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Taïwan au "sommet de la démocratie" de Biden : le ton monte entre Pékin et Washington

La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen ne participera pas au "sommet de la démocratie" de Joe Biden, elle sera représentée par sa ministre du Numérique Audrey tang et sa représentante à Washington Hsiao Bi-khim. (Source : France24)
La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen ne participera pas au "sommet de la démocratie" de Joe Biden, elle sera représentée par sa ministre du Numérique Audrey tang et sa représentante à Washington Hsiao Bi-khim. (Source : France24)
Joe Biden a invité Taïwan à participer au « sommet de la démocratie » qui se tiendra en ligne les 9 et 10 décembre prochains. Une initiative qui a évidemment suscité la colère de Pékin mais qui illustre aussi et surtout le fait que les États-Unis continuent leur rapprochement avec « l’île rebelle ».
Au total, 110 pays sont invités. Dont Taïwan. Cette invitation américaine lancée à Taipei a déclenché une double réaction côté chinois. D’abord, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a fait part de sa « ferme opposition » et rappelé que, pour la Chine populaire, « Taïwan n’a pas d’autre statut que celui de partie intégrante de la Chine ». Ensuite, La porte-parole du bureau chinois des Affaires taïwanaises, Zhu Fenglian, s’est opposée, et c’est là une constance de la diplomatie chinoise, à « toute interaction officielle entre les États-Unis et la région chinoise de Taïwan », qualifiant au passage l’invitation faite par les États-Unis à Taïwan « d’erreur ».
Pour les autorités communistes, cette proposition de Biden est un camouflet après la rencontre virtuelle entre les présidents américains et chinois le 15 novembre dernier. Une rencontre où, pour Pékin, la question de Taïwan et de la « Chine unique » était justement centrale.
À cette « erreur », Pékin cherche déjà une réponse qui passe probablement par un resserrement des liens avec les pays qui n’ont pas été invités au « sommet des démocraties ». Ce mardi 23 novembre, la Chine et la Russie se sont rapprochées d’une alliance militaire de facto en convenant d’étendre leur coopération par le biais d’exercices stratégiques et de patrouilles conjointes en Asie-Pacifique.

« Erreur »

Au « sommet de la démocratie », Taïwan n’enverra pas sa présidente Tsai Ing-wen mais la ministre du numérique Audrey Tang de même que l’ambassadeure de facto à Washington Hsiao Bi-khim. Le porte-parole de Tsai, Xavier Chang, a expliqué que des rencontres de haut niveau avaient eu lieu entre Taïwan et les États-Unis depuis la mi-novembre, y compris celle, le 15 novembre, sur la gouvernance démocratique en Indo-Pacifique et la seconde sur les échanges et la coopération entre les États-Unis et Taïwan.
Ce mercredi 24 novembre, Zhao Lijian a exhorté Washington à « ne plus donner un podium aux forces indépendantistes de Taïwan ». « Se joindre aux forces en faveur de l’indépendance de Taïwan revient à jouer avec le feu et ne conduira leurs auteurs qu’à se brûler eux-mêmes », a-t-il lancé, usant là d’un narratif habituel de la Chine sur ce sujet.
L’invitation du président américain à Taïwan illustre bien le fait que la politique de Joe Biden sur ce sujet reste la même en dépit des propos rassurants tenus lors de son entretien virtuel « en face-à-face » avec Xi Jinping. À cette occasion, il avait dit que les États-Unis ne recherchaient pas la guerre avec la Chine mais plutôt une détente dans les relations entre les deux plus grandes puissances économiques du globe. Mais on se rappelle que le président américain avait aussi dit explicitement que l’Amérique s’opposerait à tout changement unilatéral du statu quo dans le détroit de Taïwan. Son homologue chinois lui avait répondu que si la « ligne rouge » était franchie côté américain, « nous n’aurons d’autre alternative que d’adopter des mesures drastiques ». Pendant cet échange, Xi Jinping avait soutenu que les autorités taïwanaises avaient, de façon répétée, cherché à utiliser les États-Unis comme un moyen pour rechercher l’indépendance de l’île tandis que, de leur côté, certains hommes politique américains avaient l’intention d’utiliser Taïwan pour « contenir la Chine ».

« Ironie suprême »

