Politique
Livres d'Asie du Sud

Essai sur l'Inde : "Le RSS vu de l'intérieur" ou la matrice du nationalisme hindou

Le RS compte six millions de membres et quelque 84 000 sections, dont 57 000 se réunissent quotidiennement pour des exercices physiques et spirituels. (Source : Newsgram)
Le RS compte six millions de membres et quelque 84 000 sections, dont 57 000 se réunissent quotidiennement pour des exercices physiques et spirituels. (Source : Newsgram)
Même s’il est trop louangeur, l’essai de Walter Andersen et Shridhar Damle offre une plongée rare dans l’organisation matricielle de la famille nationaliste hindoue qui a formé Narendra Modi, l’actuel Premier ministre de l’Inde.
Avec près de six millions de membres et quelque 84 000 shakas (sections) dont 57 000 se réunissent quotidiennement pour des exercices physiques et spirituels, le RSS (Rastriya Svayamsevaka Sangh, Organisation nationale des volontaires) est sans nul doute l’une des formations comptant le plus grand nombre de militants de la planète. 6 000 pracharaks (permanents) sont à sa disposition ou envoyés pour diriger les 36 organisations affiliées au RSS, parmi lesquelles le BJP, parti au pouvoir en Inde depuis 2014 sous la houlette de Narendra Modi. L’actuel Premier ministre indien a lui-même rejoint le RSS à l’âge de huit ans.
C’est à cette organisation militaire, créée en 1925 sur le modèle des milices fascistes mussoliniennes par Hedgewar afin de muscler les hindous, au propre et au figuré, que Walter Andersen et Shridhar Damle consacrent un pavé de plus de 400 pages, plus de trente ans après leur premier opus consacré au même sujet The Brotherhood in Saffron : The RSS and Hindu Revivalism (1987). Autant dire que les auteurs connaissent parfaitement leur sujet qui, à l’évidence leur inspire une admiration fort peu critique. C’est la force et la faiblesse de cet essai qui se présente comme un ouvrage de nature universitaire, ce qu’il n’est pas. On aurait tort, cependant, de le rejeter au motif qu’il est trop louangeur pour l’objet de son étude : il contient une mine d’informations pour qui se donne la peine de faire le tri.
C’est que, de par son histoire, le RSS n’affectionne guère la publicité. Trois fois interdit, en 1948-1949, après l’assassinat de Gandhi commis par un ancien membre du RSS, durant l’état d’urgence en 1975-1977 et après la destruction de la mosquée Babri à Ayodhya (décembre 1992-juin 1993), l’organisation a longtemps préféré travailler à ses objectifs dans une relative discrétion. Or, la proximité des auteurs avec l’objet de leur étude leur ouvre des portes qui resteraient fermées à d’autre et ce livre fourmille de témoignages de première main de hauts dirigeants du RSS rencontrés depuis plus de trois décennies.

Hindouïsme œcuménique

Commençons par les insuffisances de l’ouvrage. Il est inexplicable qu’un livre de cette taille n’évoque qu’indirectement le Pakistan alors que l’un des buts avoués des nationalistes hindous est la reconquête de la partie du Cachemire administrée par Islamabad et que de nombreux sanghis (les militants dans la mouvance du RSS) se définissent en opposition à tout ce que représente le Pakistan. Par ailleurs, la volonté de donner une image modérée du RSS conduit les auteurs à mettre l’accent sur la volonté relativement récente de cette organisation d’inclure les musulmans, notamment à travers sa filiale destinée à les recruter : le Muslim Rashtriya Manch auquel un chapitre entier est consacré. Andersen et Damle reconnaissent que la tentative ne rencontre pas un franc succès, mais ne s’étendent guère sur l’hostilité obsessionnelle des militants du RSS à l’encontre des musulmans, ainsi d’ailleurs que des chrétiens.
Le chapitre consacré à l’hindutva est tout aussi étonnant. Ce concept, l’hindouïté, forgé par Savarkar dans son opuscule éponyme paru en 1923 est l’armature doctrinale du RSS et des nationalistes hindous en général. Il repose sur trois piliers : l’attachement à la terre des ancêtres, le lien du sang hérité de ces derniers qui définit l’appartenance à la « race hindoue » et l’appartenance revendiquée à la culture et la civilisation hindoues. Autrement dit, chrétiens et musulmans en sont exclus, du fait du troisième de ces critères. Mais les auteurs soulignent une évolution doctrinale du RSS depuis la parution en 1965 d’Humanisme intégral, l’ouvrage de Deendayal Upadhyaya qui accepte ces derniers dès lors qu’ils admettent que la culture dominante de l’Inde est hindoue.
Andersen et Damle le soulignent à juste titre : la définition de l’hindouisme ne faisant pas l’unanimité, une interprétation inclusive est tout aussi acceptable qu’une approche strictement religieuse. C’est le point de vue énoncé par l’actuel chef de l’organisation Mohan Bhagwat, sarsangchalak (chef suprême) du RSS depuis 2009. Pour lui, tous ceux qui vivent en Inde, sur le sol de Bharat, sont hindous, quelle que soit leur religion, dès lors qu’ils sont loyaux à la nation. Ce point de vue œcuménique, admettent les auteurs, ne passe pas forcément très bien parmi les militants de base du RSS. On s’étonnera aussi de lire sous leur plume que Yogi Adityanath, le moine extrémiste promu à la tête de l’Uttar Pradesh par Narendra Modi en 2017, est présenté comme un partisan du développement économique et adepte d’une « soft hindutva » !

