Chine : Xi Jinping et la modernisation de l'armée
Entretien
Le Général de brigade aérienne (2S), Jean-Vincent Brisset est directeur de recherche à l’Institut des Relations internationales et stratégiques (IRIS). Ingénieur de l’Ecole de l’Air, breveté pilote de chasse et diplômé de l’Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a étudié le chinois à l’Institut des Langues Orientales, puis à l’Université Normale de Taipei où il a résidé avant de séjourner pendant trois années à Pékin en tant qu’Attaché de l’Air. Il a rejoint l’IRIS après avoir quitté le service actif en août 2001. Auteur de plusieurs ouvrages sur la Chine, il fournit par ailleurs les données sur la défense dans L’Année stratégique, ouvrage annuel de référence sur les relations internationales publié par l’IRIS aux éditions Armand Colin.
Tout en étant un prince rouge, Xi Jinping est d’abord un homme d’Etat qui a reçu une formation moderne et qui nourrit des ambitions personnelles. Il semble avoir voulu un Etat qui domine le Parti et auquel l’armée soit soumise. C’est un objectif fondamental chez lui et il a beaucoup bataillé pour imposer cette vision. S’il est, sur le papier, à la tête du Parti, de l’armée et de l’Etat, cela ne signifie pas pour autant qu’il puisse se faire obéir. Au sein de ces trois institutions, il y a des numéros deux, trois, avec un agenda personnel, qui nourrissent des factions et provoquent des luttes intérieures. Je pense que la majorité des militaires sont en faveur d’une professionnalisation des armées à l’inverse des membres du Parti qui rechignent à voir leur pouvoir se réduire. Pour imposer sa vision, Xi Jinping a utilisé les techniques classiques en Chine du nationalisme et des grandes campagnes de purge, en l’occurrence la lutte contre la corruption. Il a coupé un grand nombre de têtes et semble avoir réussi à s’être définitivement imposer aujourd’hui. Je pense qu’il n’a pas le choix : pour faire fonctionner le modèle qu’il a pensé pour la Chine, il est obligé de s’imposer comme le chef suprême, à la tête du Parti, de l’armée et de l’Etat.
Aujourd’hui, l’Armée populaire de libération (APL) essaye d’être une bonne armée. Il a fallu imposer des méthodes afin de rapprocher son fonctionnement de celui des armées modernes occidentales. Sur le plan de l’interaction entre les trois armées, il a aussi fallu convaincre l’armée de terre de la fin de son emprise sur les deux autres armées, alors que traditionnellement, c’est l’inverse en Chine. Désormais, des militaires issus de la marine et de l’armée siègent au comité central du Parti et à la Commission centrale des Affaires militaires. Ceux qui ont examiné les conflits modernes comme l’Afghanistan, la Syrie ou la Libye, sont conscients des faiblesses de l’APL. Malgré des équipements de technologies diverses, elle est en effet en retard sur le plan de l’interarmisation et du C4ISRC4, [Commandement assisté par informatique, contrôle des communications, communications, I pour Intelligence et renseignement militaire, S pour Surveillance et R pour Reconnaissance], qui est un mode de fonctionnement à la base de l’organisation des armées modernes, et que l’APL souhaite ardemment intégrer.
Les écrits de certains colonels chinois, présentés comme des penseurs de la stratégie chinoise, ne sont le plus souvent que des réinterprétations de la pensée stratégique américaine, des vœux pieux à consommation occidentale. On constate finalement que la culture des 36 stratagèmes [traité chinois de stratégie datant probablement de la dynastie Ming, 1368-1644] à la base de la pensée militaire chinoise, reste très fortement ancrée dans les mentalités, comme la culture du combat asymétrique. On est encore dans l’expression d’une civilisation paysanne qui considère que le faible peut gagner face au plus fort en étant plus malin. Sur le plan technique, stratégique ou philosophique, les Chinois sont persuadés qu’il existe des raccourcis qui les dispenseront des longues et difficiles étapes dont on ne peut faire l’économie. C’est un problème car cela n’aboutit pas. Les enseignements de Sun Zi s’appliquent peut-être lors des conflits entre Chinois, mais beaucoup moins bien face à des puissances étrangères modernes (à la remarquable exception de la victoire contre l’Inde en 1962).
Sur le plan des tensions dans le détroit de Taïwan, je pense que chacun évite la confrontation. Tsai Ing-wen m’a d’ailleurs confirmé en personne, en 2012, la volonté de ne rien changer au statu quo. Sa décision récente de redynamiser une industrie de défense doit à mon avis se lire tout autant comme une politique de relance économique car c’est un secteur qui a toujours représenté beaucoup. Il faut aussi garder à l’esprit que les personnels de l’industrie de défense (les ingénieurs) à Taïwan sont traditionnellement dans son camp politique. Xi Jinping peut utiliser le nationalisme pour ressouder sa population, comme les Argentins ont fait avec les Malouines. Les Chinois sont donc capables de réagir vis-à-vis de Taïwan comme sur la mer de Chine méridionale si Xi Jinping se trouve confronté à un rival de haut niveau sur le plan intérieur ou si la puissance chinoise continue de lui monter à la tête, ce qui semble être le cas aujourd’hui. Il existe donc un risque de réaction brutale sur un coup alors que sur le plan strictement taïwanais, il n’existe plus de menace longue et raisonnée exercée par Pékin. Il faut donc faire preuve de prudence.
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