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Tibet : quand l'administration Trump soutient la cause du Dalaï-lama

"J'ai 85 ans et suis physiquement en excellente santé. Je le ressens car mon esprit est en paix", déclarait le Dalaï-lama, qui a eu 85 ans le 6 juillet 2020. (Source : Al-Jazeera)
"J'ai 85 ans et suis physiquement en excellente santé. Je le ressens car mon esprit est en paix", déclarait le Dalaï-lama, qui a eu 85 ans le 6 juillet 2020. (Source : Al-Jazeera)
Certes, c’était moins par empathie pour la cause tibétaine ou admiration pour le Dalaï-Lama que par souci de peser sur les autorités chinoises. Le 7 juillet dernier, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a affirmé le soutien de Washington pour une « autonomie significative des Tibétains », ajoutant une aide d’un million d’euros au gouvernement en exil à Dharamsala.
Le 6 juillet dernier, voilà déjà une semaine, le Dalaï-lama, le « leader spirituel le plus respecté de la planète » et ancien prix Nobel de la paix en 1989, célébrait – un bien grand mot en réalité – dans un anonymat tout à son honneur son 85ème printemps. Largement passé inaperçu, peu ou prou relayé dans les médias étrangers, l’événement n’a guère fait la Une. Ni attiré trop de lumière sur celui qui, voilà bientôt une décennie, décida de se consacrer essentiellement à des fonctions spirituelles et culturelles, délaissant les affaires politiques et leurs méandres sans fin, confiées aux bons soins d’un Premier ministre tibétain en exil, Lobsang Sangay. « J’ai 85 ans et suis physiquement en excellente santé. Je le ressens car mon esprit est en paix », confiait au premier jour de l’été le 14ème Dalaï-lama, six décennies après avoir dû quitter son Tibet natal et trouver refuge, asile et estime en terre indienne, sur les contreforts de l’Himalaya, à Dharamsala où l’Administration centrale du Tibet demeure à ce jour installée, préservée, protégée.
Si cette dernière a pour l’occasion programmé une « année de la gratitude » en son honneur qui s’étire d’événements virtuels en célébrations digitales depuis le 1er juillet jusqu’au 30 juin 2021, on peut en forçant un brin le trait considérer que le véritable cadeau d’anniversaire de Sa Sainteté est à mettre au crédit – une fois n’est pas coutume en ces temps où la diplomatie et les bonnes manières sont denrées rares à la Maison Blanche – de l’administration Trump. Comme quoi, au Tibet comme ailleurs en Asie, il ne faut jamais complètement désespérer.
Le 7 juillet, c’est le diplomate en chef du très atypique 45ème président des États-Unis qui s’est chargé – moins par empathie pour la cause tibétaine ou admiration pour le Dalaï-Lama que par souci de peser sur les autorités chinoises – de replacer, furtivement hélas, le Tibet sur la place publique internationale : « Les États-Unis soutiennent une autonomie significative pour les Tibétains, le respect de leurs droits humains fondamentaux et inaliénables, et la préservation de leur identité religieuse, culturelle et linguistique unique. » Cette déclaration du Secrétaire d’État s’est accompagnée de la décision du Département d’État d’interdire l’accès au territoire américain aux autorités chinoises dont il a été constaté qu’elles avaient restreint l’accès des zones tibétaines aux journalistes, aux touristes, aux diplomates ou à d’autres responsables américains. Une dernière sanction administrative de l’administration Trump à l’adresse du gouvernement chinois, en écho visiblement de la récente politique répressive de Pékin contre les manifestants pro-démocratie à Hong Kong.

Aide financière américaine au gouvernement tibétain en exil

Le 12 juillet, une poignée de jours plus tard, le Times of India révélait que pour la toute première fois, l’Agence américaine pour le développement international (USAID) accordait une subvention d’un million de dollars à l’administration centrale tibétaine – fondée par le Dalaï-lama en avril 1959 à son arrivée sur le sol indien (Himachal Pradesh) – afin de « renforcer la résilience financière et culturelle de la population tibétaine ». Une modeste mais hautement symbolique manne financière qui apportera son écot à l’œuvre centrale contemporaine aujourd’hui portée par l’ancien prix Nobel – « ma priorité à présent est la préservation de la culture tibétaine », déclarait le Dalaï-lama en 2015. Au contentement que l’on devine de Pékin, prompte comme il se doit à réagir dès lors que la sensible thématique tibétaine reprend quelque dimension internationale. Par la voix du porte-parole de son ministère des Affaires étrangères, la Chine faisait savoir qu’elles répondrait en appliquant des mesures similaires aux ressortissants américains « impliqués dans des comportements flagrants liés aux questions tibétaines […]. Nous demandons aux États-Unis de cesser de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Chine. »
IL faut dire que ce souhait a été entendu de longue date dans nombre de capitales européennes. Là, les visites ces dernières années du chef spirituel tibétain se font rares pour dire le moins, épurées quand elles se déroulent de toute dimension officielle, à l’instar de son dernier séjour dans l’Hexagone en 2016, qualifié alors de stricte « visite pastorale ». Deux ans plus tard, l’actuel président de la République française rejetait tout projet de rencontre avec l’iconique personnage : « Si je le rencontre, ça déclenchera une crise avec la Chine, faisait valoir Emmanuel Macron en 2018. Il y a deux questions à se poser face à cette situation : est-ce que ça aide la situation du Dalaï-lama et est-ce que c’est bon pour mon pays ? »
Un propos d’une grande tristesse qui avait néanmoins le mérite de la clarté, d’une certaine franchise. Mais cela ne saurait tout pardonner en quelques mots. Fort heureusement, en cet été 2020 malmené par les crises diverses et variées, il est des gouvernements asiatiques à souhaiter la venue de ce personnage au sourire permanent, à l’instar de Taïwan où « le Dalaï-Lama est le bienvenu pour partager les enseignements du bouddhisme », affirmait le ministère des Affaires étrangères à Taipei le 12 juillet dernier.
En Europe, on ne saurait en revanche parler d’engouement pour un tel projet – pour demeurer poli. Est-il encore simplement possible de prendre le risque de froisser la susceptibilité pékinoise ? Au crépuscule de sa longue et paisible existence, celui qui en 2008 accusait Pékin de mener un « génocide culturel » contre le peuple tibétain mérite-t-il pareil dédain, pareille sanction ? Rien n’est moins sûr.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.