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Camps au Xinjiang : le viol est une pratique courante, selon des témoignages à la BBC

Le 4 février 2021, le département d'État américain s'est déclaré "profondément inquiet" des "des témoignages de première main de viols systématiques et d'abus sexuels contre des femmes dans des camps d'internement de Ouïghours et d'autres musulmans au Xinjiang". (Source : NYPOST)
Le 4 février 2021, le département d'État américain s'est déclaré "profondément inquiet" des "des témoignages de première main de viols systématiques et d'abus sexuels contre des femmes dans des camps d'internement de Ouïghours et d'autres musulmans au Xinjiang". (Source : NYPOST)
La détention de plus d’un million de Ouïghours dans des camps de rééducation et le travail forcé imposé à plus de 500 000 membres de cette communauté turcophone dans le Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, était déjà connu. S’y ajoute désormais une enquête de la BBC qui, sur la foi de témoignages de première main, dénonce le viol comme une pratique courante dans ce que la Chine nomme pudiquement des « centres de formation professionnelle ».
L’institution britannique a publié ce mardi 2 février un témoignage bouleversant de Tursunay Ziawudun, une femme qui a passé neuf mois dans un camp de travail dans le district de Xinyuan (Kunes en langue ouïghoure) dans le Xinjiang. Elle a expliqué à la BBC que certains soirs, après minuit, des hommes masqués ouvraient sa cellule pour y sélectionner une femme et la conduire dans une « salle noire » dépourvue de caméras de surveillance.
Là, ces hommes se livraient alors à une séance de viol collectif. Plusieurs nuits, cette Ouïghoure a été torturée puis soumise à ce forfait. « C’est là ma blessure la plus terrible que je n’oublierai jamais, confie-t-elle. Je n’arrive même pas à laisser ces mots sortir de ma bouche. » Après sa libération, cette femme a trouvé un refuge précaire au Kazakhstan, avant de rejoindre les États-Unis où elle vit désormais.
La BBC a interviewé une autre ancienne détenue, une femme d’ethnie kazakhe qui a passé 18 mois dans le système carcéral chinois du Xinjiang. Gulzira Auelkhan raconte au média britannique comment elle était chargée de déshabiller des femmes ouïghoures et de leur passer les menottes avant de les laisser seules avec leurs tortionnaires, des Han, l’ethnie de souche chinoise qui constitue 97 % de la population en République populaire.
« Mon travail était d’enlever leurs habits jusqu’au-dessus de la taille et de les menotter de façon à ce qu’elles ne puissent plus bouger, décrit-elle. Puis je laissais ces femmes dans la pièce et un homme y pénétrait, un Chinois membre de la police. J’attendais en silence à côté de la pièce et quand l’homme la quittait, j’accompagnais la femme jusqu’à la douche. [Les hommes] payaient pour sélectionner les plus jolies jeunes filles. » Interrogée sur le fait de savoir s’il s’agissait de viol, la femme a répondu : « Oui, un viol. Ils me forçaient à retirer les habits de ces femmes et à immobiliser leurs mains puis à quitter la pièce. »

« Le pire de ce que nous avons entendu jusqu’à présent »

En 2014, à l’issue d’une visite au Xinjiang, le président chinois Xi Jinping avait donné pour instruction aux cadres locaux de ne faire preuve « d’aucune pitié » à l’égard de cette minorité musulmane de cette région dite « autonome » mais où la Chine exerce un contrôle absolu.
Dans son témoignage à la BBC, Tursunay Ziawudun déclare encore que des femmes étaient extraites de leur cellule « chaque soir » et violées par un ou plusieurs hommes chinois masqués. Elle affirme avoir été elle-même torturée et violée à trois reprises, à chaque fois par deux ou trois hommes. Ces déclarations sont quasiment impossibles à corroborer sur le terrain puisque le Xinjiang est de facto interdit aux journalistes étrangers. Ces derniers, s’ils parviennent à se rendre sur place, sont suivis à la trace par les services de sécurité chinois et empêchés de faire leur travail d’enquête.
Mais des documents internes du district de Kunes confiés à la BBC par l’anthropologue allemand Adrian Zenz, spécialiste du Xinjiang et du Tibet, montrent l’ampleur du système de « transformation par l’éducation » sur des « groupes clés ». Un euphémisme en Chine pour qualifier le travail d’endoctrinement forcé des Ouïghours dans le Xinjiang. Dans l’un de ces documents, le processus « d’éducation » est décrit comme un procédé « de lavage de cerveau, de nettoyage des cœurs et d’élimination des idées diaboliques ». Cette enquête, souligne Adrian Zenz, « confirme le pire de ce que nous avons entendu jusqu’à présent ».

« Ces atrocités choquent les consciences »

Réagissant à ces révélations ce mercredi 3 février, Wang Wenbin, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a accusé la BBC de diffuser de « fausses informations » qui sont « entièrement sans fondement factuel ». Le lendemain, le département d’État américain s’est au contraire déclaré « profondément inquiet de ces informations, y compris des témoignages de première main de viols systématiques et d’abus sexuels contre des femmes dans des camps d’internement de Ouïghours et d’autres musulmans au Xinjiang. Ces atrocités choquent les consciences et doivent entrainer de graves conséquences. »
Commentant à son tour cette enquête, la ministre australienne des Affaires étrangères Marise Payne a, quant à elle, estimé que les Nations Unies devraient être en mesure d’accéder à cette région « immédiatement ». « Nous considérons que la transparence doit être d’une importance capitale, de même que d’appeler la Chine à permettre à des observateurs internationaux, y compris la Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, à avoir un accès immédiat » au Xinjiang. »
En janvier dernier, peu avant l’investiture de Joe Biden à la Maison Blanche, le secrétaire d’État américain de l’administration sortante, Mike Pompeo, avait accusé la Chine de commettre « un génocide » au Xinjiang.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).