pour que ce parti soit remplacé par une force politique nouvelle capable de jouer ce rôle d’opposition.
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