Analyse
Podcast : Modi réélu en Inde, quels défis économiques ?
Selon des sondages sortie des urnes en Inde, la coalition de Narendra Modi remporterait la majorité au parlement. Élu pour la première fois en 2014, le Premier ministre, chef du parti nationaliste hindou, le BJP, devrait donc rester au pouvoir pour un second mandat, si la tendance se confirme ce jeudi 23 mai, jour prévu pour l’annonce des résultats définitifs. Quel est son bilan économique ? Quels sont les défis qui l’attendent ? Les explications d’Isabelle Joumard, économiste sénior spécialiste de l’Inde à l’OCDE. Elle intervenait à la conférence coorganisée le 8 avril dernier par Asialyst et le Groupe d’études géopolitiques (GEG) à l’École normale supérieure de Paris.
Retrouvez tous nos articles sur les élections en Inde et sur la vie politique et économique du pays dans notre dossier spécial « Où va l’Inde de Narendra Modi ».
Avant d’aborder la question du bilan économique du gouvernement de Narendra Modi, revenons sur la situation économique qui prévalait à sa prise de fonction, c’est-à-dire au printemps 2014. La principale source de préoccupation est alors l’inflation, qui galope à un rythme annuel proche des 10 %, ce qui est dommageable pour les catégories populaires. En outre, la balance des paiements est en déficit, ce qui a conduit à une crise à l’été 2013 avec des pressions fortes sur la roupie, l’Inde étant alors classée parmi les « cinq fragiles » (avec l’Afrique du Sud, l’Indonésie, le Brésil et la Turquie). Enfin, les finances publiques sont sous pression avec des problèmes de déficit et de dette, ce qui amène des problèmes de financement de l’économie, renforcés par le fait que les banques sont empêtrées dans des créances douteuses.
Avec le gouvernement du BJP, l’inflation est maîtrisée, puisqu’elle s’établit aux alentours de 2 % à 4 %. Le déficit de la balance des paiements se réduit, bien qu’il varie en fonction des fluctuations du prix du baril de brut. La croissance économique se maintient,elle, au-delà de 7 % durant le quinquennat de Narendra Modi, légèrement plus élevée que les années précédentes, se permettant même de dépasser celle de la Chine et des autres pays du G20.
Ces bonnes performances économiques sont dues en partie à des circonstances extérieures, notamment la baisse du prix du pétrole, alors que l’Inde est l’un des principaux importateurs mondiaux. Cela apaise les finances publiques et génère un gain de pouvoir d’achat pour les ménages. Par ailleurs, la période commençant en 2014 signe un regain d’activité économique dans les pays de l’OCDE, ce qui ouvre des marchés d’exportations à l’Inde.
Réformes structurelles
Au-delà des circonstances extérieures, il convient toutefois de reconnaître que le gouvernement de Narendra Modi a su mettre en œuvre des réformes structurelles facilitant le développement économique. On peut ainsi citer le nouveau cadre de ciblage de l’inflation, la mise en place d’une taxe unifiée sur la valeur ajoutée (goods and services tax, GST) ou encore l’adoption d’une loi sur les faillites. D’autres réformes sont en cours, notamment la facilitation du cadre bureaucratique pour les affaires (ease of doing business) ou le souhait de réformer le Code du travail.
Enfin, un dernier point important concerne les investissements dans les infrastructures, qu’il s’agisse des routes ou de l’électricité, une politique qui fait partie du projet plus large de relance de l’investissement productif au travers du programme « Make in India ». L’accélération des programmes d’infrastructure a permis d’enrayer la baisse du taux d’investissement qui avait eu lieu durant le quinquennat précédent, sans pour autant le faire remonter au niveau d’autres économies émergentes telles que la Chine ou l’Indonésie.
Symboliquement, ces programmes de relance ont permis au gouvernement d’annoncer l’électrification complète de tous les villages du pays en 2018, ce qui est crucial tant pour les habitants que pour l’activité économique. Cela a été rendu possible par une forte hausse des capacités de génération électrique, entamée dès 2010. Pour autant, moins de la moitié de la population dispose d’un accès à l’électricité plus de 12 heures par jour.
Forte hausse du chômage
Sur le front de l’emploi, les chiffres et les résultats sont sujets à polémique. Les résultats de la dernière enquête auprès des ménages auraient dû être publiés fin 2018. Le gouvernement s’est opposé à leur publication malgré leur validation par la Commission statistique. Cependant, des fuites révélées par la presse font état d’une forte hausse du chômage, à plus de 6 %, avec une aggravation récente du phénomène, tandis que le taux d’emploi recule à moins de 50 % de la population active. Ce manque de données statistiques touche également la question du revenu des ménages et des inégalités. Des mesures alternatives suggèrent néanmoins que les inégalités sont fortes et ne reculent pas. Ainsi, selon les données du Crédit Suisse, les 1 % les plus riches disposent de la moitié de la richesse nationale, ce qui est le taux le plus élevé parmi les grands pays après la Russie.
Les grands enjeux à venir concernent les questions sociales. Les dépenses de santé et d’éducation sont très faibles en comparaison des autres pays émergents. Ces préoccupations sociales amènent le gouvernement à promouvoir l’essor d’un « État-providence » à l’indienne, avec en particulier la création d’une assurance maladie, l’instauration d’un revenu minimum pour les agriculteurs et la mise en place d’un système de retraite pour les travailleurs du secteur informel. Ce sont donc là les principaux chantiers économiques qui attendent le nouveau gouvernement de New Delhi.
Par Isabelle Joumard
avec Guillaume Gandelin (retranscription)
avec Guillaume Gandelin (retranscription)
Voir l’intervention d’Isabelle Joumard lors de la Conférence Asialyst/GEG à l’ENS le 8 avril 2019 :
Pour voir tous les podcasts de cette conférence sur les enjeux des élections en Inde, c’est ici.
Retrouvez ici tous nos podcasts.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don