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Terrorisme au Cachemire : pourquoi la Chine bloque des sanctions contre un islamiste pakistanais

Le Pakistanais Masood Azhar, fondateur du mouvement terroriste Jaish-e-Mohammed, qui a revendiqué l'attenat du 14 février au Cachemire indien. (Source : The New Indian Express)
Le Pakistanais Masood Azhar, fondateur du mouvement terroriste Jaish-e-Mohammed, qui a revendiqué l'attenat du 14 février au Cachemire indien. (Source : The New Indian Express)
La cohérence avant tout. S’il faut suspendre contre un terroriste pakistanais des sanctions que le Pakistan réprouve, la Chine opposera son veto. C’est ce qu’elle fait pour la quatrième fois cette semaine au Conseil de sécurité de l’ONU. Masood Azhar a beau être le fondateur de l’organisation islamiste responsable de l’attentat du 14 février au Cachemire indien. Pas question de céder pour Pékin. Dans son nouveau « Grand Jeu » dans le sous-continent indien, la Chine a misé sur le Pakistan et elle s’y tient. Les « Nouvelles Routes de la Soie » doivent relier Kashgar au Xinjiang au port pakistanais de Gwadar. Des dizaines de milliards de dollars ont été investis pour créer ce corridor.
*L’attentat contre le parlement indien à New Delhi le 13 décembre 2001 a fait 14 morts. Les attaques coordonnées perpétrées à Mumbai en novembre 2008, 162 victimes. Les attaques contre la base de l’Indian Air Force de Pathankot au Punjab, 14 morts. Celles visant le consulat indien de Mazar-e-Sharif en Afghanistan en janvier 2016. La même année, l’attaque contre la base de l’Indian Army à Uri, 23 tués au Jammu-et-Cachemire. **En prenant pour cible près de Pulwama un convoi de la Central Reserve Police Force circulant au Jammu-et-Cachemire, bilan : plus de 40 morts.
C’est la quatrième fois en une décennie. Ce mercredi 13 mars, le Conseil de sécurité s’est de nouveau opposé au placement de Masood Azhar sur la liste noire onusienne des « terroristes mondiaux ». Ce quinquagénaire est le fondateur du JeM ou Jaish-e-Mohammed, « l’Armée de Mahomet ». Il s’agit de l’organisation radicale impliquée le 14 février dans l’attentat le plus meurtrier** depuis trente ans contre les forces de sécurité indiennes au Jammu-et-Cachemire. Le JeM n’en est pas à sa première attaque retentissante* dans le sous-continent indien. Il figure depuis 2001 sur la liste onusienne des organisations terroristes. Mais l’un des membres permanents du Conseil de sécurité, la Chine, a considéré qu’il n’était pas encore opportun d’aller plus loin. Et d’imposer son véto au nez et à la barbe de ses pairs, dont la France, les États-Unis et le Royaume-Uni.
*Le dessein du JeM est d’oeuvrer par la violence et la terreur au rattachement de l’ensemble de l’ancienne principauté du Cachemire au profit du Pakistan.
Citoyen pakistanais, Masood Azhar dirige cette organisation terroriste notoirement proche d’Al-Qaïda, des Taliban afghans et des services de renseignements (ISI) pakistanais. Il est placé depuis une dizaine d’années sur la liste du Département du Trésor américain et en cela fait l’objet d’un régime de sanctions. Le 13 mars, l’Inde, cible principale des velléités terroristes du JeM et de l’agenda violent* de son fondateur, n’a pas masqué sa déception face à cette nouvelle fin de non-recevoir de son voisin chinois, s’émouvant que Pékin puisse une fois encore actionner son droit de véto au sein du Conseil de sécurité au profit d’une cause aussi difficile à justifier. Une tâche dont s’acquitta toutefois, sans vraiment convaincre, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères : la Chine avait besoin de plus de temps pour évaluer en profondeur l’opportunité de placer ou non Masood sur ladite liste. Un positionnement qui invita la presse indienne à quelques tournures de circonstances, à l’instar de l’intitulé éloquent d’une tribune du quotidien The Indian Express : « Le chef du Jaish (JeM) Masood Azhar profite de la Grande Muraille de Chine. » Tout aussi directe, la presse française s’empara également du sujet, à l’image du Figaro : « Attentat au Cachemire : Pékin protège Islamabad à l’ONU. »
En écho aux Indiens, les Américains n’ont pas caché non plus leur préoccupation. Le Département d’État a fait part de sa lassitude face à cette posture chinoise répétitive au Conseil de sécurité : « Les États-Unis et la Chine ont un intérêt commun à parvenir à la stabilité et à la paix dans la région. Ne pas désigner Azhar [sur la liste onusienne des « terroristes mondiaux »] irait à l’encontre de ce but. »
La manoeuvre dilatoire de la Chine se répète depuis 2009. Mais cette fois le contexte est particulier. Elle intervient alors même que le regard international se pose avec insistance ces dernières semaines sur l’épineuse question de la condition des droits de l’homme dans la province chinoise du Xinjiang, notamment vis-à-vis de la minorité ouïghoure. La 40ème session annuelle du Conseil des droits de l’homme de l’ONU a commencé le 25 février et dure jusqu’au 22 mars prochain. Au Xinjiang, jusqu’à 1 million d’habitants, majoritairement ouïghours, pourrait être détenus dans des camps d’internement, selon le Comité de l’ONU pour l’élimination de ladiscrimination raciale. Pékin, qui ne donne pas de chiffres, les décrit comme des « centres de formation professionnelle » destinés à combattre le séparatisme et l’islamisme.
*Le gouvernement français a décidé ce vendredi 15 mars de sanctionner à titre national Masood Azhar en gelant ses avoirs.
Si le cadre onusien new-yorkais du Conseil de sécurité a profité ces derniers jours et dans une certaine mesure à des personnages comme Massod Azhar et à des gouvernements comme le Pakistan et la Chine, il n’est en revanche pas écrit d’avance que son pendant genevois – le Conseil des droits de l’homme notamment – se révèle aussi propice à la sérénité de ces mêmes acteurs ces prochaines semaines. Le courroux et l’amertume de diverses capitales occidentales* et asiatiques influentes se muent en opposition structurée. Tout sauf un hasard.

A lire

Olivier Guillard, Que faire avec la Corée du Nord : subir, honnir ou punir ? Paris, Nuvis, 2019.

Couverture du livre d'Olivier Guillard : "Que faire avec la Corée du Nord : subir, honnir ou punir ?" Paris, Nuvis, 2019. (Copyright : Nuvis)
Couverture du livre d'Olivier Guillard : "Que faire avec la Corée du Nord : subir, honnir ou punir ?" Paris, Nuvis, 2019. (Copyright : Nuvis)

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.