Politique
Tribune

 

Taïwan : "Appel à l’honnêteté intellectuelle face à l’arrogance chinoise"

La compagnie américaine United Airlines a été intimée par le gouvernement chinois de ne pas mentionner Taïwan comme un pays indépendant. (Source : Politico)
La compagnie américaine United Airlines a été intimée par le gouvernement chinois de ne pas mentionner Taïwan comme un pays indépendant. (Source : Politico)
Empêcher l’usage même du nom de Taïwan sur les sites web d’entreprises étrangères, telle est la politique de Pékin depuis le début de l’année. La direction chinoise de l’aviation civile a ainsi envoyé une lettre aux compagnies aériennes United Airlines et American Airlines, leur demandant de respecter la lutte de la Chine contre le « séparatisme ». Autrement dit, toute référence à Taïwan comme un pays indépendant doit être retirée immédiatement. Voilà un exemple parmi d’autres de l’attitude chinoise de plus en raide vis-à-vis de l’autre rive du détroit. L’Ambassadeur Zhang Ming-zhong, représentant de Taipei en France a voulu réagir. Nous publions sa tribune.
Au cours du premier semestre 2018, la Chine continentale s’est livrée à toutes sortes d’opérations d’intimidation à l’encontre de Taïwan, certaines directes, d’autres impliquant la communauté internationale. Le 4 janvier, la Chine a tout à coup décidé d’utiliser les couloirs aériens W121, W122, W123 ainsi que le couloir M503 du Sud vers le Nord dans le détroit de Taïwan, sans aucune concertation préalable entre les deux rives du détroit. Cela constitue une provocation à l’égard du statu quo existant et un danger pour la sécurité du transport aérien dans la région d’information de vol de Taipei.
Puis l’armée chinoise a effectué en avril 2018 ce qui a été le plus grand défilé naval de son histoire, avec la participation du porte-avions Liaoning en mer de Chine méridionale. La marine chinoise a terminé l’exercice naval au sud de Sanya, avant d’enchaîner sur un autre exercice dans le détroit de Taïwan le 18 avril : une manoeuvre d’intimidation jamais vue, qui constitue elle aussi un bouleversement du statu quo existant entre les deux rives.
Sous la pression de la Chine, Taïwan n’a pas été invité à assister à la 71ème Assemblée mondiale de la Santé (AMS) au mois de mai à Genève pour la deuxième année consécutive, alors que nous participions depuis de longues années aux réunions techniques, mécanismes et activités de l’OMS et de l’AMS en tant qu’observateur. Taïwan a contribué à améliorer les réseaux de prévention des maladies au niveau régional et mondial, et fait tout son possible pour aider les autres pays à relever les défis sanitaires pour réaliser conjointement l’objectif de l’OMS qui considère que la santé est un droit humain fondamental.
D’autre part, la Chine continentale a réussi, au mois de mai dernier, à détourner deux alliés diplomatiques de la République de Chine (Taïwan) en établissant des relations officielles avec la République dominicaine et le Burkina Faso, isolant encore un peu plus Taïwan sur la scène internationale.
Enfin, nous avons assisté un à tir groupé contre l’appellation de Taïwan sur les sites Internet d’entreprises internationales installées en Chine. Le 9 janvier 2018, le média officiel chinois Global Times a dénoncé le groupe hôtelier américain Marriott International pour avoir mentionné Taïwan, Hong Kong, Macao et le Tibet dans la liste des nationalités d’un questionnaire. Le 11 janvier, la page Weibo du site officiel Xinhuanet a dénoncé le fait que des marques internationales de produits de luxe comme Bulgari, Chanel ou Van Cleef & Arpels présentaient Taïwan comme un pays sur leur site Internet en chinois et en anglais. Le 12 janvier, le Global Times précisait que, outre le groupe Marriott, la société espagnole de prêt-à-porter Zara et la société américaine de matériel médical Medtronic désignaient Taïwan comme un pays. Marriott et Zara ont présenté leurs excuses publiques et corrigé leur site.
Le 13 janvier, la Direction chinoise de l’Aviation civile a diffusé un communiqué demandant à toutes les compagnies aériennes étrangères desservant la Chine de vérifier si Taïwan n’était pas désigné comme un pays ou une nationalité sur leur site Internet, application ou tout autre moyen de communication. Elle a demandé en outre à 24 compagnies aériennes de corriger leur site dans un délai imparti. Comme si cela ne suffisait pas, elle a envoyé le 25 avril 2018 un courrier à l’Association internationale du Transport aérien (IATA) obligeant toutes les compagnies membres à abaisser le statut de Taïwan sur leur site Internet. Le même jour, elle a écrit à 36 compagnies aériennes pour leur demander d’enlever toute désignation qui pourrait faire apparaître Taïwan comme indépendant ou séparé de la Chine, pour se conformer aux restrictions du principe de séparatisme.
Le Département d’Etat des États-Unis s’est opposé publiquement aux exigences de la Chine sur les sites Internet des entreprises américaines et a fait part de sa vive préoccupation auprès du gouvernement chinois. Le porte-parole de la Maison Blanche a quant à lui parlé d’une « absurdité orwellienne », en soulignant que la censure et la rectitude politiques chinoises imposées aux citoyens américains et au monde libre pourraient faire l’objet d’un boycott. Le gouvernement australien a déclaré de son côté que des entreprises privées ne devaient pas être manipulées par le gouvernement chinois.
Tout le monde sait bien que la République populaire de Chine n’a jamais administré Taïwan depuis sa création en 1949, et que Taïwan est la République de Chine, fondée en 1912, donc un pays différent qui a son propre passeport, sa propre monnaie, son drapeau, son hymne national et son gouvernement. Mais probablement tout le monde ne sait pas que les membres du Parti communiste chinois (PCC) s’élèvent à plus de 80 millions en Chine. C’est tellement facile de manipuler l’opinion publique en suivant les arrière-pensées politiques d’un régime autoritaire. L’attitude arrogante de la Chine populaire concernant Taïwan est une ingérence dans le droit des entreprises et du peuple des autres États, en-dehors du territoire chinois. Cet acte constitue aussi une barrière non-tarifaire au détriment du commerce mondial. Les pays démocratiques et leur gouvernement ne devraient pas rester sans réagir, faute de quoi la pression chinoise pourrait s’accentuer davantage et la Chine pourrait penser à tort que les gouvernements ne souhaitent pas protéger par la loi leurs entreprises et leurs citoyens.
Par S.E. l’Ambassadeur Zhang Ming-Zhong, Représentant de Taïwan en France

A savoir

Pour un point d’ensemble sur la situation politique de Taïwan, lire notre Mémo.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Né en 1960, diplômé de l’Université catholique Fu-Jen à Taïwan et ancien élève de l’IEP Paris, l’Ambassadeur ZHANG Ming-Zhong a fait sa carrière au sein du Ministère des Affaires étrangères, mais a aussi occupé deux postes respectivement à la Présidence et au Conseil national de Sécurité de la République de Chine (Taïwan). Il a notamment été Ambassadeur au Burkina Faso et Directeur général des Affaires européennes au Ministère à Taipei. C’est en juillet 2015 qu’il a pris ses fonctions en tant que Représentant de Taïwan en France.
[asl-front-abonnez-vous]