Culture
Note de lecture

Livre : "Le chinois tel qu’on le parle" ou comment éveiller la volonté de communiquer

(Source : Tutor ABC Chinese)
(Source : Tutor ABC Chinese)
Parler correctement le chinois est une chose. Mais parler comme les Chinois en est une autre et il faut en retour comprendre ce qu’ils disent. Dans Le chinois tel qu’on le parle, Renaud de Spens cherche à susciter le désir et le plaisir chez l’apprenant en utilisant ce manuel. Mais il veut aussi à éveiller la volonté de communiquer avec les autres une fois que les bases sont acquises.
Pour apprendre une langue étrangère de nos jours, il existe de nombreuses expériences plus ou moins réussies. Les avancées technologiques nous facilitent la tâche, mais des facteurs humains tels que l’anxiété, l’inhibition, le degré d’estime de soi ou la qualité de la motivation demeurent des obstacles à surmonter.
Pour enseigner une langue étrangère aujourd’hui, il faut tenir compte des aspects physiques et affectifs en même temps que des facultés cognitives de l’élève. Par affectif, on entend qu’il s’agit des sentiments, des émotions et des croyances qui conditionnent notre compétence.
Depuis les années 1980, des chercheurs se penchent sur une méthode d’apprentissage des langues étrangères fondée sur la volonté de créer un cadre de communication des apprenants. En 1990, les deux chercheurs américains James McCroskey et Virginia Richmond proposent le concept de « disposition à communiquer » (Willingness to communicate ou WTC), c’est-à-dire la prédisposition d’un individu à initier une communication avec les autres. En appliquant ce concept dans l’enseignement des langues étrangères, le psycholinguiste Zoltán Dörnyei souligne que la compétence peut ne pas être suffisante, car les apprenants doivent être non seulement capables de communiquer, mais aussi désireux de communiquer dans la nouvelle langue. Ainsi, en 1998, les quatre chercheurs MacIntyre, Clément, Dörnyei et Noels proposent que le WTC en langue étrangère soit conceptualisé comme l’objectif principal de l’enseignement et comme un cadre conceptuel complet pour décrire, expliquer et prédire le comportement de communication en langue étrangère. La finalité utilitaire d’apprendre une langue étrangère est d’avoir la volonté de communiquer.
Comment associer le cognitif et l’affectif dans l’apprentissage d’une langue ? Il faut maîtriser le structure et le vocabulaire de la langue étudiée, et connaître les codes culturels du groupe social de votre interlocuteur, afin de pouvoir répondre aux questions intuitivement, autrement dit, engager une conversation informelle avec aisance. À défaut de pouvoir vivre dans le pays de la langue étudiée, la méthode d’apprentissage d’une langue étrangère, qu’elle soit utilisée dans une classe avec un enseignant ou en autodidacte, devrait se rapprocher au plus près de situations authentiques de conversation et de communication de la vie courante par le choix des sujets proposés.
Quel est l’intérêt d’apprendre le chinois si ce n’est pour comprendre les usages quotidiens de cette langue et pouvoir engager une conversation selon les circonstances ordinaires dans lesquelles on se trouve ? C’est la démarche et l’objectif du manuel Le chinois tel qu’on le parle. L’auteur, Renaud de Spens, sinologue et égyptologue, a étudié le chinois en France avant de vivre et de travailler pendant plus de dix ans à Pékin. Il a observé et scruté les nuances et les différences entre le chinois enseigné dans les classes et la langue parlée au quotidien.
« Comment susciter le désir d’apprendre la langue chinoise, qui reste difficile d’accès pour un francophone ? », se demande sans ambages l’auteur dès la préface. « Car il faut à la fois être capable de comprendre le sens général et idiomatique des phrases et d’aller analyser les emplois particuliers de chaque mot afin de pouvoir parler comme les Chinois. » Ayant vécu des expériences désagréables au début de ses séjours en Chine, l’auteur comprend très vite que parler correctement le chinois est une chose, mais parler comme les Chinois en est une autre, outre qu’il faut en retour comprendre ce qu’ils disent.