Contradictions au sein de la famille

Pourtant, plusieurs passages du livre apportent une indiscutable compréhension du fonctionnement interne du RSS et de l’image qu’il entend projeter à l’extérieur. Le livre lui-même remplit d’ailleurs cette dernière fonction, compte tenu des préjugés très favorables des auteurs. Dans les annexes, l’organigramme et les statuts du RSS sont d’utiles sources documentaires, ainsi que la liste des 36 organisations qui lui sont affiliées.
C’est sur ce dernier point que l’apport de cette étude est le plus significatif : en multipliant les organisations spécialisées, le RSS a permis à son idéologie d’irriguer des secteurs de plus en plus larges de la société indienne sans pour autant prendre la responsabilité directe d’intervenir dans tous ces champs d’action. Mais il a, de ce fait, également multiplié les sujets d’opposition et de contradictions au sein de la Sangh Parivar (la « famille des organisations »), comme on appelle cette galaxie. C’est ainsi que le syndicat affilié, le Bharatiya Mazdoor Sangh, créé pour combattre l’influence des communistes dans le mouvement syndical, s’est occasionnellement retrouvé en alliance avec ces derniers contre des politiques mises en œuvre par le BJP favorisant les industriels. Il en va de même de l’organisation fédérant les paysans (Bharatiya Kisan Sangh) qui a parfois combattu les décisions prises par le gouvernement BJP. Enfin, les organisations qui se vouent à la défense de l’hindouisme en tant que religion, la Vishva Hindu Parishad (VHP) et son organisation de jeunesse le Bajrang Dal n’acceptent aucun compromis sur leurs principes là où, tant le BJP que le RSS, tentent de faire preuve de pragmatisme. Et avec la croissance des effectifs du BJP et des organisations affiliées, les contradictions ne peuvent que se multiplier.
Andersen et Damle vont jusqu’à comparer la Sangh Parivar avec le Parti du Congrès immédiatement après l’indépendance qui fédérait une gauche, un centre, et une droite, même si, dans le cas du RSS, il s’agirait plutôt d’un centre, d’une droite, et d’une extrême droite. Le RSS se concentrant sur les objectifs à long terme, à savoir l’unification des Indiens au sein d’une culture hindoue, n’a pas de responsabilité directe dans les décisions des organisations affiliées et peut donc jouer un rôle de conciliateur en cherchant le compromis, à défaut du consensus. Le fait que sur 6 000 pracharaks – le mot sonne comme « apparatchiks », et c’est bien ce qu’ils sont ! -, la grande majorité, hormis 2 500 d’entre eux, soit déléguée à la direction de ces différentes organisations lui donne en fait une influence et un rôle bien plus directs que ce que le RSS est prêt à admettre publiquement.
Pour l’heure, l’Inde est dirigée par d’anciens responsables du RSS, lequel se développe continûment au sein de la société indienne avec l’appui du gouvernement. cet état de fait ne permet pas d’ignorer son fonctionnement et son rôle. Le livre d’Andersen et Damle, en dépit de ses lacunes et de son évidente partialité, y contribue.
Par Olivier Da Lage

À lire

Walter K. Andersen et Shridhar D. Damle, The RSS : A View to the Inside, Penguin India, 2018, 405 p.

Couverture de l'essai "The RSS, a view to the inside" par Walter K. Andersen et Shridhar D. Damle, Penguin India, 2018. (Crédit : DR)
Couverture de l'essai "The RSS, a view to the inside" par Walter K. Andersen et Shridhar D. Damle, Penguin India, 2018. (Crédit : DR)

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Ancien rédacteur en chef du week-end à Radio France Internationale (RFI), Olivier Da Lage est chercheur-associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Il a publié plusieurs livres et de nombreux articles consacrés au Moyen-Orient et à la Péninsule arabique, mais aussi à l'Inde, où il se rend chaque année depuis plusieurs décennies. Parmi eux, "L'Inde, un géant fragile" (Eyrolles, 2022), "Bombay" (BiblioMonde, 2017), "L'Inde, désir de puissance" (Armand Colin, 2017) et "Aujourd'hui, l'Inde" (en collaboration avec Tirthankar Chanda), paru chez Casterman en 2012. Il est l'auteur d'un roman, "Le Rickshaw de Mr Singh", paru en 2019 (AFNIL).