Société
Témoignage

"Dix jours à Xi'an" par Jiang Xue (3/4) : face au confinement, hors de l'entraide, point de salut

Vue aérienne de Xi'an. (Source : Guardian)
Vue aérienne de Xi'an. (Source : Guardian)
Que s’est-il passé à Xi’an ? Du 22 décembre au 24 janvier, face à la vague Omicron, les 13 millions d’habitants de la métropole du Shaanxi, au nord-ouest de la Chine, ont connu un strict confinement, deux ans après Wuhan. Jiang Xue, journaliste indépendante basée dans cette ancienne capitale impériale, a livré début janvier un témoignage fort sur les réseaux sociaux, rapidement supprimé par la censure. Asialyst le restitue en français, en quatre épisodes. Après le premier jour catastrophique du confinement (à lire ici) et l’apparition de la pénurie, voici la troisième partie : l’heure de l’entraide.

L’heure du système D

Au moins pendant quatre jours, du 28 au 31 décembre, la majorité des habitants de Xi’an n’ont pu compter que sur eux-même pour s’approvisionner en légumes ou produits de première nécessité. Autrement dit, pour avoir quelque chose à manger.
Mes amis en province étaient curieux. Ils me demandaient si je pouvais recevoir les colis. En réalité, les entreprises de livraison de Xi’an avaient cessé leur activité dès le 21 décembre. Dès lors, il était impossible de commander sur des plateformes en lignes situées à l’extérieur de la ville. Après que Xi’an fut fermée, des publicités de plateformes en ligne avaient bien été diffusées dans les groupes de discussion sur WeChat, prétendant pouvoir livrer à manger pendant l’épidémie. Mais ce n’est qu’une fois la commande passée qu’on se rendait compte qu’ils livraient partout sauf à Xian. Sur l’application habituellement utilisée pour commander à manger, Hema (application appartenant au groupe Alibaba), le même message apparaissait : « Il n’y a plus de créneau de libre dans l’agenda des frères livreurs pour le moment. » Ce n’était pas évident de trouver un commerçant en ligne sur la plateforme nommée « tout le monde est content de rentrer à la maison ». On passait commande pour régler quelques articles, mais deux jours plus tard, il ne se passait toujours rien. On n’avait d’autre choix que d’annuler la commande.
Lors la conférence de presse des autorités diffusée en streaming, le 29 décembre, l’outil de chat fut pris d’assaut : des messages s’accumulaient sur la « difficulté d’acheter à manger ». Résultat, ils fermèrent tout simplement le chat.
J’ai échangé avec plusieurs amis qui sont sur un groupe de discussion de bénévoles. Ils ont tous déjà participé à la gestion de toutes sortes de catastrophes. Ils ont une expérience très riche. Sans se concerter, ils ont tous commencé à dire combien il était difficile cette fois de mettre quelque chose en place pour Xi’an. Au début du confinement, ils avaient réussi à coordonner le recrutement en ligne et en physique de plusieurs milliers de bénévoles. Mais ils n’étaient pas parvenus à les déployer. Dès lors que les autorités avaient fermé toutes les résidences sans prévoir aucune exception à la règle, il était devenu très compliqué de se procurer une attestation de déplacement. Les bénévoles, eux non plus, n’avaient aucun moyen de quitter leur domicile pour se rendre en première ligne. C’était la première fois qu’ils étaient confrontés à une telle difficulté dans leur carrière.
Il était facile d’imaginer qu’on ne craignait pas grand-chose, nous, les habitants des résidences. Il y avait toujours des céréales qui restaient dans en coin à la maison. On n’allait pas souffrir de la faim dans la minute. La situation était nettement moins rose dans les vieux immeubles. À l’instar de Chengzhongcun ou dans les baraques d’ouvriers du bâtiments, tous les habitants de ces zones dont personne ne se préoccupe jamais vraiment. Ce qui était plus difficile à imaginer en revanche, c’était tous ces jeunes qui habituellement passaient leur journée au bureau. Ils faisaient partie de ceux qui avaient eu le plus de mal à se nourrir après le début du confinement. En temps normal, ils n’avaient pas l’habitude de faire à manger. Ils n’avaient même pas d’ustensiles de cuisine. Certains vivaient même dans leur bureau. À ce moment-là, lorsque les restaurants à l’extérieur avaient fermé leur porte, que le service de livraison des repas à domicile s’était interrompu et qu’ils n’avaient même pas la possibilité de franchir le seuil de leur résidence, même les nouilles instantanées devenaient une denrée rare.
