Société
Entretien

Chine : Des centaines d’œufs de ptérosaures découverts au Xinjiang

Fossiles de ptérosaure, connu sous le nom d’Hamipterus tianshanensis et retrouvé dans des sédiments du désert de Gobi près de la ville de Hami, au nord-ouest de la Chine dans la province autonome ouighours du Xinjiang. 30 novembre 2017. Crédits : Cai Zengle / Imaginechina
Au bowling, on appelle cela un strike. Ce n’est certes pas la première fois que les professeurs Zonghe Zhou et Xiaolin Wang promènent pinceaux et balayettes dans le Far-West chinois – en 2014, accompagné de paléontologues du Museum national de Rio, la bande des célèbres chasseurs de fossiles de l’Académie des Sciences de Pékin avait déjà mis la truelle sur cinq œufs de ptérosaures fossilisés dans la préfecture d’Hami au Xinjiang. Cette fois, l’équipe sino-brésilienne est tombée sur un nid. Deux cents quinze œufs de ces reptiles volants cousins des dinosaures ont été extraits d’un morceau de roche de trois mètres de long. Bonne pioche ! Le rocher magique pourrait en contenir jusqu’à trois cents et donc entraîner de nouvelles publications. La découverte publiée dans la revue américaine Sciences ce jeudi 30 novembre, devrait faire des petits, assure le paléontologue Jean-Michel Mazin dans l’entretien qu’il accorde à Asialyst.

Contexte

Voilà plus d’un siècle que la région autonome ouïghoure du Xinjiang attire les paléontologues. « Au début du XXème siècle, de grands explorateurs européens se sont livrés à une vraie bataille pour les fouilles archéologiques dans ce qui s’appelait le Turkestan oriental à l’extrême-ouest de la Chine », confiait récemment notre confrère du Figaro Arnaud de La Grange à l’occasion de la sortie de son premier roman écrit autour de la figure de l’orientaliste Paul Pelliot.

QUAND LES PTEROSAURES AVAIENT DES DENTS…

Mais bien avant cela, quand les poules ou plutôt les ptérosaures avaient des dents, entre 140 et 100 millions d’années, les déserts du Taklamakan et de Gobi ont d’abord été les bacs à sable des sauropodes. Quant aux monts Tian Shan (littéralement les « montagnes célestes »), c’était justement le domaine de ces étranges serpents à plumes dont les traces ont été retrouvées dans des sédiments de la préfecture d’Hami. Pas étonnant que ces montagnes marquant la frontière entre la Chine et ses voisins le Kazakhstan et le Kirghizstan se retrouvent dans le nom de l’espèce de ptérosaure répertoriée par l’équipe sino-brésilienne.

Une belle bête puisque l’Hamipterus tianshanensis mesurait environ 1,2 m de haut, avec une envergure qui pouvait atteindre les 3,5 m une fois les ailes déployées. Cette découverte exceptionnelle devrait donc permettre d’en savoir plus sur le comportement de nidification des ptérosaures ! Nidifuges ou nidicoles, les embryons chinois fossilisés laissent à penser que les petits ptérosaures n’avaient pas de dents, qu’ils avaient besoin de la becquée des parents pour survivre et donc qu’ils n’étaient pas autonomes au sortir du nid, contrairement à leur cousin argentin dont un œuf a été retrouvé en 2004.

…ET L’ENVERGURE D’UN AVION DE CHASSE

Une preuve de l’immense variété de l’espèce, nous rappelle ici Jean-Michel Mazin, responsable du site de fouille de Crayssac dans le département du Lot en France. Et de rappeler que ces reptiles volants contemporains des dinosaures ont dominé les cieux pendant 160 millions d’années, partant de la taille d’un moineau au début du Jurassique, jusqu’à celle d’un avion de chasse à la fin du Crétacé.

