Culture
Cinéma

Le Festival de Vesoul couronne le cinéma mongol, avec un focus sur Singapour et les diasporas asiatiques

Le réalisateur mongol Sengedorj Janchivdorj récompensé du Cyclo d'or pour son film "The Sales girl" au Festival international des Cinémas d'Asie à Vesoul, le 7 mars 2023. (Source : Les affiches de la Haute-Saône)
Le réalisateur mongol Sengedorj Janchivdorj récompensé du Cyclo d'or pour son film "The Sales girl" au Festival international des Cinémas d'Asie à Vesoul, le 7 mars 2023. (Source : Les affiches de la Haute-Saône)
C’est un film de Mongolie qui a reçu le Cyclo d’or au 29ème Festival international des Cinémas d’Asie de Vesoul, mardi 7 mars. The sales girl de Sengedorj Janchivdorj a été primé à l’unanimité par le jury international. Le Grand prix du jury récompense Froid comme le marbre du réalisateur azerbaïdjanais Asif Rustamov. Le Cyclo d’honneur a, lui, été décerné à Lee Yong-kwan, président du Festival International du Film de Busan, et au cinéaste turc Semih Kaplanoğlu. Le FICA a été marqué cette année par les films de Singapour et le cinéma des diasporas asiatiques.
Le 29ème édition du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul, qui a eu lieu du 28 février au 7 mars dernier, a fait le plein après les années Covid. La longue période de la pandémie avait tristement affecté le remplissage des cinq confortables salles du Majestic cinéma, un grand multiplex dans la proche banlieue de Vesoul, où, depuis près de trente ans, les époux Thérouanne, anciens documentalistes du lycée, organisent le meilleur festival du cinéma asiatique en Europe. Un festival qu’ont fréquenté dès le départ un grand nombre de réalisateurs, producteurs et acteurs, parmi les plus grands, venus d’une Asie vue dans sa globalité puisqu’elle va, selon les mots de Jean-Marc Thérouanne, un des deux cofondateurs, « du canal de Suez à l’océan Indien, de l’Oural à Vladivostok, du Bosphore au Japon ».
Martine Therouanne au cinéma Majestic de Vesoul qui accueillait le 29ème FICA, du 28 février au 7 mars 2023. (Copyright : Jean§Fraçois Maillot / FICA)
Martine Therouanne au cinéma Majestic de Vesoul qui accueillait le 29ème FICA, du 28 février au 7 mars 2023. (Copyright : Jean§Fraçois Maillot / FICA)
Cette année, en hommage au solide partenariat avec le festival de Busan en Corée du Sud, Lee Yong-Kwan, co-fondateur et directeur du BIFF, (Busan International Film Festival), a été nommé président du Jury.
Les cofondateurs du FICA de Vesoul, Martine et Jean-Marc Therouanne accompagné de Lee Yong-kwan, président du Festival International du Film de Busan, qui a reçu le Cyclo d'honneur, le 7 mars 2023. (Copyright : Jean-François Maillot / FICA)
Les cofondateurs du FICA de Vesoul, Martine et Jean-Marc Therouanne accompagné de Lee Yong-kwan, président du Festival International du Film de Busan, qui a reçu le Cyclo d'honneur, le 7 mars 2023. (Copyright : Jean-François Maillot / FICA)
Comme chaque fois, plusieurs axes ont organisé la présentation de plus de 80 films de fiction ou documentaires en provenance de 34 pays. Outre la vingtaine de films en compétition, dont deux en première mondiale – Behind Veils de l’Indien Praveen Morchhale qui dénonce avec humour la dérive autoritaire de Modi et #LookAtMe de Ken Kwek interdit à Singapour et qui présente un fait divers sur l’homosexualité -, la FICA offre un regard sur les cinémas des diasporas asiatiques, et sur ceux de Singapour et des Philippines, des années 1950 à aujourd’hui, sans compter la « japanimation », le cinéma jeune public et les documentaires.
Scène du film indien "Behind veils" de Praveen Morchhale, récompensé par le prix du Jury Inalco au 29ème FICA de Vesoul, le 7 mars 2023. (Crédit : DR)
Scène du film indien "Behind veils" de Praveen Morchhale, récompensé par le prix du Jury Inalco au 29ème FICA de Vesoul, le 7 mars 2023. (Crédit : DR)