Alors l’auteur se fixe comme objectif de trouver des scènes représentatives où se déroulent des conversations informelles utilisant des expressions à la mode, dont les phrases ne soient pas trop longues et les tournures pas trop compliquées. Il faut être court, précis, souvent drôle, parfois vulgaire, voire impertinent, et surtout parler à l’émotion. À travers les démonstrations et les explications des 132 dialogues présentés dans ce manuel, l’auteur a l’ambition de donner à l’apprenant l’envie de commencer ou de continuer à apprendre cette nouvelle langue qui exige à la fois une maîtrise de la prononciation, du sens (littéraire et d’usage) d’un mot et des codes socio-culturels. En somme, si l’auteur cherche à susciter le désir et le plaisir chez l’apprenant en utilisant ce manuel, il cherche aussi à éveiller la volonté de communiquer avec les autres une fois que les bases sont acquises.
Les scènes des dialogues présentées dans le livre sont le fruit d’observations et de réflexions de l’auteur. On pourrait très bien considérer que ce manuel est la suite ou une déclinaison de son livre précédent, Dictionnaire impertinent de la Chine, car chaque fiche des dialogues reflète pleinement le quotidien des Chinois et elle invite les lecteurs à faire leurs propres analyses sociologiques. Exemple avec la fiche 62, intitulée « Refuser une invitation » :
« – Il y a combien de temps qu’on n’a pas été chanter au karaoké ? On y va ce soir ?
– L’air est tellement mauvais ces derniers temps, ma gorge est toute enrouée !
– Tu n’as pas encore acheté de purificateur d’air ? Il ne faut pas faire d’économie sur ça !
– J’attends la prime de fin d’année ! »
Voilà ce qu’on apprend : grâce à la réponse, les Chinois ne refusent pas directement, mais ils font comprendre la réponse négative en détournant le sujet de la conversation. L’interlocuteur trouve une occasion de se vanter d’avoir acheté un purificateur qui est devenu nécessaire par temps pollué, même s’il coûte un prix élevé. Pour mettre fin à la conversation, l’autre personne confirme qu’elle pourrait avoir une prime de fin d’année (pas sûr qu’elle soit en numéraire). De l’invitation à la prime, en quatre phrases avec des thèmes différents, l’auteur cherche à nous montrer que les conversations entre les Chinois sont rarement centrées sur un seul sujet et que les interlocuteurs se sentent libres de faire une digression. Il est difficile pour un débutant de saisir l’aspect allusif et implicite de cette langue à l’écoute : elle reste vivante et évolutive. Il n’y a pas de règles à suivre, conclut l’auteur : il suffit de trouver une chute pour que la conversation s’enchaîne. Comprendre cette non-linéarité est une des astuces pour trouver du plaisir dans l’apprentissage.
Lacan a étudié le chinois sans être jamais allé en Chine. Sa fascination pour cette langue s’est portée en particulier sur les rapports entre écriture et prononciation de chaque caractère. Un sinogramme est un phonème qui est une sorte de condensé d’équivocité, dont la puissance est très supérieure à celle du français. C’est à partir de cette caractéristique de signifiants multiples que l’auteur de ce manuel nous donne envie de faire une incursion dans le monde des Chinois, où l’on parle une langue complexe et subtile.
Par Tamara Lui
Avec l’aide de Patrick Cozette

À lire

Renaud De Spens, Le chinois tel qu’on le parle, Éditions Armand Colin, 2022, 318 p.

(Source : Decitre)
(Source : Decitre)

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A propos de l'auteur
Originaire de Hongkong, ancienne journaliste pour deux grands médias hongkongais, Tamara s'est reconvertie dans le documentaire. Spécialisée dans les études sur l'immigration chinoise en France, elle mène actuellement des projets d'économie sociale et solidaire.