Le soir du 30 décembre, la température était passée sous la barre de zéro. Dans un groupe de discussion sur WeChat, un ami avait laissé un message : il venait de revenir d’une maraude où il avait apporté à manger aux personne jetées à la rue. Cet ami était particulièrement animé par l’idéal de charité et de bien commun. Dans la coopération avec autrui, dix ans après comme au premier jour, il s’obstinait à apporter des vivres aux pauvres dans les rues de Xi’an. Ces derniers jours, il préparait les repas dans l’usine de la banlieue sud avant de les acheminer en ville. Un soir, il livra même jusqu’à 185 repas chauds. Comme il avait une attestation de déplacement, il n’avait aucune difficulté à le faire.
Avant le confinement, j’avais déjà assisté à des maraudes organisées par des amis. Il s’agissait d’apporter des vêtements chauds aux indigents. On savait qu’en général ils se regroupent en ville devant les banques, au pied des bornes de retraits, dans ce genre d’endroit, pour passer la nuit à l’abri du froid. Mais maintenant que la ville était confinée, certains d’entre eux s’étaient fait chasser. Pour ceux qui étaient restés là, maintenant que les rues étaient désertes, il n’y avait plus la possibilité ni de mendier ni de récupérer les rebuts. Comment faisaient-ils pour vivre ? Pour eux, c’était définitivement un hiver à marquer d’une pierre blanche.
Le jour de l’an, je réussis à discuter un moment avec mon amie Zhang, qui était très prise. Elle était dans le monde associatif depuis une dizaine d’années, à la base, au service des personnes handicapées. Depuis trois ou quatre ans, elle travaillait pour la mairie. Avec cette crise épidémique, elle n’avait pas cessé de collaborer avec la collectivité, elle faisait le lien entre différents services, et participait à de nombreux événements caritatifs.
Dans un contexte, m’a raconté Zhang, aussi extrême que le confinement strict de la ville, l’entraide entre voisins au sein d’un même quartier était primordiale. Notamment pour les personnes âgées isolées, pour les enfants et pour tous les publics ayant des besoins spécifiques. Certains n’ayant ni à boire ni à manger, d’autres ayant des urgences, l’entraide entre voisins permettait vraiment dans ce type de situation d’apporter une solution. Même lors de crises d’une telle ampleur, on ne pouvait se passer des réseaux de soutien et d’entraide au sein des quartiers. Car jusqu’à présent, les collectivités locales ne remplissaient pas ce rôle : les individus interagissaient comme s’ils étaient tous sur des îlots isolés. Là-dessus, le travail du réseau associatif existant peut être d’une grande utilité, en se fondant sur les quartiers eux-mêmes. Mais ce point était considéré depuis toujours comme un tabou par le gouvernement.
Dans le contexte actuel où il était partout difficile de s’approvisionner en produits alimentaires, Zhang filait la métaphore suivante : mettons que tout le monde soit enfermé dans un enclos, et que les fonctionnaires de l’État se chargent de faire la distribution des rations comme à des animaux, et ce dans une ville de plusieurs millions d’habitants, comment est-ce possible ? Une résidence compte environ 20 000 personnes. Parmi elles, pas plus de 10 agents municipaux, qui ne peuvent pas s’occuper de l’ensemble des directives administratives. Zhang s’est écriée : les agents municipaux de sa connaissance étaient toutes des jeunes femmes, beaucoup étaient aussi mamans. Ces derniers jours, elles ne pouvaient même pas rentrer chez elles le soir. Elles tournaient à plein régime. Nombreux dormaient à même le sol au bureau. Elle avait mal pour eux. « Mais le gouvernement se borne à ne pas vouloir reconnaître que l’administration ne peut pas tout gérer. Comme cette fois-ci dans la lutte contre l’épidémie, les agents de base travaillent d’arrache-pied jour et nuit, mais pour quel résultat ? » Nous discutions sans voir le temps passer : déjà une heure que nous étions au téléphone.
Par Jiang Xue
Traduit du chinois et mis en contexte par Lou Lee Po
Le texte original en chinois est consultable sur ce blog. Le quatrième et dernier épisode à lire bientôt sur Asialyst.

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A propos de l'auteur
Bonne connaisseuse de la Chine, Lou Lee Po parcourt ce pays depuis une quinzaine d'années. Ses thèmes de prédilection : les droits des femmes, le tourisme et la culture chinoise.