La vague singapourienne

« Pour la séquence sur le cinéma de Singapour, nous avons été reçus par les dirigeants et les restaurateurs de l’Asian Film Archive qui ne sauve pas seulement le cinéma singapourien mais ceux de toute l’Asie, raconte Jean-Marc Therouanne installé en coup de vent au steak house qu’abrite le Majestic. Nous avons aussi rencontré des producteurs et des cinéastes dont une des figures du cinéma singapourien est devenu un ami, Éric Khoo, qui a fait l’ouverture avec l’un de ses plus beaux films Be with me. » Ce film montre à l’écran le merveilleux personnage réel de Theresa Chan, aveugle et sourde mais d’une rare résilience. « Nous avons sélectionné une quinzaine de films avec des perles rares des années 1950 à 70, telles que Jewel in the slum, une comédie musicale où un jeune bourgeois s’éprend d’une danseuse de cabaret ou Lion City qui montre un Singapour comme on ne le verra jamais plus et tel que j’ai eu la chance de le voir il y a 40 ans. »
Scène du film singapourien "#LookAtMe" de Ken Kwek, récompensé du prix du public de science-fiction au FICA à Vesoul, le 7 mars 2023. (Crédit : DR)
Scène du film singapourien "#LookAtMe" de Ken Kwek, récompensé du prix du public de science-fiction au FICA à Vesoul, le 7 mars 2023. (Crédit : DR)

Coproductions et cinémas des diasporas

Parmi les sections les plus fascinantes cette année, les cinémas des diasporas asiatiques où se mêlent des coproductions entre États-Unis ou Europe et des réalisateurs d’origine asiatique. « Avec ma femme, nous avons eu cette idée en observant l’évolution du monde. Pour des raisons économiques, des gens quittent le pays natal de leurs ancêtres et font souche dans nos pays d’accueil. On observe une multiplication des coproductions entre Occidentaux et réalisateurs asiatiques. La France notamment cherche à faire émerger le cinéma de façon mondiale et aide beaucoup les cinématographies d’autre pays. »
Ces coproductions peuvent aboutir à des succès aussi inédits qu’impressionnants. Jean-Marc Thérouanne cite l’exemple de Crazy rich Asians dont le réalisateur sino-américain Jon M. Chu a brisé un plafond de verre à Hollywood. « Pour la première fois, le casting a été essentiellement asiatique et le film a connu un immense succès mondial notamment chez les Anglo-Saxons. Personnellement, ayant déménagé 22 fois dans mon enfance dont en Guyane et en Guadeloupe, je suis sensible à ce thème de la multiplicité des influences culturelles. C’est d’ailleurs à Basse-Terre en Guadeloupe que j’ai vu mon premier film asiatique, L’île nue du Japonais Kaneto Shindo. J’avais dix ans. »
C’est la première fois que le Festival choisit de faire de la production des diasporas asiatiques un axe à part entière. « C’est intéressant de voir toutes les thématiques amplifiées par les mouvements de population. » Jean Marc Therouanne cite le thème de l’adoption traité aussi bien par Justin Chon dans film coréano-américain Blue bayou, que par Davy Chou dans le film franco-coréen Retour à Séoul. À retenir aussi un beau documentaire en animation, Flee, du Danois Jonas Poher Rasmussen, à propos de son ami réfugié afghan, Amin.
Scène du film coréano-américain "Blue bayou" de Justin Chon. (Crédit : DR)
Scène du film coréano-américain "Blue bayou" de Justin Chon. (Crédit : DR)
Scène du film franco-coréen "Retour à Séoul" de Davy Chou. (Crédit : DR)
Scène du film franco-coréen "Retour à Séoul" de Davy Chou. (Crédit : DR)
Scène du documentaire d'animation "Flee" du réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen, sur l'histoire d'Amin, réfugié afghan. (Crédit : DR)
Scène du documentaire d'animation "Flee" du réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen, sur l'histoire d'Amin, réfugié afghan. (Crédit : DR)
Interrogé sur la prochaine édition de la FICA qui marquera les trente ans du Festival, Jean-Marc Thérouanne évoque la possibilité d’une rétrospective sur le cinéma de Hong Kong et d’une thématique autour de « l’engagement » qui peut être politique, professionnel, spirituel ou environnemental. « Des Iraniens ou des Chinois ont fait de beaux films sur ce thème. »
En fait, les époux Thérouanne se sont eux-mêmes engagés bénévolement dans l’aventure du festival dont le budget est aujourd’hui quatre à cinq fois inférieur à celui de festivals de cette importance. Cela les rend particulièrement sensibles à ce thème, d’autant plus qu’ils défendent depuis le début les droits de l’homme, l’ouverture à l’autre. « C’est peut-être d’ailleurs une des clés de notre réussite. En étant bénévoles, nous sommes naturellement militants. Les milieux de l’argent pensent que nous sommes des doux dingues, des imbéciles. Pourquoi font-ils un truc complètement génial sans chercher à en tirer de l’argent ? se demandent-ils. Mais au festival de Vesoul, on aime les peuples avant d’aimer leur cinéma. Nos interlocuteurs asiatiques le sentent et savent que nous sommes sincères dans notre démarche et que nous les aimons eux. »
Par Anne Garrigue, de retour de Vesoul

Le palmarès du 29ème Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul 2022

CYCLO D’OR D’HONNEUR :
Lee Yong-kwan, président du Festival International du Film de Busan pour son action en faveur du cinéma (Corée) et Semih Kaplanoğlu, réalisateur (Turquie), pour l’ensemble de son œuvre.

