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Chine et États-Unis se reparlent : vers un début de détente ?

(Source : Albawaba)
(Source : Albawaba)
Des responsables militaires de haut rang américains et chinois ont participé les 28 et 29 septembre à des discussions sans précédent depuis des années. Ce qui semble traduire la volonté à Washington comme à Pékin d’apaiser des relations tumultueuses qui menaçaient de dégénérer vers une pente dangereuse.
Ces entretiens, menés par visioconférence, ont été conduits par Michael Chase, le secrétaire adjoint à la Défense américain, et Huang Xueping, le directeur adjoint du bureau chinois chargé de la coopération militaire internationale. Au sortir de ces discussions, les deux hommes sont convenus de la nécessité de résoudre des « questions graves » par la négociation afin d’améliorer les liens militaires entre les deux superpuissances mondiales.

le canal de l’ambassade américaine à Pékin

Au lendemain de ces entretiens à distance, le 30 septembre, le porte-parole du ministère chinois de la Défense Wu Qian a déclaré que le gouvernement chinois se félicitait de l’ouverture de ce dialogue militaire entre Washington et Pékin. Il a néanmoins ajouté que la partie américaine devait prendre des mesures pour résoudre ces différends provoqués par des « provocations continuelles américaines visant à intimider la Chine ».
« Les relations militaires [sino-américaines] ont fait face à de nombreuses difficultés et des défis, mais nos armées ont toutefois réussi à maintenir des canaux de communication, a précisé Wu Qian. Mais il reste que les États-Unis rencontrent de sérieuses difficultés avec leur perception et compréhension de la Chine tout comme du monde. Ceci était la racine des difficultés dans les relations entre nos deux armées. […] Nous espérons que les États-Unis trouveront le courage de corriger leurs erreurs afin de travailler avec la Chine pour répondre à la question cruciale qui est de gérer correctement les relations Chine/États-Unis. »
Le département américain à la Défense a, quant à lui, expliqué que ces entretiens faisaient partie des efforts entrepris par l’administration Biden visant à « gérer de façon responsable la compétition » entre les deux pays en « maintenant des lignes de communication ouvertes » avec la Chine. « Au cours de ces entretiens, les deux parties ont eu une discussion franche, approfondie et ouverte sur un large spectre de questions concernant les relations de défense » entre les États-Unis et la Chine, a expliqué le département d’État. Les deux parties ont réaffirmé leur consensus sur le fait de maintenait les canaux de communication ouverts. »
Selon une source chinoise non identifiée citée par le South China Morning Post, la Chine a maintenu une communication de niveau intermédiaire par le biais de l’attaché militaire de l’Ambassade des États-Unis à Pékin. La crise en Afghanistan a été l’un des sujets « très urgents » récemment discutés via ce canal.

« Gains géopolitiques égoïstes »

Le Pentagone a mis sur pied une cellule pour évaluer les stratégies militaires américaines et les opérations en Chine. Mais il demeure aux États-Unis une grande incertitude sur la politique chinoise de l’administration Biden, le président démocrate ayant fait de la Chine « le facteur le plus important » de sa politique étrangère.
Le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin n’a, à ce jour, jamais pris langue avec son homologue chinois. il faut dire que Pékin a rejeté toutes ses demandes pour rencontrer Xu Qiliang, le vice-président de la Commission militaire centrale, présidée par Xi Jinping.
Le même Austin s’était rendu en Asie du Sud-Est en juillet. Il avait profité de cette tournée pour dénoncer les revendications de Pékin sur la mer de Chine du Sud. En réponse, les Chinois avaient accusé les Américains de rechercher des « gains géopolitiques égoïstes » en se saisissant de la question chinoise « à tous les instants ».

