Culture
Critique de film

Cinéma taïwanais : "American Girl", une douloureuse quête d’identité

Scène du film "American girl" de la réalisatrice taïwanaise Fiona Roan Feng-i. (Crédit : DR)
Scène du film "American girl" de la réalisatrice taïwanaise Fiona Roan Feng-i. (Crédit : DR)
À ne pas manquer ! American girl de la réalisatrice taïwanaise Fiona Roan Feng-i est projeté ce jeudi 28 septembre à 20h30 au Forum des Images, dans le cadre du Festival de films « Les femmes de Taïwan font des vagues ». Un film délicat et tendre sur un parcours de vie douloureux.
La production cinématographique de Taïwan fascine par sa diversité et sa richesse. À l’occasion du Festival « Les femmes de Taïwan font de vagues », organisé par le Forum des Images, les spectateurs peuvent avoir un aperçu de ce pays démocratisé depuis 1996. La recherche des identités dans une société en pleine mutation est sans doute un sujet marquant des cinéastes taïwanais. La jeune réalisatrice Fiona Roan Feng-i nous raconte son parcours douloureux à travers son premier film American Girl.
La famille Liang, dont le couple a deux filles de 7 et 13 ans, est dispersée depuis plusieurs années. Le père vit seul et travaille à Taïwan, tandis que la mère et leurs deux filles vivent aux États-Unis pour avoir une meilleure éducation. Diagnostiquée d’un cancer, la mère décide de retourner à Taïwan pour se soigner. Contrainte de vivre dans un environnement qui n’est pas le sien, l’aînée, Fang-yi, peine à trouver sa place.
Le film est écrit et réalisé par la jeune réalisatrice Fiona Roan Feng-i dont le premier long-métrage a été récompensé lors de la cérémonie du Golden Horse (le César local) en 2021 : meilleur espoir pour la mise en scène et meilleur espoir féminin pour la performance de la jeune actrice Caitlin Fang. S’inspirant de son expérience personnelle, Fiona Roan transpose le film en 2003, l’année où le SRAS a fait des ravages en Asie. Les scènes où les personnages portent le masque et se soumettent aux prélèvements biologiques devant l’hôpital nous renvoient à notre actualité.

Histoire authentique et décor naturel

La famille Liang vit dans un petit appartement du vieux Taipei. L’aînée, Fang-yi, est scolarisée dans un collège privé pour filles, où l’éducation est stricte et la punition corporelle toujours autorisée. Dans ce film d’une heure quarante, à travers le regard de son jeune personnage, Fiona Roan nous montre les affres de sa jeunesse dans le contexte socio-économique très complexe de 2003. Promiscuité, maladie de la mère et absence du père pour raison professionnelle, à quoi s’ajoute l’ombre de la mort qui plane au-dessus de leur tête : la famille vit constamment sous tension. Mentionnons encore la difficulté pour Fang-yi de s’adapter à l’école, de se faire des amies, elle dont le caractère a été forgé par la culture américaine. La jeune fille ne rêve que de quitter Taïwan et finit d’ailleurs par retourner aux États-Unis.
La réalisatrice ne manque pas de dramatiser le récit à travers des thèmes contemporains : l’interculturalité, la mort, la relation mère-fille, et celle du couple, la maladie et l’épidémie. « À la fin de l’écriture, en relisant le scénario, je trouve aussi que l’histoire est un peu chargée. Mais tout ce qu’il se passe dans le film est authentique. Mon travail d’écriture est de trouver un équilibre entre ces différents éléments », nous confirme Fiona Roan, lors de son passage à Paris à l’occasion du festival.
Pour restituer le décor presque identique de son enfance, Fiona Roan choisit de tourner dans un décor naturel au lieu de filmer en studio. Son équipe s’installe alors dans un vieil appartement au cinquième étage, comme dans l’histoire. « C’est aussi un choix esthétique », ajoute la cinéaste. Cadrage serré, peu de mouvements de caméra, visage à peine éclairé, la tension est palpable. La réalisatrice tient à ce que les spectateurs vivent la même expérience que les personnages du film. Seule ouverture de l’appartement : le balcon, qui se trouve être aussi l’entrée principale. Ce balcon, fermé par des grilles, permet à la fois à l’équipe de descendre les accessoires du toit pour éclairer la scène, et aux personnages du film de regarder tout ce qu’il se passe dans la rue.

