Economie
Analyse

A Séoul, l’espoir d’un retour rapide des touristes chinois

Des touristes chinois à Séoul en pleine séance de selfies le 6 mai 2016. (Crédits : Kim Jong Hyun / Anadolu Agency / via AFP)
Des touristes chinois à Séoul en pleine séance de selfies le 6 mai 2016. (Crédits : Kim Jong Hyun / Anadolu Agency / via AFP)
Ça va mieux, mais ce n’est pas encore tout à fait ça. Après quelques mois d’un boycott actif de la Corée du Sud, les touristes chinois semblent doucement en retrouver le chemin. Victime des représailles de Pékin suite au déploiement par Séoul du THAAD, le très controversé bouclier anti-missile américain, le secteur touristique coréen compte bien profiter d’un début d’embellie entre les deux capitales. La toute récente levée par la Chine de l’embargo sur les visas de groupes à destination de la Corée est un signe encourageant. Et pour que les affaires reprennent tout à fait, le secteur espère que la visite d’Etat du président Moon en Chine prévue à la mi-décembre permettra une normalisation complète des relations entre les deux pays.

Contexte

Lorsque l’ex-présidente conservatrice Park Geun-hye prend la décision de déployer la technologie américaine THAAD sur le territoire sud-coréen en juillet 2016, la Chine proteste immédiatement d’une atteinte à sa souveraineté militaire. THAAD, pour Terminal High Altitude Area Defense, est une technologie défensive qui recourt à un puissant radar capable d’identifier des menaces balistiques dans un rayon de 1000 kilomètres – et donc de « voir » très loin dans le territoire chinois. Séoul et Washington répondent que cette technologie conçue pour neutraliser en vol des missiles de courte et moyenne portée est purement défensive, et ne sert qu’à contrer la menace balistique de la Corée du Nord. En dépit de la colère chinoise, les premières batteries sont opérationnelles au sud de Séoul depuis mai dernier.

La destitution de Park en décembre 2016 et les élections présidentielles qui suivent ne changent pas fondamentalement la donne. Très critique de la décision de recourir au THAAD quand il était dans l’opposition, le progressiste Moon Jae-in est paradoxalement forcé d’accélérer son déploiement lorsqu’il arrive au pouvoir. La Corée du Nord enchaine tirs de missiles et essais nucléaires, et la guerre des mots entre Donald Trump et le régime de Pyongyang exacerbe la menace. Hostile au THAAD, partisane d’une solution de désescalade sur la péninsule coréenne, la Chine applique dans le même temps une pression maximale sur Séoul. Pékin organise plus ou moins ouvertement un virulent boycott des produits et entreprises sud-coréens sur le sol chinois, couplé à une injonction aux tour-opérateurs du pays d’annuler les voyages groupés vers la Corée du Sud. Mais désireux de faire retomber la tension sur la péninsule, Séoul et Pékin semblent aujourd’hui vouloir retrouver le chemin du dialogue.

Le froid est tombé tôt cette année sur Séoul, mais le vent glacial qui balaye les rues de Myeong-Dong ne décourage pas Jay. Plantée devant l’une des innombrables boutiques de cosmétiques de l’iconique quartier commerçant, la jeune fille rabat les clients vers l’intérieur en leur promettant échantillons gratuits et promotions. Le flux régulier des groupes de touristes chinois qui faisaient les beaux jours de la boutique pour laquelle Jay travaille s’est tari il y a quelques mois, mais la jeune fille reste optimiste. « J’ai lu sur un site d’actualité qu’ils vont bientôt revenir. J’ai vu quelques Chinois ce matin, mais je ne suis pas sûre qu’ils voyageaient en groupe. Il y a beaucoup de congés dans le mois qui vient et j’espère qu’on va en voir beaucoup. »
Les médias coréens bruissent de la nouvelle : la Chine semble détendre les conditions du boycott touristique de la Corée. Certaines autorités provinciales auraient tout récemment émis de nouvelles directives lors de contacts avec des agences des voyages locales. Toujours orales – Pékin n’a jamais reconnu de boycott officiel –, ces recommandations devraient à nouveau les autoriser à solliciter des visas de groupe auprès des consulats coréens. La mesure reste cependant locale, et semble pour l’instant uniquement concerner les tour-opérateurs de Pékin et de la province du Shandong.
Le rétablissement complet des offres commerciales devrait prendre quelques semaines. En attendant, Myeong-Dong se contente des touristes chinois qui voyagent à titre individuel. « J’ai entendu parler du boycott, bien sûr », confirme Zhang Ting, larges lunettes de designer posées sur le nez. Venue de Shanghai, la jeune femme s’intéresse à la mode coréenne. « Mais cela ne concerne que les groupes. Moi je suis venue seule. Je n’aurais pas aimé attendre tout ce temps car les tendances changent rapidement. »

