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Candidats "patriotes", opposants inculpés : Hong Kong désormais entièrement sous cloche

"Libérez les prisonniers politiques" appelle la banderole lors du rassemblement en soutien des 47 militants pro-démocratie inculpés pour "subversion", devant le tribunal de Kowloon West, le 1er mars 2021. (Source : QZ)
"Libérez les prisonniers politiques" appelle la banderole lors du rassemblement en soutien des 47 militants pro-démocratie inculpés pour "subversion", devant le tribunal de Kowloon West, le 1er mars 2021. (Source : QZ)
Avec une nouvelle règlementation imposée par Pékin qui exige des candidats aux élections locales à Hong Kong de déclarer leur allégeance au gouvernement central et la plus large salve d’inculpations pour « subversion » dans le camp démocrate, l’ancienne colonie britannique rétrocédée à la Chine en 1997 est désormais totalement sous cloche. Un processus qui marque définitivement la mort du principe « un pays, deux systèmes » inventé par le patriarche Deng Xiaoping. Le Parti communiste chinois avait pourtant promis de le respecter pendant cinquante ans.
47 personnalités du camp démocrate ont été inculpées ce dimanche 28 février pour « subversion » en vertu de la nouvelle « loi sur la sécurité nationale » dictée par le gouvernement central chinois et adoptée le 30 juin 2020. Ils sont accusés pour avoir organisé l’an dernier des primaires non officielles à l’intérieur du camp démocrate afin de sélectionner les candidats qui devaient se présenter en septembre dernier aux élections du Conseil législatif (Legco), le parlement de Hong Kong. Un scrutin reporté d’un an par les autorités officiellement « en raison de la pandémie de Covid-19 ».
Lundi matin, des centaines de supporters des militants inculpés, habillés de noir, la couleur de la contestation à Hong Kong, faisaient la queue devant le tribunal de Kowloon, partie continentale de l’ancienne colonie, pour assister à l’ouverture de leur procès. Dans leurs rangs s’étaient glissés des diplomates des consulats du Royaume-Uni, du Canada, de l’Allemagne, des Pays-Bas et de l’Union européenne.
« Nous sommes ici car nous éprouvons une grande inquiétude au sujet de l’application de la loi sur la sécurité nationale », a souligné Jonathan Williams, fonctionnaire du consulat britannique, cité par le South China Morning Post. À Washington, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a exigé la libération immédiate des 47 inculpés. « L’engagement politique et la liberté d’expression ne devraient pas être un crime. Nous nous tenons aux côtés du peuple de Hong Kong », a-t-il tweeté.

Le secrétaire britannique aux Affaires étrangères Dominic Raab a, quant à lui, estimé que les charges retenues contre les 47 étaient « profondément inquiétantes ». Pour lui, cette décision démontre « dans des termes les plus sombres » que la loi sur la sécurité nationale est utilisée pour éliminer toute contestation politique à Hong Kong et non pour restaurer l’ordre.
Il s’agit là sans doute du coup le plus sévère porté au camp démocrate à Hong Kong depuis la rétrocession de 1997. Les principaux dirigeants du Parti Démocratique et Civique font tous partie des personnalités inculpées. Parmi elles, Joshua Wong, 25 ans, le jeune activiste infatigable des droits de l’homme et de la démocratie à Hong Kong qui a été de tous les combats de ces dernières années dans l’ancienne colonie, ainsi que la journaliste Claudia Mo Man-ching, une ancienne correspondante de l’Agence France-Presse devenue femme politique en vue et membre du groupe pro-démocratie au Conseil législatif de Hong Kong.

« Amour de la patrie chinoise »

Plus grave peut-être encore, fin février, un nouveau projet de loi électorale a été proposé à Hong Kong et sera adopté prochainement. Il impose à tous les candidats et élus de témoigner de leur « patriotisme » et de leur « amour de la patrie chinoise ». Une façon d’écarter le camp pro-démocratie du scrutin législatif prévu en septembre. L’ordre est venu de Pékin, le 22 février. L’explication a été donnée le lendemain par le ministre des Affaires continentales et constitutionnelles de l’ex-colonie britannique, Eric Tsang. Désormais, les conseillers municipaux devront prêter serment d’allégeance à la nation chinoise. Tout contrevenant « malhonnête » sera renvoyé de son poste. Et d’ajouter que « le patriotisme est un amour holistique ».
Ce projet de loi semble clairement viser la disqualification de 90 % des élus locaux pro-démocratie lors des élections municipales de novembre 2019 qui avaient infligé une cinglante défaite au camp pro-Pékin. Un an plus tard, après que Pékin a imposé la loi sur la sécurité nationale, cette nouvelle procédure vise à n’avoir que des candidats et des élus « patriotes » à tous les niveaux du système politique local. Désormais, Hong Kong est donc totalement sous cloche. Plus guère de différence avec toute autre ville de Chine continentale, alors que Pékin avait juré de maintenir pendant cinquante ans un haut degré d’autonomie à Hong Kong à qui il avait été promis qu’elle pourrait conserver ses institutions, une justice indépendante et un mode de vie qui lui était propre.
Ces mesures marquent la fin définitive du vent démocratique qui soufflait sur Hong Kong et qui avait réunit en 2019 jusqu’à deux millions de manifestants dans les rues de la ville de 7 millions d’habitants, pour protester contre l’emprise de la Chine sur la grande cité portuaire. Elles officialisent aussi la mort du concept « Un pays, deux systèmes » (一国两制) dont s’était servi Deng Xiaoping pour arracher en 1984 à la Première ministre britannique Margareth Thatcher la rétrocession par le Royaume-Uni de Hong Kong. D’abord sceptique, la « dame de fer » avait fini par plier lorsque Pékin avait menacé de couper l’eau et l’électricité à Hong Kong et brandi d’autres mesures de représailles. La rétrocession fut rendue effective et célébrée en grande pompe par la Chine treize ans plus tard. Macao, colonie portugaise, devait suivre en 1999.

Taïwan averti

Elles sont aussi, enfin et surtout, un message politique extrêmement fort pour Taïwan et sa population auxquels Pékin avait offert le même principe pour mener à bien la réunification de « l’île rebelle » au continent chinois. Déjà très hostiles à cette proposition, les 23 millions de Taïwanais verront dans cette tragédie une leçon parlante sur la signification réelle de la soi-disant politique du sourire de Pékin : la Chine est une et indivisible sous la direction du Parti communiste chinois et, sous son étendard, pas de place ni pour le pluralisme ni pour toute idée de dissidence.
Il n’y a donc plus rien à attendre du gouvernement chinois pour Hong Kong, si ce n’est peut-être de connaître le sort qui sera réservé à Jimmy Lai. À 74 ans, le magnat des médias hongkongais et figure du camp pro-démocratie croupit en prison et attend son procès sans illusion. Très critique envers Pékin, il est l’une des plus célèbres personnalités de Hong Kong visées par la loi sur la sécurité nationale. Il est accusé de « collusion avec des puissances étrangères » pour avoir appelé des gouvernements étrangers à sanctionner la région administrative spéciale et la Chine en réponse à la politique menée par Pékin dans le territoire semi-autonome. Reste à connaître enfin ce qui deviendra de Martin Lee, 82 ans, personnage le plus illustre et immensément respecté à Hong Kong pour son combat insatiable pour l’État de droit, et que Pékin menace de jeter à son tour en prison.
Pour mémoire, la loi sur la sécurité nationale prévoit des peines allant jusqu’à la perpétuité pour les prévenus reconnus coupables de « sécession, subversion, terrorisme et collusion avec des forces extérieures étrangères ».
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).