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Documentaire : "La grande muraille du Japon", quand l'homme veut dompter la mer

Making of du documentaire de Marie Linton, "La grande muraille du Japon". (Crédit : Marie Linton)
Making of du documentaire de Marie Linton, "La grande muraille du Japon". (Crédit : Marie Linton)
Une gigantesque lame de béton, un peu plus longue chaque mois, tranche le littoral du Nord-Est japonais. Après le terrible tsunami de 2011, les autorités ont décidé d’ériger le long de leur côte une digue discontinue, qui s’étend sur plus de 400 km. Ce rempart, censé protéger les habitants de nouvelles vagues meurtrières, est le sujet du dernier documentaire de Marie Linton, La grande muraille du Japon, diffusé le 15 décembre sur Ushuaia TV. Après un précédent film consacré aux « revenants » de Fukushima, la journaliste s’interroge sur cette tentative de dompter la mer, un élément essentiel de l’histoire du pays. Avec une question en toile de fond : jusqu’où doit-on aller pour se protéger des catastrophes naturelles ?

Entretien

Journaliste et auteur-réalisatrice, Marie Linton a été correspondante au Japon pendant six ans (2011-2017). Formée à Sciences Po et au Centre de Formation des Journalistes (CFJ) à Paris, elle a couvert la catastrophe du 11 mars 2011 dès le premier jour, notamment pour France 24, La Croix et Sciences et Avenir où son article de huit pages sur les « réfugiés du nucléaire » a été récompensé du prix de la Fondation Varenne de la publication scientifique. Marie Linton a en outre réalisé les documentaires Retour en zone rouge en 2012 (Sciences et Vie TV), Des robots au cœur de l’enfer de Fukushima (RMC Découvertes) sur la question du démantèlement de la centrale. Outre son travail sur Fukushima, elle a réalisé un documentaire de 26 minutes sur Le village des poupées pour la télévision japonaise NHK World et un autre de 80 minutes pour RMC Découverte sur La chute du Japon impérial.

La grande muraille du Japon sera diffusé pour la première fois sur Ushauaia TV le samedi 15 décembre à 20h40, puis le vendredi 21 décembre à 6h35 et le mercredi 26 décembre à 11 heures.

La journaliste et auteur-réalisatrice Marie Linton. (Crédits : DR)
La journaliste et auteur-réalisatrice Marie Linton. (Crédits : DR)
L’idée de construire des digues n’est pas nouvelle au Japon. Qu’est-ce qui a changé depuis le tsunami de 2011?
Marie Linton : C’est l’ampleur des projets. On parle ici de la construction d’un ensemble de murs qui, d’ici 2021, fermeront chaque crique de la région de Tōhoku (au nord-est de l’île de Honshu). Dans la préfecture d’Iwate, la plus touchée par les tsunamis, les digues qui existaient déjà ont été allongées et surélevées. Dans celle de Miyagi, plus au Sud, de nouveaux murs ont été construits. Le gouvernement a fixé un standard de référence à 14,7 mètres mais les projets sont discutés ville par ville. Auparavant, les murs servaient surtout à se protéger contre les intempéries, les typhons par exemple. Désormais, l’objectif est d’affronter des tsunamis de faible intensité.
Regarder un extrait du documentaire « La grande muraille du Japon » par Marie Linton :

GRANDE-MURAILLE-JAPON-EXTRAIT from Guillaume Bression on Vimeo.