L’immigration aux États-Unis, sujet éternel

Dans le film, il y a deux choses qu’on ne voit pas et qui sont constamment mentionnées par les protagonistes : l’Amérique et la mort. La première est l’exutoire de la jeune fille quand elle doit affronter toutes les difficultés quotidiennes à Taïwan. La seconde est une menace permanente, invisible et imaginée, mais naturellement liée à la maladie de la mère.
L’Amérique représente un lieu idéal dans la bouche de Fang-yi, mais aussi dans l’imaginaire collectif de la société taïwanaise. « Il existe un rêve américain au sein de la population insulaire, pointe la réalisatrice. Comment introduire les caractéristiques de l’Amérique dans ce film, qui pourtant sont déjà représentées par les autres scénaristes ? Edward Yang, qui a fait ses études aux États-Unis, montre l’influence culturelle de l’Amérique dans son film A Brighter Summer Day (1991). Dans la même période, le réalisateur Ang Lee met les deux cultures en opposition dans ses films Pushing Hands (1991) et Salé, sucré (1994). Une génération plus tard, Fiona Roan a métissé les deux cultures chez ses personnages, sans cacher un attrait pour la culture américaine. Fang-yi parle deux langues, mais s’exprime très souvent en anglais, à tel point que sa mère l’oblige à parler mandarin.
Le manque d’espace, le devoir familial et la vie scolaire strictement réglementée… la jeune fille suffoque et soupire. Elle revendique alors sa liberté et se rebelle contre les contraintes imposées par les adultes. L’immigration est un sujet intemporel, souligne la réalisatrice, entre ceux qui partent et ceux qui reviennent, entre ceux qui choisissent d’immigrer et ceux qui subissent le choix des autres. « En tant que cinéaste débutante, je traite cette problématique du point de vue de notre génération. »
Élevée aux États-Unis, la jeune Fang-yi parle avec une certaine franchise et n’hésite pas à exprimer ses désaccords, ce qui tranche avec le comportement des autres personnages du film, peu bavards. Chacun vit dans son monde et doit rester à sa place, comme la société confucéenne l’exige. Le père, seul rôle masculin du film, souvent absent pour cause d’obligation professionnelle, est un personnage résigné, mais touchant. Il doit digérer tous les problèmes qui lui explosent en plein figure, après avoir vécu d’une manière monotone à Taïwan pendant les cinq dernières années. Il est à la fois victime et observateur des conflits entre la mère et la fille.
On ne peut être qu’impressionné par la performance de la jeune actrice Caitlin Fang. Son personnage dans le film est insolent, pour ne pas dire antipathique. « Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, Caitlin m’a paru réservée mais profonde, se souvient Fiona Roan. Il y a quelque chose de triste sur son visage. Avec mon équipe, nous avons trouvé que ce contraste entre les deux personnalités différentes était intéressant. En effet, le regard mélancolique de Caitlin Fang permet d’atténuer le côté impétueux de son personnage. »
La réalisatrice taïwanaise Fiona Roan Feng-i. (Crédit : DR)
La réalisatrice taïwanaise Fiona Roan Feng-i. (Crédit : DR)

Société en mouvement

American Girl est un film délicat et tendre. Fiona Roan cherche à toucher les spectateurs par des anecdotes quotidiennes. On découvre que le ramassage des ordures est le seul moment de la journée où tous les voisins se retrouvent en bas de l’immeuble. La plupart des hommes d’affaires taïwanais doivent investir en Chine continentale afin de subvenir aux besoins de leur famille vivant aux États-Unis. La société taïwanaise pratique toujours la liberté de culte : le choix personnel entre le catholicisme et le bouddhisme est totalement libre, même s’il est parfois imposé comme un dilemme.
La question du genre est inévitable pour une réalisatrice, que ce soit pour la composition de l’équipe ou le traitement du sujet. Curieusement, le fait d’être une réalisatrice n’a pas vraiment posé de problèmes à Fiona Roan pour financer le film. Par contre, son jeune âge, 30 ans, a été considéré comme un point faible. Le producteur insiste sur le fait que le scénario du film écrit par la réalisatrice est une autobiographie, et que le conflit familial, notamment la relation mère-fille, reste un sujet cher aux spectateurs.
Fiona Roan cherche à travailler avec les techniciennes, donc la question de la parité est d’emblée tranchée. Les postes-clés sont assurés par les femmes. Elle avoue une facilité à travailler avec elles. Par exemple, il ne faut pas avoir les cheveux qui tombent plus bas que les épaules pour être admise à un collège privé : la réalisatrice n’a pas besoin d’expliquer cela aux membres de l’équipe, car la plupart de femmes ont subi au moins une fois la coupe au carré durant leur adolescence. En revanche, la jeune cinéaste précise que le rôle du père est difficile à cerner, puisque sa présence à l’écran doit être courte mais percutante.
Le festival du film « les femmes de Taïwan font des vagues » (Women Make Waves International Film Festival) existe depuis 1993. À l’occasion de son 30ème anniversaire, le Forum des Images présente 30 films, courts et longs-métrages ou film d’animation, conçus par 30 réalisatrices, toutes générations confondues. Les spectateurs qui ne pourront voir American Girl à l’écran pourront se rattraper sur Netflix qui diffuse le film.
Par Tamara Lui

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A propos de l'auteur
Originaire de Hongkong, ancienne journaliste pour deux grands médias hongkongais, Tamara s'est reconvertie dans le documentaire. Spécialisée dans les études sur l'immigration chinoise en France, elle mène actuellement des projets d'économie sociale et solidaire.