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Népal : l'aide américaine suscite une tempête à Katmandou

Des militants du Parti communiste du Népal manifestent contre l'accord avec le MCC signé avec le gouvernement américain pour une aide de 500 millions de dollars, à Katmandou, le 3 juin 2020. (Source : Himalayan Times)
Des militants du Parti communiste du Népal manifestent contre l'accord avec le MCC signé avec le gouvernement américain pour une aide de 500 millions de dollars, à Katmandou, le 3 juin 2020. (Source : Himalayan Times)
Pris en sandwich entre les deux géants indien et chinois, le Népal a été choisi en 2017 par le gouvernement américain comme récipiendaire potentiel d’une aide au développement de 500 millions de dollars, le principal budget de l’agence gouvernementale MCC (Millenium Challenge Corporation). La prochaine visite à Katmandou, ce jeudi 9 septembre, de la vice-présidente de cette agence, Fatema Sumar, une ancienne sous-secrétaire d’État américaine à l’Asie du Sud, exacerbe les antagonismes.

Un accord peu transparent

Pour les tenants de la ratification de l’accord avec le MCC, le Népal ne peut se priver de 500 millions de dollars destinés à la mise à très haute tension de la radiale est-ouest du réseau électrique national. Ce qui permettrait enfin à ce pays au vaste potentiel hydroélectrique de ne plus importer de l’électricité d’Inde et même d’en exporter.
Le Népal est très durement touché par la crise du Covid-19. Mais en plus de la pandémie elle-même, il a vu se tarir ses deux principales sources de devises : le tourisme et les envois des travailleurs népalais à l’étranger, notamment dans le golfe Arabo-Persique. L’actuel gouvernement népalais, dirigé par le Premier ministre Deuba issu de la droite modérée (Parti du Congrès) en faveur de l’accord, a obtenu du président de la République la dissolution du Parlement. Or l’accord avec le MCC doit, selon nombre de constitutionnalistes, être approuvé par une majorité de députés.
Pour les adversaires du MCA (Millenium Challenge Agreement), certaines clauses de l’accord sont une atteinte grave à la souveraineté du pays, et contraires à la Constitution. Notamment une clause stipulant que tout conflit ou litige entre une partie américaine et une partie népalaise ne pourra être jugé que devant des tribunaux américains.
Les partis d’opposition de gauche et leurs militants sont vent debout contre la ratification, qui, selon eux, ferait basculer le pays dans le camp américain, faisant du Népal, qui partage les 1000 km de sa frontière nord avec le Tibet, une pièce majeure dans la stratégie de Washington pour encercler la Chine. Ce qui le dépouille de sa souveraineté et de son avenir comme nation indépendante.

Un sous-secrétaire d’État met le feu aux poudres

Ce sont les propos publics de Keith Krash, sous-secrétaire d’État américain à la Croissance économique, l’Énergie et l’Environnement, qui ont mis le feu aux poudres. « Le MCC fait partie de la stratégie globale [des États-Unis] d’encerclement de la Chine », a ainsi déclaré Keith Krash lors du forum économique indo-pacifique en novembre 2019 à Bangkok. Ce riche homme d’affaires trumpiste, spécialiste reconnu des transactions par internet, avait été confirmé à son poste par le Sénat en juin 2019.
Avant la médiatisation de la saillie de Keith Krash, ni le public, ni les parlementaires népalais, n’étaient informés du projet de leur pays avec le MCC. Un projet discrètement négocié en 2017 par l’actuel premier ministre Deuba, qui occupait déjà cette fonction.
Or depuis deux ans, l’opposition à l’accord avec le MCC ne cesse de croitre. Nombreux sont les juristes et constitutionnalistes à considérer que les gouvernements Deuba ont violé la Constitution en tentant de court-circuiter les pouvoirs du parlement sur l’existence et le contenu de l’accord. D’autant que le représentant du MCC au Népal s’est targué d’avoir commencé des travaux préliminaires d’infrastructure pour plus d’une dizaine de millions de dollars, alors que l’accord n’est pas passé devant le parlement et n’est donc pas ratifié.
Depuis l’émergence du web au Népal, dans les années 1990, médias et sources d’informations de qualités diverses se sont multipliés pour un public avide d’informations, dont l’enclavement du pays l’avait toujours privé.
Le gouvernement exproprie début 2021 une vingtaine d’hectares dans une zone « stratégique », à la sortie de la vallée de Katmandou vers la frontière chinoise. Dès qu’elle est connue, cette décision est contestée. Un petit mouvement politique gauchiste, pour se faire connaître et manifester son opposition au MCC, envoie ses militants planter des dizaines de drapeaux népalais sur ce terrain.
Asialyst n’est pas parvenu à obtenir la preuve documentaire que ce terrain était effectivement devenu la propriété du MCC. Mais en tout état de cause, la vice-présidente du MCC Fatema Zumar, bonne connaisseuse de cette région, ne s’attend pas à une visite d’agrément cette semaine à Katmandou.
Par Francis Christophe

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP et de Bakchich, ancien enquêteur pour l'Observatoire Géopolitique des Drogues, de Bakchich, Christophe est journaliste indépendant. Auteur du livre "Birmanie, la dictature du Pavot" (Picquier, 1998), il est passionné par les "trous noirs de l'information". La Birmanie fut, de 1962 à 1988 le pays répondant le mieux à cette définition. Aucune information ne sortait de cette dictature militaire autarcique, archaïque, guerroyant contre ses minorités, clamant sans le désert sa marche sur la voie birmane vers le socialisme.