Avec quelle efficacité ?
Il n’y a aucune certitude en la matière et la plupart des chercheurs japonais que j’ai interrogés sont sceptiques. Ces barrages ne peuvent pas arrêter tous les tsunamis, même si on doit reconnaître une efficacité dans certains cas. Le seul mur de 15 m qui existait au Japon avant le tsunami de 2011 est celui du village de Fudai. Il a visiblement fonctionné. Le village n’a pas été submergé, mais il est situé très au Nord, loin de l’épicentre. Difficile d’en tirer des conclusions. Dans notre documentaire, nous évoquons également le brise-lame de Kamaishi (1950 m de long pour 63 m de profondeur), qui venait tout juste d’être construit, assez loin de la côte. Il paraît qu’il a retardé l’arrivée de la vague, même s’il n’a pas empêché la destruction de la ville. Mais plus généralement, ces murs posent d’autres problèmes en matière de prévention.
Lesquels ?
Ces digues ont un effet négatif sur le comportement des gens en cas de tsunami. Elles bloquent la vue sur la mer. Or on sait que l’observation de la mer est cruciale pour anticiper un tsunami. Celle-ci a par exemple tendance a se retirer rapidement, loin de la côte, dans les minutes qui précèdent la vague. Sans voir tout cela, les gens risquent de ne pas évacuer assez rapidement leur maison.
Dans le documentaire, vous donnez la parole aux habitants qui s’opposent à ces constructions. Mais on a le sentiment qu’elles sont, en général, bien acceptées par les populations locales…
Oui, rappelons qu’elles se font souvent après consultation des citoyens, ce qui montre leur accord. Mais la plupart des décisions ont été prises peu après après le tsunami de 2011, quand les populations étaient encore sous le choc. L’objectif était de se protéger à tout prix. Des villages ont tout de même pris des décisions inverses, comme celui d’Hakarama qui a décidé de maintenir sa digue à 6 m de hauteur, et de se reconstruire plus à l’intérieur des terres.
Selon vous, ces digues illustrent aussi le lien plus distant des habitants avec la mer…
Oui, c’est notamment la conséquence de l’urbanisation, des flux migratoires et du fait que les ports de pêche n’aient plus l’importance d’antan. Les villes sont de plus en plus peuplées par des gens qui connaissent peu la mer. Lors du tsunami de 2011, la ville de Rikuzentakata a connu un bilan humain très lourd (1844 morts ou disparus). Là-bas un centre-ville flambant neuf avait été construit près de la côte. Il était habité par des gens qui ne savaient pas vraiment observer les eaux, notamment après un séisme. Ces habitants sont les plus demandeurs de digues. À l’inverse, ces barrages coupent les pêcheurs de leur monde, de leurs ressources historiques. D’autre part, leurs bateaux sont amarrés au delà des digues. S’il y a un risque tsunami et qu’ils sont au port, ils doivent franchir des portes pour fuir. Or celles-ci se ferment automatiquement avant l’arrivée de la vague, ce qui pose des problèmes d’évacuation.
Regarder un autre extrait du documentaire « La grande muraille du Japon » par Marie Linton :

GRANDE-MURAILLE-JAPON-EXTRAIT-2 from Guillaume Bression on Vimeo.

Quelles sont les conséquences de ces digues sur les ressources marines ?
Je ne suis pas une experte du sujet. Je crois comprendre qu’il n y’a pas, pour le moment, d’effet observable. Mais comme partout, l’aquaculture doit se faire sur des lieux de convergence entre les rivières et la mer. Or ces digues bloquent les eaux venues des nappes phréatiques. Cela suscite des inquiétudes sur le long terme.
Vous évoquiez la relocalisation des villages vers l’intérieur des terres. N’est-ce pas la solution idéale ?
C’est une solution, mais elle soulève d’autres problèmes. Il s’agit d’une région où l’espace habitable est limité car les montagnes sont très proches de la mer. C’est d’ailleurs idéal pour fuir un tsunami. Mais pour relocaliser, les autorités arasent des montagnes, massacrent les paysages. À Rikuzentakata, une montagne est passée de 120 à 50 m de hauteur! Comme beaucoup d’habitants ont quitté la région ou sont morts, peut-être y a-t-il un moyen de trouver un juste milieu ? Les Japonais doivent se faire une raison : la population vieillit, surtout dans ces régions. A-t-on besoin de faire des projets aussi colossaux ?
Propos recueillis par Baptiste Fallevoz
Making of du documentaire de Marie Linton, "La grande muraille du Japon". (Crédit : Marie Linton)
Making of du documentaire de Marie Linton, "La grande muraille du Japon". (Crédit : Marie Linton)

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A propos de l'auteur
Producteur, journaliste, actuellement rédacteur en chef et chroniqueur à France 24. Auparavant basé en Chine, il a été directeur général adjoint d’ActuAsia, à Shanghai puis Pékin, de 2009 à 2016. Il collaboré avec de nombreux médias français et internationaux (France 24, Arte, Associated Press, Canal +, BFM TV ou Mediapart).