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Chine : bientôt la fin pour Huawei ?

Le géant chinois du numérique Huawei en mauvaise posture. (Source : Indianwire)
Le géant chinois du numérique Huawei en mauvaise posture. (Source : Indianwire)
Touché de plein fouet par les sanctions américaines, le géant chinois des télécommunications a avoué récemment qu’il ne serait bientôt plus en mesure d’équiper ses smartphones en semi-conducteurs. Tandis que l’approvisionnement de Huawei de ces puces fabriquées sous licence américaine sera interdit à compter du 15 septembre, les stocks s’épuisent et la direction de Huawei a lancé un cri d’alarme.
« Nous sommes dans une situation difficile. Les smartphones de Huawei n’ont pas d’approvisionnements en puces, a expliqué Richard Yu Chengdong, le directeur général du groupe, le 7 août. Cette année sera peut-être la dernière pour les puces Kirin de Huawei. » Une déclaration éloquente alors que Huawei vient tout juste de coiffer au poteau le Sud-Coréen Samsung pour devenir le premier fabriquant au monde de smartphones.
Rappelons que la commercialisation des téléphones portables représente l’essentiel du chiffre d’affaire de Huawei qui s’est élevé à 36,5 milliards de dollars au premier semestre 2020, loin devant les équipements de télécommunications, dont ceux utilisés par les réseaux de la 5G. « Huawei va, selon toute vraisemblance, perdre beaucoup de ses ventes de smartphones », estime Greg Austin, chercheur à l’Institut d’études stratégiques de Singapour, cité le 10 août par le quotidien hongkongais South China Morning Post.
La puce Kirin 900, élaborée à partir de semi-conducteurs fabriqués sous licence américaine, représente 36 % du total de la production de smartphones Huawei. Or, selon Richard Yu, Huawei ne sera bientôt plus en mesure de les fabriquer. Le nouveau smartphone Mate 40 de la firme chinoise, qui doit être commercialisé à partir de septembre, pourrait dès lors être le dernier équipé de la fameuse puce Kirin. En 2018, la Chine a importé pour 310 milliards de dollars de semi-conducteurs, soit 61 % de la consommation mondiale. Les États-Unis, l’Europe, le Japon, la Corée du Sud et Taïwan (dont le fabriquant Taiwan Semiconductor Manufacturing Co, TSMC, est l’un des principaux fournisseurs de Huawei) vont également souffrir des sanctions américaines.
Tandis que la Chine est en passe de prendre la tête de la course qu’elle livre aux États-Unis dans de nombreux domaines des hautes technologies telles que la robotique, le train à grande vitesse, le nucléaire civil ou les véhicules électriques, elle est encore à la traîne s’agissant des semi-conducteurs. Là où les fabricants américains produisent aujourd’hui des puces de 7 nanomètres, l’industrie chinoise n’est capable de produire que des semi-conducteurs de 25 nanomètres, une différence cruciale.

Licence Android perdue

Autre mauvaise nouvelle pour Huawei, le fabricant chinois a, selon le Washington Post, perdu sa licence Android temporaire que lui avait accordée les États-Unis pour permettre aux entreprises américaines et aux régions qui utilisent des antennes Huawei de trouver des alternatives. Cité par le quotidien américain, le secrétaire au Commerce Wilbur Ross estime que « Huawei et ses filiales ont accentué leurs efforts pour obtenir des semi-conducteurs de pointe développés ou produits à partir de logiciels et de technologies américaines afin d’atteindre les objectifs politiques du Parti communistes chinois ». Or, privé de sa licence Android, Huawei ne sera plus en mesure de commercialiser ses smartphones équipés des Google Mobile Services.
L’étau se resserre. Près d’un an après la mise en place de l’embargo américain contre Huawei, le géant chinois, considéré par l’administration américaine comme une menace pour la sécurité nationale, paraît plus que jamais mal en point. Le 17 août, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo déclarait encore que Huawei était « un bras armé de la surveillance du Parti communiste chinois », tandis que le même jour, l’administration américaine annonçait avoir étendu ses sanctions à 38 des filiales de Huawei.

Stocks de semi-conducteurs

Enfin, conséquence ou non des pressions américaines, après les États-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et, selon toute vraisemblance bientôt la France, c’est au tour de l’Inde d’avoir, selon le Financial Times, dit discrètement non cette semaine à Huawei pour la mise en place de la 5G, New Delhi invoquant elle aussi des impératifs de sécurité nationale.
De là à prédire la mort prochaine de Huawei, il y a encore un pas qu’il ne faudrait peut-être pas franchir. Huawei aurait, ces derniers mois, constitué en toute hâte d’énormes stocks de semi-conducteurs qui lui permettraient de « tenir » encore plusieurs mois. Pékin espère qu’une éventuelle victoire du candidat démocrate Joe Biden le 3 novembre vienne sonner le signal d’un changement de politique aux États-Unis à l’égard de la Chine.
D’ici là, la Chine tente désespérément d’allumer des contre-feux. Le Conseiller d’État et ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi entamait ce mardi 25 août une tournée dans cinq capitales européennes pour, notamment, plaider la cause de la Chine sur le dossier Huawei et celui ultra-sensible de la 5G. Il rencontrera Emmanuel Macron, de même que le Premier ministre néerlandais Mark Rutte. Lors de ce qui est sa première tournée à l’étranger depuis le début de la pandémie de Covid-19, il se rendra également en Italie, en Norvège et en Allemagne.
À noter que Wang Yi évitera soigneusement les capitales des pays européens où s’est rendu Mike Pompeo le mois dernier, soit Vienne, Londres, Prague, Copenhague, Varsovie et Ljubljana, dans le but affiché de persuader l’Europe d’adopter une posture plus dure à l’égard du Parti communiste chinois.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).