Peu avant l’annonce de ce « sommet sur la démocratie » aux États-Unis, un responsable officiel de haut rang du Parti avait, à l’occasion d’un meeting réunissant 300 responsables du Parti, qualifié ce sommet « d’ironie suprême » alors que les démocratie occidentales faisaient face à « des problèmes énormes ». La Maison Blanche a expliqué que ce sommet avait pour objectif la défense contre toute forme d’autoritarisme, la lutte contre la corruption et le respect des droits humains.
Parmi les invités dans la région Asie-Pacifique figurent le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, le Pakistan, l’Inde et les Philippines. La plupart des pays européens sont aussi invités, dont la Serbie, mais pas la Bosnie-Herzégovine ou la Hongrie.
L’invitation faite à Taïwan met en lumière les limites du sommet virtuel entre Biden et Xi, estime Shi Yinhong, professeur de relations internationale à l’Université du Peuple de Pékin. « Les États-Unis avaient vaguement parlé d’inviter Taïwan. Le faire est en ligne avec la politique de Joe Biden à propos de Taïwan qui est d’approfondir et d’étendre son soutien à Taïwan en termes de sécurité, de diplomatie et d’idéologie, explique le chercheur, cité par la BBC. Cela montre aussi à quel point les résultats de ce sommet Xi-Biden sont insignifiants. Taïwan est et reste le point central et, avec ou sans ce sommet, la confrontation sur ce dossier devient de plus en plus intense. »
Pour Li Da-jung, professeur de relations internationales et d’études stratégiques à l’Université Tamkang à Taïpei, il apparait que Taïwan a choisi son représentant à ce sommet en coordination avec les États-Unis, dans le but d’éviter de provoquer davantage Pékin. « Tang est une ministre et Hsiao est l’ambassadeur de facto aux États-Unis. Cet arrangement réduit d’autant le caractère explosif qui aurait été celui d’une participation de la présidente Tsai Ing-wen à cette réunion, même si celle-ci n’est que virtuelle et non pas en présentiel. En outre, 110 pays y prendront part et ne seront pas nécessairement représentés par leurs dirigeants. À ce jour, nous ne savons pas sous quelle forme ce sommet aura lieu. Il se peut que ce soit Joe Biden qui en prononce le discours d’ouverture et le reste de la réunion pourrait se poursuivre sous l’égide du Département d’État américain. Ce pourrait être là la raison pour laquelle la présidente Tsai a choisi de ne pas y participer. »

De l’affaire Peng Shuai aux premiers boycotts des JO, Pékin sur la défensive

Ce sommet va se dérouler avec en toile de fond une hausse continue des menaces chinoises sur Taïwan que Pékin considère comme une simple province devant nécessairement accepter d’être un jour rattachée au continent chinois sous l’égide du Parti communiste. Xi Jinping a maintes fois déclaré que la réunification de Taïwan avec le continent était inéluctable. Il n’a jamais écarté l’usage de la force si les autorités taïwanaises persistaient à refuser cette réunification.
La perspective de ce sommet prend place alors que les autorités chinoises sont confrontées à une émotion considérable dans le monde causée par le scandale sans précédent autour de l’affaire de la joueuse de tennis chinoise Peng Shuai. Celle-ci a, le 2 novembre, accusé l’ancien vice-Premier ministre chinois Zhang Gaoli, de 40 ans son aîné, d’un rapport sexuel forcé, accusations rapidement censurées par les autorités chinoises. Zhang Gaoli avait été jusqu’en 2018 l’un des sept dirigeants les plus puissants de Chine. Lui-même ne s’est jamais exprimé sur ces accusations. Peng Shuai avait ensuite disparu pendant plus de deux semaines, avant de réapparaître lors d’un événement de tennis pour les jeunes en Chine, suivie d’un entretien par vidéo avec Thomas Bach, le président du CIO. Elle avait soudainement multiplié les apparitions, rassurant sur son état de santé mais pas sur sa situation personnelle.
Après plusieurs jours de silence, les autorités chinoises ont pour la première fois appelé mardi l’Occident à cesser de « monter en épingle » l’affaire Peng Shuai. Une réaction exceptionnelle qui dénote leur embarras extrême face à un tollé mondial. Jusqu’à présent, interrogé quasi quotidiennement, le ministère chinois des Affaires étrangères se refusait à tout commentaire sur cette affaire, affirmant qu’elle ne relevait pas de la sphère diplomatique. Mais, interrogé mardi 23 novembre lors d’un point de presse, son porte-parole Zhao Lijian a réagi à la polémique qui vise son pays depuis le début du mois : « Je pense que certains doivent cesser de délibérément de monter en épingle cette question à des fins hostiles, et surtout d’en faire une question politique. » Zhao n’a pas précisé qui il visait précisément par ses propos. Cette réaction illustre le fait que le régime chinois réalise enfin la portée de ce scandale et l’effet dévastateur pour son image.
À cela se greffent des appels de plus en plus nombreux en faveur d’un boycott des Jeux Olympiques d’hiver qui doivent se tenir en février à Pékin. Le 18 novembre, Joe Biden avait dit « envisager » un boycott diplomatique pour protester contre les violations des droits humains en Chine. Cette option consisterait à ne pas envoyer de responsables gouvernementaux pour représenter Washington lors des compétitions, tout en laissant les athlètes américains y participer.
Le Comité olympique américain s’oppose à une solution aussi radicale, expliquant que les Jeux sont importants après des mois de pandémie. Il a jugé que le boycott des Jeux de Moscou en 1980 par les États-Unis et une soixantaine d’autres pays, et de ceux de Los Angeles en 1984, par l’Union soviétique et ses alliés, avaient montré qu’utiliser ces événements comme un « un outil politique » était une « erreur ».
D’autres pays étudient la possibilité d’un tel boycott de cet événement populaire et planétaire organisé par un pays accusé de perpétrer un « génocide » contre les musulmans ouïghours du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine. Ce jeudi 25 novembre, le Royaume-Uni a annoncé un boycott diplomatique de JO de Pékin. En pointe sur ce dossier, l’Alliance Interparlementaire sur la Chine avait enjoint Londres à franchir le pas. Le gouvernement britannique a donc indiqué que ses ministres ne se rendraient pas à Pékin en février. L’Union européenne, elle aussi, pourrait prendre à une telle décision.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).