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Expert - Droit des affaires en Chine

Faire faillite en Chine : connaître les différences de procédure avec la France

La Jin Mao Tower et le quartier de la finance dans le district de Pudong à Shanghai, le 14 novembre 2017. (Crédits : Iliya Pitalev/Sputnik/via AFP)
La Jin Mao Tower et le quartier de la finance dans le district de Pudong à Shanghai, le 14 novembre 2017. (Crédits : Iliya Pitalev/Sputnik/via AFP)
Pour les chefs d’une entreprise basée en Chine, la loi sur les faillites comporte de réelles différences avec la France. Quelles sont les différents types de procédures collectives ? Quels sont les risques encourus par le débiteur ?
*Les faillites et banqueroutes font l’objet du titre IX de l’Ordonnance, contenant lui-même 13 articles. **Cf. « Law of the People’s Republic of China on Enterprise Bankruptcy », adoptée au 18ème Congrès du Comité Permanent du 16ème Congrès National Populaire et entrée en vigueur le 2 décembre 1986.
En 1673, l’Ordonnance de Colbert édictait pour la première fois en France une réglementation en droit de la faillite applicable à tout le territoire. En Chine, au contraire, la notion de procédure collective est très récente : elle n’a été introduite en droit positif que par la loi du 1er novembre 1986 sur la faillite des entreprises d’Etat**. En effet, une nouvelle génération de dirigeants chinois, menée par Deng Xiaoping, venait alors de faire entrer la République populaire dans une nouvelle ère économique marquée par l’ouverture du pays aux capitaux étrangers. Toutefois, dans un pays où l’entreprise privée venait tout juste de faire son apparition, cette règlementation en matière de faillite des entreprises ne concernera dans un premier temps que les entreprises publiques.
La rupture n’en était pas moins considérable au regard de la culture chinoise, historiquement très ferme vis-à-vis des dettes puisque celles-ci engagent traditionnellement l’honneur du débiteur. En effet, si ce dernier n’était pas en mesure de payer sa dette, elle se transmettait à son fils puis à son petit-fils. Il était donc inconcevable pour un débiteur de pouvoir se soustraire à ses obligations vis-à-vis de ses créanciers. Néanmoins, le droit des entreprises en difficulté en Chine a, comme en France, continué à se développer en étendant son champ d’application pour concerner un nombre toujours croissant d’entités juridiques.
*Loi du 13 juillet 1967. **Loi du 25 janvier 1985. ***Loi du 30 décembre 1988. ****Loi du 26 juillet 2005. *****Cf. « The Enterprise Bankruptcy Law of the People’s Republic of China », adoptée au 23ème Congrès du Comité Permanent du 10ème Congrès National Populaire du 27 août 2006, entrée en vigueur le 1er juin 2007.
En France, la loi ne concernait au départ que les seuls commerçants, auxquels sont venus s’ajouter toutes les personnes morales de droit privé, mêmes non-commerçantes* : les artisans**, les agriculteurs*** et enfin, tous les professionnels indépendants y compris les professions libérales****. En Chine, conscientes de la trop faible portée de la loi existante en matière de faillites d’entreprises, les autorités travaillèrent dès 1994 sur un nouveau projet de loi. C’est ainsi que la loi du 27 août 2006 sur la faillite des entreprises***** est venue considérablement élargir le périmètre d’application des procédures collectives. Les entreprises publiques ne sont plus les seules concernées, sont désormais visées les « enterprise légal persons », c’est-à-dire toutes les entreprises (industrielles, commerciales, artisanales, libérales ou agricoles) dotées de la personnalité morale. Une disposition spéciale est même venue introduire la procédure de liquidation judiciaire aux entités dépourvues de cette personnalité morale.

L’application concrète

En France, cette extension du champ d’application des procédures collectives s’est directement concrétisée par une augmentation significative du nombre des procédures collectives ouvertes auprès des tribunaux de commerce. En Chine, leur mise en application demeure soumise à la pratique des tribunaux populaires. Or, il existe encore de nombreuses restrictions de l’accès aux tribunaux, et ce dans le but de limiter l’ouverture de procédures collectives.
C’est que les tribunaux chinois demeurent – en écho à la culture traditionnelle – emprunts d’une certaine méfiance vis-à-vis des débiteurs surendettés. De plus, les tribunaux populaires étant attachés à une juridiction administrative, cette dernière se doit de présenter de belles performances au plan économique, que l’ouverture d’une procédure collective menacerait de venir plomber. Cela peut ainsi expliquer le très faible nombre d’ouverture de procédures collectives observé aujourd’hui.