Jean-Michel Mazin, paléontologue et directeur de recherches au CNRS se tient devant la carrière où se trouve la "plage aux Ptérosaures", le 12 août 2005 à Crayssac. Ce site, unique au monde, qui abrite des empreintes d'animaux ayant vécu entre 230 et 60 millions d'années. Crédits : AFP PHOTO / GEORGES GOBET
« On s’attendait à ce que ce soient des œufs encoquillés durs, c’est-à-dire calcifiés. Cette découverte montre qu’il s’agit d’œufs parcheminés qui ressemblent un peu à des œufs de serpents ou de lézards, donc c’est déjà une première surprise. »
Quelle est l’importance de cette nouvelle découverte au Xinjiang ?
Jean-Michel Mazin : C’est très important dans la mesure où on ne sait pas encore grand-chose des ptérosaures. La vie de ces reptiles volants cousins des dinosaures reste entourée de mystères, notamment en ce qui concerne leur mode de reproduction. On s’attendait par exemple à ce que les ptérosaures pondent des œufs, comme leurs cousins les dinosaures et comme leurs autres cousins les crocodiliens. Mais on s’attendait surtout à ce que ce soient des œufs encoquillés durs, c’est-à-dire calcifiés. Cette découverte montre qu’il s’agit d’œufs parcheminés qui ressemblent un peu à des œufs de serpents ou de lézards, donc c’est déjà une première surprise. Cela veut dire que dans le mode de ponte, dans le mode d’incubation, ces œufs n’étaient pas couvés. Ils étaient très certainement enfouis dans de la terre comme les tortues par exemple, ou peut-être enfouis dans des amas végétaux. On ne s’y attend pas du tout pour des animaux comme les ptérosaures qui sont des animaux très évolués biologiquement et écologiquement, proche des dinosaures.
Cela signifie qu’ils étaient plus proches de la famille des reptiles, que de celle des oiseaux ?
Il ne faut jamais faire de généralités, surtout en paléontologie, et un fossile est toujours quelque chose d’exceptionnel. Cet ensemble de pontes puisqu’il a plus de trois cent œufs, selon les chercheurs chinois, révèle surtout que les ptérosaures avaient une stratégie de reproduction, un comportement de reproduction, différent de celui de leurs proches parents les dinosaures ou de leurs autres proches parents les crocodiles.
Comment expliquer que l’on retrouve autant de fossiles au même endroit ?
Ce dont on est sûr, c’est qu’il s’agit de plusieurs pontes. Ce qui nous amène à penser qu’il s’agissait d’un lieu de nidification où un certain nombre de femelles ont pondu leurs œufs dans des terriers, ou une série de nids. On constate aussi que tous les œufs ne sont pas au même stade de développement, et lorsqu’il y a des embryons à l’intérieur de certains œufs, tous ne sont pas au même stade de développement non plus. Il faut donc plutôt imaginer un lieu de ponte où plusieurs femelles viennent pondre parce que l’environnement y est favorable.
Selon l’équipe chinoise, aucune dent n’a été relevée dans l’échantillon…
On a là une contradiction avec ce que l’on savait des ptérosaures jusqu’à présent, ce qui prouve bien qu’il ne faut jamais généraliser. Jusqu’à cette découverte, on ne connaissait en effet que cinq œufs en Chine, dont deux ou trois embryonnés, et un seul en Argentine. Les embryons semblaient nous montrer que le petit ptérosaure à la naissance était totalement apte à voler, apte à se nourrir parce que possédant déjà des dents. La découverte chinoise va dans le sens inverse parce que les embryons se trouvant dans les œufs n’ont pas de dent, et leur squelette n’est pas complétement développé. On peut donc imaginer qu’ils naissent alors qu’ils ne sont pas encore apte à se débrouiller seuls.
« C’est une découverte absolument extraordinaire, qui soulève un certains nombres de questions. Elle devrait générer des dizaines de publications. »
Ces ptérosaures avaient besoin qu’on leur donne la becquée, si l’on vous comprend bien ?
Dans le cas présent, il semble qu’effectivement les petits avaient besoin que leurs parents les nourrissent. Mais les deux sont possibles en réalité. Chez les oiseaux d’aujourd’hui, il y a des nidicoles et des nidifuges. Autrement dit, il y a ceux qui suivent la mère et sont capables de se nourrir eux-mêmes immédiatement comme les poussins et les canards et il y a ceux qui restent aux nids, qui n’ont pas achevés leur développement et que les parents nourrissent pendant un certain temps. Les deux sont possibles. Maintenant on peut aussi imaginer concernant cette nouvelle découverte, que les œufs aient été enfouis accidentellement, submergé accidentellement alors que la croissance des embryons n’était pas achevée. Donc il est difficile d’en tirer une conclusion définitive. C’est une découverte absolument magnifique, absolument extraordinaire mais elle soulève un certains nombres de questions qui vont être maintenant étudiées. C’est donc une découverte qui devrait générer des dizaines de publications.
Quels sont les différences entre les ptérosaures de Crayssac sur lesquels vous travaillez et les fossiles chinois ?
Sur le site de Crayssac, il n’y a pas d’œufs, mais des empreintes de pas. Ce sont des animaux qui ont marché dans une vasière, sur une plage et qui ont laissé leurs empreintes. Il y a des dinosaures, des crocodiles, des tortues qui ont laissé des traces. Et il y a des ptérosaures qui fréquentaient cette plage exactement comme aujourd’hui nos oiseaux marins viennent sur la plage à marée basse pour se reposer et pour se nourrir. Les goélands, les huitriers… On est dans la même situation mais 150 millions d’années en arrière avec des ptérosaures qui sont plus petits que ceux découverts en Chine. Nos ptérosaures ont des pieds et des mains qui dépassent rarement 8 centimètres pour les plus gros et 2 centimètres pour les plus petits. Donc ce sont des ptérosaures au même titre que ceux qui ont pondu en Chine. Même si l’époque n’est pas tout à fait la même. Ici nous sommes à la fin du Jurassique ; en Chine, ils sont au début du Crétacé : il y a quelques millions d’années d’écart.
« Il a existé des ptérosaures de la taille d’un moineau, et à la fin de leur histoire, on a eu des ptérosaures gigantesques qui atteignaient douze mètres d’envergure, c’est-à-dire plus grands qu’un avion de chasse. »
Il existe donc une grande variété au sein de la même espèce ?
Oui ce qui donne cette différence de taille dont je vous ai déjà parlé. L’Hamipterus tianshanensis chinois fait a peu près la taille d’un grand goéland marin, 1m30 d’envergure. Mais il a existé des ptérosaures beaucoup plus petit, de la taille d’un moineau. A l’inverse, à la fin de leur histoire, on a eu des ptérosaures gigantesques qui atteignaient douze mètres d’envergure, c’est-à-dire plus grands qu’un avion de chasse. Il y a 160 millions d’années d’évolution dans l’histoire des ptérosaures, 160 millions d’années de diversification, d’adaptation à tous les milieux. C’était des animaux dont les ailes étaient structurées différemment de celles des chauves-souris et des oiseaux, puisqu’elles étaient portées par le 4ème doigt de la main qui était démesuré un peu comme un cerf-volant. Ils ont dominé les cieux de la planète pendant 160 millions d’années, avec une très grande diversité, au moins aussi grande que chez les oiseaux actuels, c’est-à-dire occupant tous les milieux de vie accessibles, notamment les milieux marins et littoraux.
Propos recueillis par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.