Boycott virulent

Devant sa boutique de cosmétique, Jay semble au fait du grand théâtre de géopolitique qui secoue la région. « Les groupes de Chinois ont arrêté de venir quand les Américains ont mis le THAAD en Corée. Leur gouvernement voulait montrer qu’il n’était pas d’accord. Depuis, on ne voit plus que des groupes de Taïwan et de Hong Kong. » Une baisse de fréquentation que les statistiques confirment. L’organisme public coréen en charge du tourisme a calculé que le nombre de touristes chinois ayant visité la Corée entre mars et août derniers est tombé à 1,7 million, une chute abrupte de plus de 60% par rapport à la même période en 2016. Signe que le secteur est fortement dépendant de la fréquentation chinoise, les revenus générés par le tourisme sur la même période sont tombés de 25%, à 8,9 milliards de dollars environ.
S’il n’est pas officiel, le boycott a été vivement encouragé par les médias officiels chinois qui ont plaidé la cause patriotique pour encourager leurs concitoyens à se détourner des produits coréens. C’est d’ailleurs en Chine qu’il a été le plus spectaculaire. Plusieurs entreprises coréennes y ont vivement souffert, à tel point que la Corée a dû proposer en septembre d’offrir des prêts à taux réduits et des reports d’impôts aux groupes les plus touchés.
Présent sur le sol chinois à travers une centaine d’hypermarchés, le conglomérat Lotte fait l’objet d’une attention toute particulière. Actif entre autre dans la distribution, le tourisme et les loisirs, ce grand groupe s’est trouvé dans l’œil du cyclone lorsqu’il est apparu qu’un terrain de golf sur lequel l’une des batteries THAAD devait être déployée lui appartenait. Les autorités chinoises ont alors fait fermer 77 magasins sous divers prétextes, telle la non-conformité aux normes incendies. Lotte a depuis confirmé vouloir se séparer de ses opérations chinoises avant la fin de l’année, sans que cela suffise. La levée partielle de l’interdiction de voyage en Corée exigerait spécifiquement des tour-opérateurs chinois qu’ils évitent les magasins duty-free Lotte, ainsi que les hôtels de la compagnie.

Intérêts communs

Pourtant, la page des représailles économiques semble bientôt devoir se tourner. N’ayant pu empêcher le déploiement du THAAD, Pékin n’a aucun intérêt à prolonger inutilement les hostilités. Les autorités chinoises veulent plutôt reprendre la main afin de s’assurer de pouvoir influencer les développements futurs sur la péninsule. Un premier accord rendu public le 31 octobre par les deux gouvernements a permis à Pékin de réaffirmer quelques lignes rouges – dont le refus que Séoul déploie davantage de batteries THAAD que celles déjà présentes sur son sol.
Depuis, le calendrier s’accélère. Une rencontre fructueuse entre les présidents Moon et Xi en marge du sommet de l’APEC le 11 novembre dernier a permis de reprendre le dialogue au plus haut niveau. Et la visite d’Etat de Moon Jae-in programmée pour la mi-décembre est un signe conséquent, puisque le protocole diplomatique coréen limite théoriquement les visites officielles à une seule par pays durant chaque terme présidentiel.
Au-delà des lignes rouges, les intérêts stratégiques à long terme entre Séoul et Pékin semblent bien converger. Loin des rodomontades de Donald Trump, les deux capitales veulent rapidement acter d’une désescalade avec le régime de Pyongyang qui semble plus que jamais en passe d’obtenir une capacité de frappe nucléaire de longue portée, comme l’a encore prouvé son tout récent test balistique. A Myeong-dong, Jay devrait bientôt revoir les groupes de touristes tant attendus.
Par Hadrien Diez

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A propos de l'auteur
Écrivain, journaliste, commissaire d'exposition indépendant, Hadrien Diez tente de décrypter les enjeux de l'Asie contemporaine par divers moyens créatifs. Il partage son temps entre la Corée, où il vit, et l'Asie du Sud, où il collabore avec différents acteurs culturels.