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Les Mirage avant les Rafale : l'Indonésie diversifie son armement face aux tensions sino-américaines

Un avion chasseur Mirage 2000-5 de la Qatar Emiri Air Force. (Source : Asia Pacific Defense Journal)
Un avion chasseur Mirage 2000-5 de la Qatar Emiri Air Force. (Source : Asia Pacific Defense Journal)
L’Indonésie va se procurer 12 avions Mirage 2000-5 d’occasion auprès du Qatar pour 680 millions d’euros, en attendant l’arrivée en 2026 d’une première tranche de six avions Rafale de Dassault sur les 42 commandés. Soucieux de maintenir une position de non-aligné déclarée dès le début de la Guerre froide en 1947, l’archipel souhaite diversifier ses sources d’armement dans un contexte de tensions grandissantes en Asie-Pacifique, notamment entre la Chine et les États-Unis.
Le 14 juin dernier, le ministère indonésien de la Défense a confirmé l’acquisition des
12 avions de combat Mirage 2000-5 de l’armée de l’air du Qatar pour un montant de 792 millions dollars, malgré les critiques de parlementaires qui considèrent que ces avions sont « trop vieux ». Doha avait en effet acquis ces appareils en 1997–1998. La France et la Bulgarie étaient d’ailleurs intéressées par ces avions qui sont encore en bonne condition. Les Mirage seront livrés dans 2 ans et basés à Pontianak sur la côte occidentale de la ville de Bornéo, où est stationné un escadron qui compte des Hawk de fabrication britannique et devant être retirés du service.
Le ministre de la Défense Prabowo Subianto justifie cet achat par la nécessité d’un « bouche-trou » en attendant l’arrivée en 2026 d’une première tranche de six avions Rafale de Dassault sur les 42 commandés par l’Indonésie. Le contrat a été signé avec la société Excalibur International, une filiale du Czechoslovak Group, une entreprise privée basée à Prague et spécialisée dans la défense.
Auparavant, en 2006, l’Inde avait songé à acquérir les Mirage qatariens, avant d’y renoncer. En 2021, ces avions devaient être achetés par Ares (Advanced Redair European Squadron), une société française de services aéronautiques, créée pour entre autres assurer « l’entraînement aérien opérationnel » de pilotes militaires en « jouant les ennemis ».

Ne plus dépendre de la Russie

En effet en septembre 2022, le site d’information français Intelligence Online laissait entendre que les avions qatariens intéressaient l’Indonésie. Cet intérêt était confirmé à peine un mois et demi plus tard .
D’après le journal en ligne français Opex360, spécialisé dans l’actualité militaire et géopolitique, pour l’armée de l’air indonésienne, la reprise des Mirage 2000-5 de Qatar permettrait non seulement à ses pilotes de se familiariser avec un avion également construit par Dassault, en attendant l’arrivée des Rafale, mais aussi de retirer du service ses seize Sukhoi Su-27 et Su-30 pour ne plus avoir à dépendre de la Russie.
L’Indonésie avait acheté les avions russes en 2002 puis 2006, quand elle était encore sous embargo américain en raison des violences commises à Timor Leste par des milices pro-indonésiennes à la suite d’un référendum par lequel la population avait signifié à près de 80 % son désir de se séparer de l’Indonésie, qui occupait depuis 1975 cette ancienne colonie portugaise. En 2015, elle avait décidé de remplacer la dizaine de chasseurs Northrop F-5 américains qu’elle avait acquis au milieu des années 1970 par des Sukhoi Su-35, un développement du Su-27 et du Su-30. Mais le président américain Donald Trump avait alors brandi la menace du CAATSA, le « Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act ». L’Indonésie s’était alors tournée vers le Rafale, qui faisait partie des avions retenus pour le remplacement des F-5 basés à Java oriental et retirés du service. Une première tranche de 6 appareils doit être livrée en 2025.
L’Indonésie est coutumière de l’acquisition d’avions militaires d’occasion. Après la prise de pouvoir par Soeharto en 1966, pour remplacer ses MiG-21 soviétiques, elle acquiert notamment des chasseurs de conception américaine Sabre de la Royal Australian Air Force et des avions d’attaque Douglas A-4 Skyhawk, également de conception américaine, de l’armée de l’air israélienne. Prabowo s’était rendu en Autriche en 2020 pour proposer le rachat des quinze Eurofighter de l’armée de l’air de ce pays. En 2021, après la disparition du sous-marin Nanggala, construit en Allemagne et lancé en 1980, un chercheur indonésien en matière de défense et sécurité expliquait que l’Indonésie s’efforçait de prolonger la durée de son matériel ou en achetait d’occasion pour des raisons budgétaires.

« Force essentielle minimum »

*Cf. CIA, The World Factbook.
Le pays ne consacre en effet pour l’instant que 0,7 % de son produit intérieur brut à la défense, contre par exemple 2,4 % pour le Vietnam*. Cet archipel de près de 17 000 îles s’étendant sur plus de 5 000 km² d’ouest en est (la distance de l’Angleterre à l’Iran) et près de 1 800 km² du Nord au Sud (plus que de Paris à Stockholm) a désormais un ambitieux projet d’investissement dans ses forces armée, avec un plan de « force essentielle minimum » de 274 navires et 12 sous-marins pour une marine « green water » (c’est-à-dire côtière, par opposition à « blue water » ou de haute mer) et une armée de l’air de dix escadrons d’avions de combat soit 160 appareils. Pour l’instant, elle n’en a que 120, dont 33 F-16 américains de General Dynamics (popularisés par la guerre en Ukraine) et 16 Sukhoi. Par comparaison, Singapour, une île de 719 km², a quarante McDonnell Douglas F-15 Eagle également américains et soixante F-16.
Jusqu’ici, l’Indonésie n’avait jamais acheté d’avion de combat français. Elle semble donc envisager la France comme un nouveau fournisseur, sans pour autant renoncer, du moins pour l’instant, à acquérir des F-15 ni à poursuivre son programme KF-21/I-FX avec la Corée du Sud. Soucieuse de maintenir une position de non-aligné déclarée dès le début de la Guerre froide en 1947, l’Indonésie souhaite diversifier ses sources d’armement dans un contexte de tensions grandissantes dans la région, notamment entre la Chine et les États-Unis.
On est loin de l’époque où Soeharto se faisait prendre en photo assis dans le cockpit d’un Mirage lors du premier salon aéronautique indonésien en 1986, une manière de « chantage » aux Américains pour qu’ils acceptent finalement de vendre des F-16 à l’Indonésie.
Par Anda Djoehana Wiradikarta

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A propos de l'auteur
Anda Djoehana Wiradikarta est enseignant et chercheur en management interculturel au sein de l’équipe « Gestion et Société ». Depuis 2003, son terrain de recherche est l’Indonésie. Ingénieur de formation, il a auparavant travaillé 23 ans en entreprise, dont 6 ans expatrié par le groupe pétrolier français Total et 5 ans dans le groupe indonésien Medco.