L’esprit des lois chinoises

*La cessation des paiements est définie par l’Article L.631-1 du Code de commerce français comme « l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible (…). »
L’objectif actuellement poursuivi par le droit des procédures collectives en France, est celui qui a été fixé par la loi du 25 janvier 1985, à savoir le sauvetage de l’entreprise et des emplois. L’idée est ainsi d’agir au plus vite et le plus en amont possible. Le droit français permet par exemple, d’ouvrir une procédure collective alors même que la société en cause n’est pas en état de cessation des paiements*.
De son côté, le droit des procédures collectives en Chine, depuis la loi de 2006, semble viser avant tout à régler équitablement le sort des dettes et des créances afin de préserver les droits légitimes de chacun. Le sauvetage de l’entreprise et des emplois n’est donc pas expressément mentionné. On peut toutefois penser que cet objectif est tout de même pris en compte puisque la loi de 2006 a ajouté la notion de redressement judiciaire (« reorganization ») dans la liste des procédures disponibles.
*Cf. « Provisions of the Supreme People’s Court », Meeting n°1527. **Cf. « Provisions of the Supreme People’s Court », Meeting n°1586.
Cependant, la loi chinoise ne semble pas accorder de priorité ferme au déclenchement d’une procédure de « sauvetage de l’entreprise ». Les conditions d’ouverture sont identiques pour les trois procédures existantes : la conciliation, le redressement et la liquidation judiciaire. Ainsi, une fois les conditions remplies, le débiteur peut demander indifféremment l’ouverture d’une de ces trois procédures. Le créancier, quant à lui, n’a le choix qu’entre la procédure de redressement et de liquidation judiciaire. Par ailleurs, afin de lutter contre les réticences mentionnées plus haut, la Cour Suprême a adopté deux instructions en date du 29 août 2011* et du 29 juillet 2013** afin d’uniformiser l’appréciation des conditions, notamment comptables, d’ouverture d’une procédure collective, et de minimiser la marge d’interprétation des tribunaux populaires.
De son côté, le Parti Communiste, depuis 2015, appelle également les tribunaux à faciliter l’ouverture de procédures collectives. Ces incitations passent notamment par la création de chambres spécialisées en droit des faillites au sein des tribunaux populaires. Celles-ci ont été d’une grande efficacité puisque la Chine a connu une explosion du nombre de procédures collectives ces dernières années (+50% entre 2015 et 2016). Cependant, le nombre total de procédures ouvertes et le pourcentage qu’elles représentent par rapport à l’intégralité des cessations d’activité en Chine restent, dans l’absolu, très nettement inférieurs aux statistiques observées dans les pays occidentaux, ce que le contexte économique ne peut que partiellement expliquer.
L’objectif global du droit des procédures collectives en Chine semble donc être uniquement de veiller au bon déroulement de la procédure collective en permettant une meilleure transparence de celle-ci, ce qui permet notamment aux investisseurs d’avoir une idée précise du traitement qui sera réservé à leur créance en cas de faillite.

Les différentes procédures en Chine : un droit encore exclusivement judiciaire à la différence du droit français

