Bérénice Reynaud : "Le nouveau cinéma chinois jette un doute sur le réel"
Paris, capitale du cinéma chinois
Décidément, Paris est la capitale des cinémas du monde et, en ce mois de janvier, la capitale du cinéma chinois. Outre le cycle de la cinémathèque dont nous parle Bérénice Reynaud dans l’entretien qui suit, Asialyst vous invite vivement à regarder ce qui se passe du côté du cinéma l’Entrepôt. Tous les troisième jeudi du mois c’est raviolis, mais c’est aussi cinéma chinois avec une programmation signée Michel Noll. Avec « Écrans de Chine », le producteur et réalisateur poursuit son exploration d’un continent fabuleux et encore largement immergé. Un festival de nouvelles images filmées par les documentaristes chinois et qui pour beaucoup d’entre elles n’étaient pas encore arrivées jusqu’à nous.
Le film projeté jeudi 19 janvier prochain à 20h à l’Entrepôt tient d’ailleurs presque du miracle. Les images qui nourrissent « Territoires inconnus » ont failli finir au feu des gardes rouges pendant la Révolution culturelle. Quelle merveille aurions-nous manquer si cette œuvre de Zhuang Xueben avait disparu ! Vous connaissiez les films d’aventure, voici le documentaire d’exploration. Dans les années 1930, le photographe et ethnographe quitte Shanghai pour se rendre dans les territoires inexplorés de la Chine. La carte n’est pas encore tracée, l’aventure, elle, se révèle exceptionnelle ! Elle revit aujourd’hui grâce au travail de chercheurs et documentaristes italiens qui n’ont pas voulu laisser le travail de ce pionnier de la photographie ethnographique dans l’ombre.
« Il faut savoir que dans le cinéma chinois, tout passe par les femmes ! »
Dans les années suivantes, la Chine s’est ouverte à l’économie de marché. Les diplômés des écoles de cinéma de 1989 ont refusé d’être envoyé dans les grands studios d’État. Beaucoup sont restés dans la clandestinité et ont demandé à des jeunes hommes d’affaires de sponsoriser leurs premiers films. C’est ce qui a marqué les débuts de la sixième génération de cinéastes chinois. Le cinéma s’est peu à peu émancipé des sources de financement étatiques et ce sont des jeunes hommes qui ont financé de jeunes hommes. Au début de la sixième génération, il n’y avait donc pas de femmes ! Et puis en 2001, il y a eu ces deux films extraordinaires, deux films de jeunes femmes. D’abord Conjugaison dont je vous ai déjà parlé. Le film a été produit par une petite boite de production à Hong Kong, ce qui lui a permis d’échapper à la censure. Ensuite est sorti Fish & Elephant de Li Yu, premier film underground chinois lesbien qui est passé dans 70 festivals. A partir de ce moment-là, on a vu éclore de nombreux films de réalisatrices.
Il faut d’ailleurs ici souligner le travail de Jia Zhangke qui a beaucoup fait pour ses consœurs. Je pense notamment à Song Fang pour Memories look at me, ou à Quan Ling pour Forgetting to know you. J’ai participé à des séminaires à Shanghai animés par Jia Zhangke, sur l’autre regard, le cinéma des femmes. Des séminaires où l’on sentait qu’il était très important que « l’autre moitié du ciel » puisse prendre la caméra et faire des films. Çà me fait penser d’ailleurs que nous avons aussi dans la programmation un film de Ying Liang intitulé The other half, « l’autre moitié ». Pour ma part, j’ai réuni 8 films de femmes sur les 30 à l’affiche, ce qui est quand même significatif de ce mouvement.
« Ce qui est important dans ce nouveau cinéma chinois, c’est ce qu’il dit sur la réalité chinoise, mais aussi la manière dont cette réalité est appréhendée. »
Mais il y a eu effectivement entre temps cette révolution numérique avec ces petites caméras qu’on peut mettre dans la poche et qui ont littéralement changé la manière de filmer et d’envisager les sujets. Fini les travellings, on marche avec sa caméra. On peut tourner n’importe où y compris dans des lieux exigus. On peut allez dans les salons de massages, dans des mines, dans des usines, dans des villages perdus de montagne, ce qui a complètement libéré les regards, justement. Vous avez parmi ces « nouvelles voix du cinéma chinois » des films en 35 mm et des films qui ont été tournés avec moins de 5000 euros. Le numérique a eu aussi cet avantage de permettre aux réalisateurs de beaucoup tourner, car cela ne coutait pas cher. Le seul problème, c’est au montage. Il y a toujours une pénurie de bons monteurs en Chine. Jia Zhangke s’était fait l’avocat de cette nouvelle technologie en disant que le numérique allait libérer le cinéma indépendant chinois. Il a aussi écrit un texte sur « l’image interdite ». Selon lui, le cinéma indépendant chinois allait pouvoir enfin montrer ces images autrefois interdites. Et la caméra numérique a, il est vrai, permis en partie de le faire. Comme vous le savez, la Chine est un chantier permanent. Avec le numérique, vous pouvez filmer ces chantiers de démolition, l’expropriation des gens et tout ce que cela entraîne pour les familles.
« Quand on filme le réel, on a souvent l’impression que ce qui est important se passe en dehors du cadre. »
A voir
Le cycle « Nouvelles voix du cinéma chinois » est présentée à la Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, Paris XIIème arr., jusqu’au 20 février. Pour consulter le programme, cliquez ici.
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