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La Chine mène une offensive de charme en Asie du Sud-Est, le Japon en embuscade

Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi et son homologue malaisien Hishammuddin Hussein, le 20 octobre 2020 à Kuala Lumpur. (Source : Beltandroadnews)
Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi et son homologue malaisien Hishammuddin Hussein, le 20 octobre 2020 à Kuala Lumpur. (Source : Beltandroadnews)
Depuis début septembre, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, le Conseiller d’État Wang Jiechi et le ministre de la Défense Wei Fenghe ont visité neuf des dix pays membres de l’ASEAN, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est : en l’occurrence, les Philippines, la Malaisie, la Thaïlande, Singapour, la Birmanie, l’Indonésie, le Laos, Brunei et le Cambodge, à l’exception notable du Vietnam. Une offensive de charme destinée à contrer l’influence des États-Unis dans cette région cruciale pour Pékin.
Lors de son séjour à Kuala Lumpur mardi 13 octobre, le chef de la diplomatie chinoise en a profité pour dénoncer la réunion le 6 octobre à Tokyo du « Quad » (États-Unis, Japon, Australie, Inde), estimant que la volonté de Washington de créer par le biais de ce forum un « nouvel OTAN » en Asie-Pacifique représentait « un énorme risque sécuritaire » pour la région.
« L’objectif du Quad est de claironner la mentalité dépassée de Guerre froide dans le but de pousser à la confrontation entre les différentes groupes et blocs et de relancer la compétition, avec comme but de maintenir le système de domination et d’hégémonie des États-Unis », a ajouté Wang Yi. Des propos particulièrement virulents dans la bouche du premier diplomate de Chine.
De fait, l’ambiance quasi générale en Asie du Sud-Est est à l’inquiétude croissante à l’égard de la politique menée par Pékin dans la région, avec en filigrane la présence militaire chinoise en mer de Chine du Sud qui suscite des frictions à répétition avec les pays riverains, dont surtout le Vietnam, les Philippines et l’Indonésie.

Ventes d’armes japonaises au Vietnam

Les États-Unis n’ont pas été en reste. Le mois dernier, Washington a lancé un « partenariat » avec cinq pays riverains du Mékong (Cambodge, Laos, Birmanie et Thaïlande), dans l’espoir d’éloigner ces États de la zone d’influence chinoise. À la mi-septembre, lors d’une rencontre avec les ministres des Affaires étrangères de ces cinq nations, le secrétaire d’État adjoint américain Stephen Biegun a saisi cette occasion pour accuser la Chine et les onze barrages qu’elle a construits d’être responsables de la sécheresse qui affecte ce fleuve de 4 350 kilomètres.
De son côté, le Premier ministre japonais Yoshihide Suga a achevé lundi 19 octobre une visite officielle au Vietnam lors de laquelle lui et le chef du gouvernement vietnamien, Nguyen Xuan Phuc, sont tombés d’accord pour renforcer la coopération militaire entre Tokyo et Hanoï dans la région, en particulier en mer de Chine du Sud où transite le tiers du commerce maritime mondial. Une coopération nouvelle qui représente à leurs yeux une « étape majeure dans le domaine de la sécurité ». Tokyo est tombé d’accord avec Hanoï pour lui livrer du matériel et des technologies militaires sophistiqués, dont des avions patrouilleurs et des radars.
Sans nommer explicitement la Chine, Yoshihide Suga a critiqué les activités en mer de Chine du Sud « qui vont à l’encontre de l’État de droit ». « Il est important que toutes les nations concernées travaillent en vue d’une solution au conflit en mer de Chine du Sud sans recourir à la force et à la coercition », a-t-il déclaré.
La prochaine étape du Premier ministre japonais cette semaine sera l’Indonésie. Une tournée, la première de Yoshihide Suga depuis son élection à la tête du gouvernement japonais le 16 septembre, qui semble dénoter la volonté de l’archipel nippon de faire pièce à l’influence chinoise en Asie-Pacifique.

Image de la Chine au plus bas en Occident

Le même jour, ce lundi 19 octobre, le ministre japonais de la Défense Nobuo Kishi et son homologue australien Linda Reynolds sont convenus eux aussi de renforcer la coopération militaire entre leurs deux pays dans cette même zone de 3,5 millions de km2 sur laquelle Pékin revendique sa souveraineté.
Enfin, les États-Unis, le Japon et l’Australie ont mené lundi aussi des exercices navals conjoints en mer de Chine du Sud, les cinquièmes cette année, selon la 7ème flotte américaine, manœuvres qui ont toutes pour but d’affirmer la « liberté de navigation » dans cette zone convoitée.
Dernière pièce de ce puzzle diplomatique, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et le secrétaire à la Défense Mark Esper se rendent à New Delhi lundi et mardi prochains pour des entretiens avec leurs homologues indiens, respectivement Subrahmanyam Jaishankar et Rajnath Singh. Ils doivent signer un accord de coopération militaire prévoyant la fourniture à l’Inde de matériels militaires sophistiqués et le partage de renseignements militaires. Confrontée à des tensions frontalières avec la Chine qui ont fait au moins vingt morts côté indien et un nombre indéterminé de victimes côté chinois depuis juin dernier, New Delhi semble désormais avoir choisi son camp.
Cette agitation diplomatique intervient alors que l’image de la Chine dans les pays occidentaux continue de sombrer, au plus bas depuis plus de dix ans, selon les résultats de l’institut américain Pew Research Center. C’est ainsi que les opinions défavorables sur la Chine ont atteint cette année 81 % en Australie (+24 points comparé à 2019), 74 % au Royaume-Uni (+19 points), 73 % aux États-Unis (+13 points) et même 86 % au Japon. La proportion est de 70 % en France, selon ce sondage réalisé du 10 juin au 3 août 2020 auprès de 14 276 adultes dans quatorze pays. Pour ne rien arranger, une proportion médiane de 78 % des personnes interrogées dans ces quatorze pays n’ont « pas beaucoup » ou « pas du tout » confiance en le numéro un chinois Xi Jinping.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).