Pas encore d’apaisement

Pour Tang Xiaoyang, un professeur de relations internationales à l’Université Tsinghua à Pékin, cité par le quotidien de Hong Kong, Joe Biden cherche à mettre en œuvre un canal de communication avec la Chine afin de prévenir « tout incident non attendu », une politique qui tranche avec celle de son prédécesseur Donald Trump.
« Le gouvernement de Biden, nous le voyons, est progressivement en train de mettre au point sa politique à l’égard de la Chine, affirme Tang Xiaoyang. Mais la posture militaire des États-Unis vis-à-vis de la Chine ne s’est pas assouplie. Ainsi, ces entretiens ne se sont pas déroulés de façon apaisée. Il s’agit davantage de mesurer les étapes à franchir pour la mise en place de canaux de communications. »
Autre signe du désir de l’administration américaine d’apaiser les relations avec la Chine, le secrétaire d’État Anthony Blinken a envoyé un message de félicitations à la Chine à l’occasion de la fête nationale du 1er octobre qui marque la fondation de la République populaire par Mao Zedong. « Au nom des États-Unis d’Amérique, je souhaite exprimer nos félicitations au peuple de la République populaire de Chine qui célèbre sa fête nationale le 1er octobre, a-t-il déclaré dans un communiqué. Au moment où les États-Unis cherchent à coopérer pour résoudre les défis auxquels nous sommes tous confrontés, nous souhaitons au peuple de la République populaire de Chine la paix, la joie et la prospérité pour les années à venir. » Ce message est peut-être un autre signe de la volonté de Washington de parvenir à un dégel dans ses relations avec Pékin.
Il est de tradition que le chef de la diplomatie américaine envoie un message de félicitations à la Chine à l’occasion de sa fête nationale. Mais celui d’Anthony Blinken est différent de celui de son prédécesseur Mike Pompeo. Ce dernier, en octobre 2020, avait soigneusement omis de mentionner la « République populaire de Chine » et s’était contenté mentionner le « peuple chinois ».

Incursions record d’avions militaires chinois aux portes de Taïwan

Cependant, les tensions entre Washington et Pékin restent très vives. Le 29 septembre, les États-Unis et l’Union européenne sont tombés d’accord pour approfondir la coopération transatlantique, leur coopération dans les chaînes d’approvisionnement en semi-conducteurs, tout en s’engageant à « travailler ensemble de façon étroite » dans de nombreux domaines, dans ce qui constitue un message clair à l’adresse de la Chine. Le 28 septembre, l’ambassadeur de Chine à Washington Qin Gang avait exhorté les Américains à redoubler d’efforts pour apaiser les relations sino-américaines.
Ces derniers développements interviennent alors que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont conclu un traité qui prévoit la livraison à Canberra de huit sous-marins à propulsion nucléaire. Ce traité, Aukus, a suscité la colère de Pékin puisqu’il bouscule profondément le théâtre géostratégique en Indo-Pacifique en accélérant un mouvement perceptible depuis le début de l’année d’encerclement de la Chine de la part des États-Unis, du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie et même de l’Inde. Aux termes de cet accord, annoncé le 15 septembre, l’Australie va en outre bénéficier de l’aide de la technologie américaine la plus avancée dans un domaine ultrasensible.
D’autre part, les manœuvres d’intimidation de Pékin contre Taïwan continuent de plus belle. Le 1er octobre, 38 avions de combats chinois sont entrés en deux vagues successives dans la zone d’identification aérienne de l’île. Un chiffre record, battu ce dimanche 3 octobre avec 52 chasseurs dans le même zone. Ces dernières opérations d’intimidation s’ajoutent à beaucoup d’autres ces derniers mois.
La première vague était constituée de 18 chasseurs J-16, de 4 chasseurs Su-30 et d’un bombardier de lutte anti-sous-marins. La seconde vague a vu 10 J-16 et 2 H-6 ainsi qu’un avion de reconnaissance radar s’approcher des côtes de Taïwan.
« La Chine s’est engagée dans des agressions militaires, portant préjudice à la paix régionale, a déclaré le Premier ministre taïwanais Su Tseng-chang le 2 octobre. Ce samedi « n’a pas été une bonne journée », a de son côté déclaré le ministre des Affaires étrangères de Taïwan, Joseph Wu. « Des menaces ? Évidemment », s’est-il exclamé. La Chine n’a pour le moment fait aucun commentaire.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).