CYCLO D’OR :
The sales girl de Sengedorj Janchivdorj (Mongolie). Décidé à l’unanimité par le jury international, The sales girl est un film chaleureux, sincère et charmant qui témoigne de la main claire et assurée du réalisateur. Les performances sont fortes, et l’utilisation de l’humour et de la musique est particulièrement efficace.

GRAND PRIX DU JURY :
Froid comme le marbre d’Asif Rustamov (Azerbaïdjan). Réalisé de manière experte avec des performances obsédantes, cet examen de nos histoires et réalités incontournables est captivant jusqu’à son inévitable aboutissement dans le sang-froid.

PRIX DU JURY EX-AEQUO :
No End de Nader Saeivar (Iran) pour avoir su raconter l’histoire tragique d’un homme simple avec peu de moyens, de manière minimaliste et traduire ce drame visuellement.

A letter from Kyoto de Kim Min-ju (Corée). Premier film très abouti pour une jeune réalisatrice, A Letter from Kyoto aborde avec justesse les relations et les défis générationnels, des thèmes universels auxquels le public peut s’identifier et partager avec la famille au cours de son périple, notamment grâce à la bonne interprétation des acteurs

PRIX DU JURY NETPAC (NETWORK FOR THE PROMOTION OF ASIAN CINEMA) :
Froid comme le marbre d’Asif Rustamov (Azerbaïdjan), pour sa narration cinématographique forte et glaçante de la relation entre un père et son fils. Le jury apprécie les excellentes performances de l’ensemble des interprètes.

PRIX MARC HAAZ :
Froid comme le marbre d’Asif Rustamov (Azerbaïdjan) pour son expérience émotionnelle particulière d’une relation père-fils, renforcée par les performances impressionnantes des acteurs.

PRIX DU JURY DE LA CRITIQUE :
No end de Nader Saeivar (Iran). Le jury a choisi ce film pour sa description franche de la société iranienne, pour la dimension kafkaïenne du scénario, pour la simplicité et l’efficacité de la mise en scène et pour l’interprétation subtile de tous les acteurs. Un bel exemple de cinéma du courage.

PRIX DU JURY INALCO (INSTITUT DES LANGUES ET CIVILISATIONS ORIENTALES) :
Behind veils de Praveen Morchhale (Inde). Une satire critique de l’Inde contemporaine, pleine d’humour et de finesse. Le réalisateur aborde des thèmes graves avec légèreté, il met en scène l’absurdité et les dysfonctionnements des institutions familiales, administratives, politiques et sociales.

COUP DE CŒUR INALCO :
A letter from Kyoto de Kim Min-ju (Corée). Le jury a été enthousiasmé par la façon dont la réalisatrice traite du souvenir et de l’identité nippo-coréenne.

PRIX DU PUBLIC DU FILM DE FICTION :
#LookAtMe de Ken Kwek (Singapour).

PRIX DU PUBLIC DU FILM DOCUMENTAIRE :
La langue de ma mère de Jean-Baptiste Phou (France-Cambodge).

PRIX DU JURY JEUNES :
Roots in the wind de Soraya Akhlaqi (Afghanistan).

Projections de films primés au Musée Guimet de Paris du 21 au 23 avril 2023 et à l’auditorium de l’Inalco courant 2023.

La 30e édition du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul aura lieu du 6 au 13 février 2024.

Renseignements :
FICA – Festival international des Cinémas d’Asie, 25, rue du docteur Doillon 70 000 VESOUL – France
Tel. : + 33 (0)3 84 76 55 82 – Contact Presse :06 84 84 87 46
e-mail: [email protected]site web : cinemas-asie.com

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A propos de l'auteur
Ecrivain-journaliste résidant à Paris depuis 2014, Anne Garrigue a vécu et travaillé près de vingt ans en Asie de l’Est et du Sud-Est (Japon, Corée du Sud, Chine et Singapour). Elle a publié une dizaine d’ouvrages dont Japonaises, la révolution douce (Philippe Picquier), Japon, la fin d’une économie (Gallimard, Folio) , L’Asie en nous (Philippe Picquier), Chine, au pays des marchands lettrés (Philippe Picquier), 50 ans, 50 entrepreneurs français en Chine (Pearson) , Les nouveaux éclaireurs de la Chine : hybridité culturelle et globalisation ( Manitoba/Les Belles Lettres). Elle a dirigé les magazines « Corée-affaires », puis « Connexions », publiés par les Chambres de commerce française en Corée et en Chine.