Cinéma de Hong Kong : stratégie de la survie
Cette brillante réussite fut le résultat d’un long processus où les événements politiques agitant les territoires voisins eurent autant d’importance que le talent individuel des différents membres de l’industrie. Car pendant longtemps, le centre de production du cinéma chinois n’était pas Hong Kong mais Shanghai. Comparé au « Paris de l’Orient » (surnom de Shanghai), le « port parfumé » (signification de Hong Kong en chinois) n’était qu’un centre de production secondaire, régional, essentiellement concentré sur les dialectes parlés dans le sud de la Chine et ses environs.
Déclin de Shanghai au profit de Hong Kong
L’âge d’or
L’ambition d’entrepreneurs passionnés comme Run Run Shaw, co-fondateur de la Shaw Brothers, ou Raymond Chow, créateur de la Golden Harvest, et l’éclosion de talents à la stature internationale comme Bruce Lee ou Jackie Chan, permirent au cinéma de la ville d’imposer sa marque à travers le monde, ouvrant encore d’autres débouchés à sa production. Le pic de son influence fut atteint à partir du milieu des années 1980.
« C’était l’âge d’or ! se souvient le réalisateur Godfrey Ho. Vous pouviez vendre les films en avance, tout ce que vous aviez besoin d’avoir, c’était des acteurs connus et un semblant d’intrigue. On vendait à Taïwan, aux Philippines et à d’autres pays, et ainsi on réunissait l’argent nécessaire pour produire le film. Cela marchait comme ça aussi bien pour les gros studios comme la Win’s ou les petites compagnies comme la mienne. »
« A cette époque, l’argent coulait à flot. »
A (re-)voir, la bande-annonce du Syndicat du crime de John Woo :
Fin de la machine à succès
Les raisons de ce déclin sont multiples. Le piratage généralisé, le départ de certaines des forces les plus vives de l’industrie vers Hollywood à l’aube de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, la difficulté de certains cinéastes à se renouveler ou encore la crise financière asiatique, contribuent tous à leur manière à la désaffection des salles obscures projetant des films locaux.
A la « découverte » de la Chine populaire
« C’était vraiment difficile, témoigne la productrice Jessinta Liu, à la tête d’un des premiers films qui tenta l’expérience. Nous découvrions la Chine pour la première fois et les gens sur place étaient des extra-terrestres pour nous. Les conditions de vie, de travail, même le climat ou la nourriture étaient des découvertes de tous les jours. Mais, à côté de ça, vous n’aviez qu’à payer 100 dollars pour que l’armée envoie 100 personnes vous aider ! »
A voir, la bande-annonce du film A Terra Cotta Warrior, un exemple de coproduction entre la Chine continentale et Hong Kong durant les années 1980 :
Coproductions vitales
Et, à première vue, la démarche semble avoir porté ses fruits. Car depuis 1997, le nombre de coproductions avec des réalisateurs et acteurs Hongkongais en tête d’affiche, les Detective Dee et autres Seigneurs de la Guerre pour ne citer qu’elles, n’a cessé d’augmenter et elles dominent régulièrement le box-office Chinois. Dans le même temps, en 2003, fut signé le Closer Economic Partnership Agreement (CEPA), permettant aux films de la zone économique spéciale d’être considérés comme des productions chinoises locales et ainsi de ne pas souffrir des quotas fixés pour les films étrangers. Les portes du marché chinois étaient désormais grandes ouvertes.
A voir, la bande annonce des Seigneurs de la Guerre :
Pacte avec le diable
De même, le libre accès théorique au marché chinois s’est vu dans la pratique sévèrement limité par la censure étatique. Entretenant des critères volontairement flous, l’organisme a ainsi fermé les portes du marché chinois à des genres entiers qui ont fait la renommée du cinéma de Hong Kong. Pas de films fantastiques ou d’œuvres consacrées aux triades autorisés dans les cinémas du pays, par exemple. Même des comédies peuvent se retrouver à lutter pour obtenir le visa des autorités, comme put l’expérimenter le réalisateur Clifton Ko.
« Il m’a fallu 3 ans pour avoir l’accord de la censure et que Funny Business soit diffusé en Chine, se souvient le cinéaste. Le film était une bonne comédie mais je me suis retrouvé à devoir effectuer plus de 38 coupes. De 105 minutes, le film est passé 85, et ce alors même qu’ils avait approuvé le script avant le tournage. Tout ça parce que le personnage de Michael Hui était un fermier et qu’ils considéraient la manière dont il était décrit comme un sujet sensible. »
Industrie à deux vitesses
Ce contexte particulier a créé une industrie hongkongaise à deux vitesses. D’un côté, on trouve des coproductions aux budgets énormes, aux histoires souvent situées dans le passé, toutes entières concentrées sur la satisfaction du public chinois et que les spectateurs de l’ancienne colonie ignorent complètement. De l’autre, des films à petits budgets, comédies, polars urbains et autres films d’horreur, riches de références locales mais qui peinent à se vendre hors de la ville. Entre les deux, le néant. Et les bénéfices dégagés par l’un ne profitent pas à l’autre.
A voir, la bande-annonce du film The Way We Dance, un production locale, succès surprise de 2013 :
Ces dernières années, la situation a un peu évolué. La censure chinoise a ainsi mis de l’eau dans son vin en autorisant par exemple, sous des conditions précises, le fantastique dans des films. « The Four a été la premier film chinois avec des zombies, se félicite le réalisateur Gordon Chan. Beaucoup se plaignent que la censure chinoise est intransigeante, mais il y a toujours des moyens de la contourner. […] Et ils s’améliorent peu à peu tant que vous restez dans les limites de la loi. »
Pour autant, on peut se demander s’il s’agit vraiment d’une bonne nouvelle pour l’industrie hongkongaise dans son ensemble. Car, si la Chine continentale se montre à même de traiter des sujets jusqu’ici restés, par la force des choses, la chasse gardée des cinéastes de la ville, la compétition tournera fatalement au détriment des petites productions locales. Un processus qui semble d’ailleurs enclencher en matière de polar, un des genres les plus emblématiques du cinéma de Hong Kong.
« C’est un des aspects les plus fascinants du cinéma hongkongais, conclut philosophiquement le critique et historien Sam Ho. Il a pendant longtemps été un simple cinéma régional et est devenu par la force des choses d’envergure national. Aujourd’hui, il retourne à sa configuration d’origine. »
« La seule question qui reste en suspens, c’est de savoir si la nouvelle capitale du cinéma Chinois sera Shanghai ou Pékin. »
Arnaud Lanuque à Hong Kong
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