En droit français des procédures collectives, on distingue les procédures dites « amiables » appelées encore « phase de conciliation ». On y trouve le mandat ad hoc et la sauvegarde des procédures dites judiciaires, dans lesquelles figurent le redressement et la liquidation judiciaire. A côté de ces procédures, il existe le « pré-pack cession », utilisé comme un mécanisme de cession organisé et encadré pour maximiser et anticiper les cessions judiciaires.
De son côté, le droit chinois des procédures collectives est axé autour de trois procédures, exclusivement judiciaires.
La « compromise » qui est la procédure la moins lourde de conséquences à l’égard du débiteur. Le débiteur propose, comme dans la procédure française de conciliation, un projet de « compromise agreement » aux créanciers. Ce plan doit ensuite être adopté par une majorité simple des créanciers présents, représentant au moins deux tiers du montant total des créances. Dans celle-ci, à la différence du juge français, le tribunal populaire chinois joue un grand rôle : c’est en effet lui qui est compétent pour autoriser ou non l’ouverture d’une procédure de conciliation, ainsi que pour homologuer le cas échéant le plan adopté.
La procédure de « reorganization », introduite par la loi de 2006. Cette procédure est assimilable au redressement judiciaire du droit français et vise donc à apurer les dettes du débiteur tout en permettant, à terme, de poursuivre l’exploitation de l’entreprise. Le débiteur peut, après approbation du tribunal, procéder lui-même à la gestion de son patrimoine sous la supervision d’un administrateur (« receiver »).
La procédure de « liquidation » sonne le glas de l’entreprise. A ce titre, le débiteur assigné peut former une demande reconventionnelle en redressement judiciaire. De même, si la demande d’ouverture d’une liquidation judiciaire est rejetée par le tribunal, il existe une possibilité d’appel devant la Cour de niveau supérieur. Notons que la décision de la Cour venant confirmer le jugement de première instance en refusant la reconnaissance de la faillite, est définitive. Le placement de la société en liquidation judiciaire nécessite une enquête de l’administrateur pour contrôler si la société est bien en état de cessation des paiements. L’administrateur présente ensuite un rapport de répartition des biens du débiteur au tribunal et demande la clôture de la procédure de faillite. Une fois que le tribunal aura décidé la clôture de la procédure de liquidation judiciaire, le débiteur pourra se rendre à l’Autorité de l’Industrie et du Commerce (« AIC ») et devant les autres autorités compétentes (notamment la déclinaison locale du ministère du Commerce ou « COFCOM ») afin de procéder aux formalités de radiation.
En droit français, compte tenu des objectifs poursuivis par la loi, la place du débiteur est beaucoup plus importante qu’en droit chinois. Cela se traduit également dans la place que le droit français laisse aux créanciers. En effet, en dehors des négociations sur l’apurement du passif dans le cadre des procédures amiables, la place des créanciers est relativement réduite, alors qu’en droit chinois, les créanciers possèdent un véritable pouvoir de surveillance et d’intervention (examen des dettes, surveillance des missions de l’administrateur, approbation des plans, etc.).

Quelle responsabilité pour le débiteur ?

En Chine, les risques encourus par le débiteur sont beaucoup plus élevés qu’en droit français et justifient, encore aujourd’hui, la réticence des dirigeants à initier ou participer à une procédure collective. En effet, la responsabilité civile et/ou administrative du représentant légal, d’un « director » (administrateur) ou d’un « superviser » (surveillant) peut être engagée si l’un d’eux, par sa faute, a causé la faillite de l’entreprise. De plus, à l’issue de la procédure collective, la personne considérée comme fautive est automatiquement frappée d’une interdiction d’exercer tout mandat au sein d’une autre entreprise durant un délai de 3 ans. Toute obstruction au déroulement normal de la procédure, notamment une tentative de fuite, oppose par ailleurs son auteur à une amende et, le cas échéant, à une détention provisoire. Par ailleurs, ces différentes sanctions n’excluent pas pour autant l’éventuelle responsabilité pénale du dirigeant considéré comme l’auteur d’une infraction au sens des dispositions pénales en vigueur.
En France, si le dirigeant d’une entreprise peut voir sa responsabilité engagée au plan civil et/ou pénal, on observe cependant que les cas de mise en cause de sa responsabilité sont relativemment rares. Par ailleurs, l’idée qu’il a « le droit à l’erreur » est de plus en plus admise. Ainsi n’est-il plus exclus, comme cela a pu être le cas par le passé, de la vie des affaires.

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A propos de l'auteur
Avocat au barreau de Paris, Franck Guyonnet-Dupérat exerce le droit des procédures collectives / restructuration d'entreprises au sein du cabinet Aston à Paris. Il a travaillé précédemment pendant près de trois ans au sein des antennes de Shanghai et de Singapour du cabinet DS Avocats, dans l’aide à l’implantation, à la structuration et à la restructuration des investissements des sociétés françaises et européennes en Asie (droit des sociétés, droit du travail, droit de la propriété intellectuelle, rédaction de contrats commerciaux).
Après avoir débuté sa carrière au sein du département Fusions-Acquisitions de Linklaters à Paris, Maxime Ponsan est depuis 2015 collaborateur chez UGGC Avocats à Shanghai. Il est spécialisé dans les fusions acquisitions, les levées de fonds et, plus généralement, dans la structuration et la restructuration des investissements entre l’Asie et la France.
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